POLITIQUE
En RDC, Édouard Mwangachuchu, un député dans le box des accusés
Jugé depuis le 28 mars devant la Haute Cour militaire, ce député du Nord-Kivu est accusé d’atteinte à la sûreté de l’État. Il est notamment soupçonné d’avoir formé une milice privée et de soutenir le M23.
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11 mai 2023 à 16:19
Par Vincent Duhem
Mis à jour le 11 mai 2023 à 16:19

La colline s’est effondrée comme le ciel vous tombe sur la tête. Le 8 mai, vers 11 heures du matin, un terrible éboulement de terrain a dévasté la mine artisanale de Bibatama, située près de Rubaya, dans le territoire de Masisi, au Nord-Kivu. Le bilan est encore incertain mais la terre humide pourrait avoir englouti des dizaines de petites mains.
Mine de coltan
La mine est connue pour produire la plus grande quantité de coltan en Afrique centrale. Elle abrite aussi un périmètre de 3000 hectares, exploité par la Société minière de Bisunzu (SMB). Contrôlée par la famille d’Édouard Mwangachuchu Hizi, elle a vu ses activités suspendues le 15 mars par le gouvernement après l’arrestation de cet homme politique le 1er du mois.
Élu du Nord-Kivu âgé de 69 ans, il est jugé devant la Haute Cour militaire depuis le 28 mars. Poursuivi pour trahison, atteinte à la sûreté de l’État, détention illégale d’armes et munitions de guerre, association de malfaiteurs, participation à un mouvement insurrectionnel et incitation à commettre des actes contraires au devoir ou à la discipline, Édouard Mwangachuchu est notamment accusé d’avoir formé une milice privée et d’apporter un soutien logistique et financier aux rebelles du M23. À LIREEn RDC, l’avenir incertain de la force régionale est-africaine
Tout commence dans la nuit du 28 février au 1er mars. Depuis des mois, la situation sécuritaire se détériore dans l’est de la RDC, alors que le M23 gagne du terrain. Début février, la tension est telle que la Police des mines et hydrocarbures (PMH) quitte le périmètre de la mine, bientôt suivie par le personnel de la SMB. Malgré l’éphémère déploiement de soldats de la 34e région militaire, la mine de Bibatama est complètement abandonnée le 23 février. Des combattants de la milice hutu congolaise Nyatura l’investissent dès le lendemain. Créé en 2010 et présent dans les territoires de Masisi, Rutshuru et Lubero, ce groupe militaire affronte régulièrement le M23 depuis la résurgence du mouvement, fin novembre 2021.
Armes et munitions
Les dépôts de la mine sont pillés et brûlés. Dans la soirée du 28 février, une vidéo est diffusée sur plusieurs groupes WhatsApp. Elle montre des jeunes, entourés d’éléments de la milice Nyatura, déterrer une petite dizaine de kalachnikovs dans l’enceinte de la concession de la SMB à Bibatama. La séquence devient virale. Cinq heures plus tard, une vingtaine d’hommes en armes débarquent au domicile kinois d’Édouard Mwangachuchu, où d’autres effets militaires, dont une boîte contenant 42 munitions de 9 mm, mais aussi des ordinateurs, des téléphones et des caméras sont trouvés. Le député est arrêté, immédiatement déféré à Makala, la prison de Kinshasa.
L’affaire prend rapidement de l’ampleur, notamment sur les réseaux sociaux, où toutes sortes d’accusations fleurissent contre le député. Ces armes devaient-elles servir à soutenir l’avancée du M23 ? s’interrogent notamment certains.
Le terrain est glissant. Le conflit avec le groupe rebelle, soutenu par le Rwanda selon l’ONU, a ravivé les tensions communautaires dans une région toujours marquée par le choc du génocide des Tutsi, en 1994. Et, d’une certaine manière, l’affaire Mwangachuchu en est la parfaite illustration. À LIREEn RDC, la présidentielle et la crise dans l’Est au cœur des débats parlementaires
Président de la communauté tutsi du Nord-Kivu, Mwangachuchu a été également membre du Congrès national pour la défense du peuple (CNDP), une ancienne milice transformée en parti politique. Un profil qui fait de lui le bouc émissaire idéal, dénoncent ses proches.
Ce n’est toutefois pas la première fois que l’élu est accusé de soutenir des groupes rebelles. Conseiller financier de la province du Nord-Kivu au début des années 1990, il est menacé et contraint à l’exil en 1996. Au bout de deux années passées aux États-Unis, il regagne la RDC et se lance dans le business des minerais.
L’ombre du RCD
En 2001, son comptoir, Mwangachuchu Hizi International (MHI), obtient l’exploitation de la mine de coltan de Bibatama. L’est de la RDC est alors occupé par le Rassemblement congolais pour la démocratie de Goma (RCD-Goma), groupe armé soutenu par le Rwanda. C’est d’ailleurs le département mines du RCD, dont Mwangachuchu est l’un des cadres politiques, qui lui délivre le permis.
À partir de 2006, le RCD laisse la place au CNDP, fondé par Laurent Nkunda et dont des éléments sont régulièrement signalés dans les mines exploitées par Mwangachuchu.
Interrogé par le groupe d’experts des Nations unies, ce dernier répondra qu’il était forcé d’accepter la présence du CNDP et de continuer à exploiter la mine de Bibatama, car il avait « besoin d’argent pour payer les 16 000 dollars de taxes qu’il [devait] au gouvernement ». Dans leur rapport de décembre 2008, les experts précisent que « le général Nkunda l’a autorisé à conserver la concession en échange d’un pourcentage de la production ». À LIREEnquête : Laurent Nkunda et la raison d’Etat
Édouard Mwangachuchu fait parallèlement son entrée en politique. Il est élu sénateur en 2007 avec l’étiquette d’indépendant, puis devient en 2011 député du CNDP, qui a opéré sa mue en parti.
Alors que le M23 fait une première fois son apparition en mai 2012, l’élu participe aux négociations menées en vue de la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs (CIRGL) en tant que membre de la délégation du gouvernement, composée d’élus et de représentants de la société civile réunis autour du ministre des Affaires étrangères d’alors, Raymond Tshibanda. « Il n’a pas joué de rôle déterminant et s’affichait comme opposé aux revendications du M23 », se rappelle un diplomate congolais ayant participé aux discussions à Kampala.
Liens avec le Rwanda
Une ligne officielle défavorable aux groupes armés qu’il continuera à défendre. « Il est partisan d’une collaboration ouverte avec le Rwanda, y compris dans le secteur minier, dans le cadre de procédures régionales. Son erreur est de ne pas avoir effacé les traces de son passé dans les groupes armés, à l’instar d’un Mbusa Nyamwisi, toujours très proche de l’Ouganda et qui s’est refait une virginité politique [il a été nommé ministre d’État en mars] », analyse la même source congolaise.
Car, au-delà de ses supposés liens avec le M23, c’est bien sa proximité avec le Rwanda qui semble avoir attiré l’attention de la justice. Lors des premières semaines de son procès, le ministère public s’est notamment appuyé sur un rapport de l’Agence nationale de renseignement (ANR) pour justifier ses accusations.
« Il a beaucoup d’activités au Rwanda. Il serait membre de la diaspora rwandaise. Il y a des documents qui démontrent qu’il a tenu des réunions au nom de Rwandair [la compagnie aérienne nationale de Kigali]. Il en serait actionnaire, alors que ce pays est hostile à la RDC », a expliqué le ministère public. Et d’ajouter que « plusieurs documents trouvés prouvent ses intentions suspectes et ses intérêts à obtenir la richesse du Congo pour servir son pays, le Rwanda. »
Des accusations et des informations totalement récusées par la défense d’Édouard Mwangachuchu. « Tout ceci n’est qu’une manipulation orchestrée par des hommes politiques qui instrumentalisent le climat actuel pour prendre le contrôle de notre mine », assure son entourage.
Bien engagé en politique – il a été réélu député en 2018 –, Édouard Mwangachuchu a quitté la direction de MHI dès 2012, confiant les rênes de l’entreprise à son plus jeune frère. Mais il est resté la figure de proue de la SMB, qui a succédé à la MHI en 2014.
Différent minier
Ces deux dernières années, les incidents se sont multipliés sur le périmètre exploité par la société. Au cœur du conflit, un différend avec la Coopérative des exploitants artisanaux miniers de Masisi, dirigée par un autre ancien du RCD, lui aussi député, Robert Habinshuti Seninga.
Depuis la signature d’un protocole en 2013 – à la demande du gouvernement –, la coopérative était autorisée à travailler sur le périmètre de la SMB à condition de lui vendre sa production. Mécontente, la SMB a préféré renoncer à cet accord fin 2019. « Nos installations ont alors été la cible d’attaques, une vingtaine au total, dont certaines ont été commises par la milice Nyatura », explique une source proche de la compagnie minière.
La SMB, de son côté, est accusée d’utiliser la police des mines comme une société privée pour faire régner l’ordre sur son périmètre. Dans la communauté minière de la région, la PMH est d’ailleurs surnommée la « police SMB ».
Ce conflit pourrait-il être à l’origine des déboires d’Édouard Mwangachuchu, comme l’assurent ses proches ? « Il est jugé dans le cadre d’une procédure de flagrance, qui est censée durer seulement quelques jours. Or le procès a commencé fin mars et aucun élément à charge n’a été produit », s’étonne l’un de ses proches, qui s’inquiète également de l’état de santé du député.
Hospitalisé en urgence en novembre pour des problèmes au cœur, il suivait un traitement nécessitant notamment l’utilisation d’une bouteille d’oxygène. Son entourage assure qu’il n’y a plus accès.