En RDC, une trentaine de compagnies minières déchues de leurs droits d’exploitation sans explications

La décision de l’État congolais, qui n’a guère été motivée, soulève de nombreuses questions. Et suscite de fortes inquiétudes dans les localités concernées.

6 septembre 2023 à 12:49

Par Marwane Ben Yahmed

Mis à jour le 6 septembre 2023 à 12:49

La mine de cuivre Frontier de Sakania, à la frontière avec la Zambie, dans la province du Haut-Katanga. © Gwenn Dubourthoumieu pour JA

Le 31 juillet, un arrêté signé par Michel Kibonge Nyekuma, directeur de cabinet du ministre des Mines, a annulé les droits d’exploitation de 29 compagnies sur des gisements en République démocratique du Congo (RDC). Parmi elles, Cico, Cilu, Comide, Boss Mining, Ruashi Mining, PPC Barnet ou encore Chemaf, appartenant à des groupes congolais mais aussi allemands, kazakhs, chinois, indiens, sud-africains ou australiens.

Si l’État congolais n’a pas formellement justifié les raisons de cette décision, des sources proches du dossier suggèrent qu’elle aurait été prise en raison de l’absence de cahier des charges relatif à l’action sociale et environnementale des entreprises. En mars 2018, le gouvernement avait promulgué un nouveau code minier où ces problématiques étaient devenues prépondérantes. On évoque même une nouvelle modification dudit code afin de renforcer encore ces exigences.

Pour les sociétés visées, les retombées financières sont évidemment significatives. « Les investissements préalables pour lancer et soutenir des opérations minières sont souvent conséquents, et leur amortissement s’étale sur plusieurs années. En outre, dans un environnement aussi incertain, le retrait d’autorisations peut potentiellement affecter les relations avec les investisseurs et les banquiers, rendant difficile l’accès à de nouveaux financements », explique un consultant spécialiste du secteur minier africain.

« Nous ne savons pas comment nous allons vivre »

Mais les implications de l’arrêté vont bien au-delà : en RDC, le secteur minier est le plus gros pourvoyeur d’emplois, directs et indirects. Dans les localités concernées, l’incertitude pesant sur la reprise ou non de l’exploitation suscite de fortes inquiétudes. « C’est nous qui souffrons maintenant. Nous venons de traverser trois mois difficiles, nos entreprises sont à l’arrêt. […] Nous ne savons pas comment nous allons vivre », explique un habitant de Kakanda, une localité de la province du Lualaba, dans l’ex-Katanga, une des régions les plus riches en minerais du pays. Ce sentiment est partagé par un autre membre de sa communauté : « la conséquence de la suspension de Boss Mining est une crise généralisée ici. Nous sommes dans la période où la nouvelle année scolaire commence, et tout devient difficile pour nous. »

L’impact sur les petites entreprises locales comme sur les fournisseurs est également préoccupant. « Cette décision abrupte nous met vraiment en colère, parce que nos vies dépendent des employés de ces entreprises. Ils viennent acheter chez nous et nous en vivons. Aujourd’hui, il n’y a plus d’argent à Kakanda », déclare amèrement un commerçant local. Même son de cloche un peu partout, de Goma à Kinshasa en passant par Bukavu ou Lubumbashi. « Nous vivons grâce à ces compagnies minières », rappelle un fournisseur de Kolwezi, qui ne sait combien de temps il pourra tenir.

Reprise en main d’un secteur clé

La mesure survient à un moment où le gouvernement congolais entend réorganiser le secteur minier, notamment en reprenant le contrôle de certaines de ses ressources naturelles. Possédant l’un des sous-sols les plus riches du monde (or, diamants, cuivre…), y compris des minerais essentiels à la transition énergétique ou à la composition des batteries (lithium, cobalt, coltan, etc.), la RDC dépend en grande partie de ses gisements.À LIREMines : en RDC, le corridor de Lobito prêt à révolutionner le transport

Le secteur contribue à hauteur de 43 % au budget national ; il représente 47 % du PIB, 95 % des exportations et un quart des emplois. Si la volonté de reprise en main de l’État semble louable, la mesure, annoncée sans aucune explication publique, envoie un signal troublant aux investisseurs internationaux qui pourraient, en conséquence, hésiter à engager des fonds dans un environnement perçu comme instable.

« Ce climat d’incertitude n’affecterait pas uniquement les industries extractives : il pourrait aussi décourager les injections de capital dans d’autres secteurs de l’économie congolaise, estime un analyste. « Le vrai défi réside dans l’équilibre à trouver entre les intérêts économiques de l’État, les normes environnementales et sociales, et la nécessaire attractivité pour les investisseurs. L’État congolais doit faire preuve de clarté et de transparence pour rassurer les différents acteurs impliqués, conclut-il.

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