ÉCONOMIE

Primera – RDC : cinq questions pour comprendre la polémique autour du méga-contrat émirati

Présenté par les autorités de Kinshasa comme une clé de la lutte contre le trafic clandestin de minerais et de la sécurisation de l’est de la RDC, le contrat conclu dans le pays par les Émiratis de Primera fait pourtant l’objet de vives critiques. Explications.

19 septembre 2023 à 14:57

Par Louise Margolin et Vincent Duhem

Mis à jour le 19 septembre 2023 à 15:05

Mine d’or de Kibali, en RDC, le 8 octobre 2021. © MONTAGE JA : Hereward Holland/REUTERS

LE DÉCRYPTAGE DE JA – « En complicité avec nos autorités, ils nous font perdre à tous, puisque cet argent nous appartient, 500 millions de dollars chaque mois. » Depuis que, le 26 août dernier, le prix Nobel de la paix 2018, et potentiel candidat à la prochaine élection présidentielle, Denis Mukwege, a publiquement exprimé des doutes sur le contrat signé par la société émiratie Primera en RDC, le sujet enflamme le pays. Obligeant le ministre des Finances Nicolas Kazadi, son homologue de la Communication et des médias Patrick Muyaya, ainsi que le directeur de cabinet adjoint du chef de l’État, André Wameso à organiser un point presse pour tenter de désamorcer la crise, et de faire preuve de transparence sur un dossier qui, selon ses détracteurs, en manque cruellement.

Denis Mukwege réagissait aux déclarations d’un député du Sud-Kivu, Alfred Maisha, qui avait transmis une question écrite aux ministres du Portefeuille, des Mines et des Finances. L’élu UNC, le parti du vice-premier ministre Vital Kamerhe, y dénonçait le bradage des ressources minières congolaises généré par les contrats conclus avec Primera. Ceux-ci portent sur la commercialisation de minerais extraits artisanalement en RDC, l’or et les 3T (étain, tungstène, tantale – ou coltan) ainsi que sur la mise en place de mines industrielles. Ils ont pour objectif de réduire le passage illégal d’une grande partie de l’or et du coltan congolais vers le Rwanda et l’Ouganda.À LIREEn RDC, le méga-contrat émirati provoque la colère d’entreprises minières locales

Une initiative soutenue par beaucoup puisqu’elle doit freiner l’approvisionnement en minerais du Rwanda, contribuer à sécuriser l’est de la RDC et accroître les revenus de l’État, mais qui fait aussi l’objet de dénonciations comme d’interrogations depuis les premiers temps du partenariat avec la société émiratie, fin 2022. Un « mini Sicomines » selon Jean-Pierre Okenda, directeur industries extractives chez Resource Matters, du nom du contrat « mines contre infrastructures » signé entre la Chine et la RDC en 2008, que la présidence congolaise considère aujourd’hui comme trop déséquilibré.

1. Qui est Primera ?

Primera désigne en fait plusieurs entreprises à capitaux émiratis concernées par un partenariat minier conclu avec les autorités de Kinshasa – Primera Group et Primera Mining, basées à Abu Dhabi, ainsi que les sociétés de droit congolais Primera Gold DRC et Primera Metals DRC. Les deux dernières, détenues à 55 % par Primera Group et 45 % par l’État congolais, sont parties à un accord datant de décembre 2022, portant sur la commercialisation de minerais artisanaux extraits dans l’est de la RDC, l’or pour la première, les 3T pour la seconde. Pour ces derniers, utilisés notamment dans la téléphonie et l’électronique, la mise en place d’une fonderie en RDC est prévue.

Primera Mining a conclu un autre accord, en juillet dernier, prévoyant la création d’une coentreprise dont elle détiendra 70 %, 3T Mining Corp, contre 20 % pour la compagnie publique minière congolaise Sakima et 10 % pour la RDC. 3T Mining Corp vise l’exploitation d’au moins quatre mines industrielles de 3T en RDC.

Si l’actionnariat de Primera reste opaque, le partenariat est notamment le fruit de discussions directes entre les autorités congolaises et émiraties. Il vient en quelque sorte en remplacer un autre conclu en 2021 par la présidence de Félix Tshisekedi avec Kigali, portant sur l’exploitation de l’or en RDC et son raffinage au Rwanda, déjà dans le but de limiter la contrebande. Un partenariat tombé dans les limbes à cause des fortes tensions entre Kinshasa et Kigali.

2. Cette initiative change-t-elle la donne sur le trafic illégal de minerais ?

Dans les 3T (étain, tungstène et coltan), il est difficile de tirer des conclusions, les activités de Primera n’ayant pas débuté. Mais dans l’or, officiellement, le changement se fait sentir. Selon les chiffres présentés par le gouvernement au cours de sa conférence de presse de la fin août, 3 tonnes d’or artisanal ont été exportées légalement de RDC depuis le début de l’année, contre 48 kilos en 2022. Un volume qui a rapporté, toujours selon les données alors exposées, entre 1,5 millions et 1,7 millions de dollars à l’État, contre 50 000 dollars l’année précédente. Primera compte aller encore plus loin, jusqu’à 15 à 25 tonnes exportées par an.

Des estimations, relayées en juin dernier par l’administration américaine, évaluent cependant à environ 20 tonnes la production artisanale d’or en RDC, soit d’importants volumes encore exportés illicitement. Malgré tout, les résultats de Primera en quelques mois sont encourageants. Un succès que certains estiment lié au guichet unique géré par Primera, qui facilite la vente d’or par les artisans miniers, quand d’autres experts interrogés y voient aussi la potentielle répercussion des incitations fiscales faites à la société émiratie sur le prix d’achat aux orpailleurs, le soutien des autorités, ou encore le ressentiment envers le Rwanda.À LIRELa RDC et les Émirats arabes unis peuvent-ils vraiment contrer l’« or du sang » ?

Néanmoins, dans son rapport de juin dernier, le groupe d’experts des Nations unies sur la RDC a estimé qu’il y avait un risque que Primera « serve de canal officiel de blanchiment de l’or illégal » à cause d’écueils dans son mécanisme de traçabilité. Plusieurs acteurs du secteur minier ont pour leur part indiqué à Jeune Afrique qu’aucun mécanisme de transparence n’est mis en place afin de certifier que ce sont bien 3 tonnes qui sont exportées.

3. Quels aspects du contrat font débat ?

Au-delà des doutes formulés sur la traçabilité, la fiscalité préférentielle accordée à Primera, en particulier sa taxe à l’export réduite, nourrit  une large frange des critiques. Celles-ci estiment qu’elle donne un avantage à la société par rapport à ses concurrents, parmi eux des Congolais, tout en réduisant les montants que devrait percevoir l’État. Le gouvernement considère à l’inverse que cette réduction de taxes contribue à limiter l’exportation illégale.

Le député Alfred Maisha a par ailleurs dénoncé le monopole accordé à Primera pour 25 ans dans l’or et les 3T. Une accusation à laquelle le ministre Nicolas Kazadi a répondu, affirmant que rien, dans le contrat, n’accordait cette exclusivité. Le risque apparaît plutôt être, comme relevé par le rapport des experts onusiens et des membres de la société civile, celui d’un monopole de facto dans l’exportation de l’or du fait de certaines clauses de l’accord. Mais, tant que le volume d’or à raffiner n’excède pas 60 tonnes par an, Primera n’a pas à installer une usine pour le faire en RDC, relèvent certains observateurs. Pourtant, l’or transformé se vend plus cher sur les marchés internationaux, et une raffinerie d’or, Congo Gold Raffinerie, préparait le démarrage de ses activités en RDC lorsque, fin juillet, les autorités lui ont retiré son agrément. « Tous les pays tentent d’aller plus loin dans la chaîne de valeur minière, sauf le Congo », commente Guillaume de Brier, chercheur à International Peace Information Service (IPIS).

Dans les 3T, la crainte que des acteurs congolais légitimes soient exclus du marché au profit de Primera a été exprimée. Quatre entreprises locales, Stone Mining Company SARL, CDMC SARL, Amur SARL et DFSA Mining Congo, ont rappelé que, parmi les permis proposés à la société émiratie par Sakima dans le contrat du 17 juillet, on trouvait ceux sur lesquels elles ont conclu des joint-ventures ou accords d’amodiation. En réponse, la direction de Primera en RDC a déclaré qu’elle ne prendra pas de permis litigieux.

Plus largement, Jean-Pierre Okenda estime qu’alors que le code minier a supprimé le régime conventionnel qui donnait à chacun une fiscalité, des droits et obligations spécifiques, ce contrat est un retour en arrière.

4. Les autorités sont-elles alignées sur le dossier Primera?

Le dossier Primera est suivi au plus haut niveau de l’État congolais, directement à la présidence, notamment par le conseiller privé de Félix Tshisekedi, Kahumbu Mandungu Bula, dit « Kao ». Il est le fruit de discussions sur un partenariat plus large avec les Émirats, dans d’autres secteurs aussi. Au sein du gouvernement de Kinshasa, le ministre des Finances Nicolas Kazadi, qui dit avoir piloté les négociations avec Primera, soutient cette initiative permettant de « couper l’herbe sous le pied du Rwanda, qui se sert de cette exploitation illégale pour entretenir le conflit sur notre sol », a-t-il déclaré à des médias congolais.

Le rapport du groupe d’experts de l’ONU explique néanmoins que, selon plusieurs sources, « la décision de créer Primera Gold DRC a été prise sans consultation avec la ministre des Mines [Antoinette N’samba Kalambayi], alors que ces questions relèvent clairement de son mandat ». Toujours selon le rapport onusien, la ministre a d’abord désapprouvé l’accord, et aurait, comme d’autres responsables de son administration, subi des pressions pour finalement l’accepter. Contactée à ce sujet, la ministre n’a pas répondu aux sollicitations de Jeune Afrique.

5. Quel impact le dossier a-t-il au niveau sécuritaire ?

C’est une rumeur qui court depuis sa signature mais qui ne s’est à ce jour jamais vérifiée : l’accord avec la société émiratie s’accompagnerait de l’envoi de plusieurs milliers de mercenaires sud-américains chargés de sécuriser les périmètres miniers concernés. Selon le rapport des experts de l’ONU, trois Sud-Africains se sont rendus en RDC entre le 15 mars et la mi-avril pour préparer l’arrivée de ces 2 500 agents de sécurité.

Les trois hommes étaient présents à Goma, la capitale de la province du Nord-Kivu. Selon nos sources, ils présentaient des cartes de visites de Frontier Services Group (FSG), cofondé par Erik Prince, fondateur de la société américaine Blackwater à la réputation sulfureuse en Irak. L’information a rapidement été communiquée à l’ambassade des États-Unis à Kinshasa qui a immédiatement fait part de son inquiétude auprès des autorités congolaises. Si le projet a été momentanément mis de côté, l’arrivée possible de mercenaires sud-américains dans l’est de la RDC refait régulièrement surface.

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