L’avenir de la Palestine — CAB 37/123/43

Herbert Samuel

1915

L’avenir de la Palestine

Le cours des événements ouvre la perspective d’un changement, à la fin de la guerre, dans le statut de la Palestine. Il y a déjà une agitation parmi les douze millions de Juifs dispersés dans les pays du monde. Le sentiment se répand avec une grande rapidité que maintenant, enfin, quelque progrès peut être fait, d’une manière ou d’une autre, vers la réalisation de l’espoir et du désir, maintenus avec une ténacité inébranlable depuis dix-huit cents ans, pour la restauration des Juifs sur la terre à laquelle ils sont attachés par des liens presque aussi anciens que l’histoire elle-même.

Pourtant, on estime que le moment n’est pas venu d’y établir un État juif indépendant et autonome. L’accroissement de population tel qu’il y a eu en Palestine ces dernières années a été composé, en effet, principalement d’immigrants juifs ; les nouvelles colonies agricoles juives comptent déjà environ 15 000 âmes ; à Jérusalem même, les deux tiers des habitants sont juifs ; Mais dans l’ensemble du pays, ils ne représentent probablement pas plus d’un sixième de la population.

Si l’on essayait de placer les 400 000 ou 500 000 mahométans de race arabe sous un gouvernement qui reposerait sur l’appui de 90 000 ou 100 000 habitants juifs, rien ne peut garantir qu’un tel gouvernement, même s’il était établi par l’autorité des puissances, serait en mesure d’imposer l’obéissance. Le rêve

d’un État juif, prospère, progressiste et foyer d’une brillante civilisation, pourrait disparaître dans une série de conflits sordides avec la population arabe. Et même si un État ainsi constitué réussissait à éviter ou à réprimer le désordre intérieur, il est douteux qu’il soit assez fort pour se protéger des agressions extérieures des éléments turbulents qui l’entourent. Tenter de réaliser l’aspiration d’un État juif un siècle trop tôt pourrait faire reculer sa réalisation réelle de plusieurs siècles.

On m’assure que la solution du problème de la Palestine, qui serait de loin la plus bien accueillie par les dirigeants et les partisans du mouvement sioniste dans le monde entier, serait l’annexion du pays à l’Empire britannique. Je crois que la solution serait cordialement accueillie aussi par le plus grand nombre de Juifs qui jusqu’à présent ne se sont pas intéressés au mouvement sioniste. On espère que, sous la domination britannique, des facilités seront accordées aux organisations juives pour acheter des terres, fonder des colonies, établir des institutions éducatives et religieuses, et dépenser utilement les fonds qui seraient librement versés pour promouvoir le développement économique du pays. On espère aussi que l’immigration juive, soigneusement réglementée, sera privilégiée afin qu’avec le temps, le peuple juif, devenu majoritaire et établi dans le pays, puisse se voir accorder le degré d’autonomie gouvernementale que les conditions de l’époque peuvent justifier.

Il faudrait, sans doute, établir un régime extraterritorial pour les lieux sacrés chrétiens, et en confier la possession et le contrôle à une commission internationale, dans laquelle la France, au nom de l’Église catholique, et la Russie, au nom de l’Église grecque, auraient des voix de premier plan. Il serait également souhaitable que les sites sacrés mahométans soient déclarés inviolables, et probablement que le conseil du gouverneur comprenne un ou plusieurs mahométans, dont la présence serait une garantie que les intérêts mahométans seraient sauvegardés.

Du point de vue des intérêts britanniques, il y a plusieurs arguments en faveur de cette politique, si des considérations plus larges doivent permettre de la poursuivre :

  1. Elle permettrait à l’Angleterre de remplir dans un autre domaine encore son rôle historique de civilisateur des pays arriérés. Sous le Turc, la Palestine a été dévastée. Pendant des centaines d’années, elle n’a produit ni hommes ni choses utiles au monde. Sa population natale est plongée dans la misère. Les routes, les ports, l’irrigation, l’assainissement, sont négligés. Presque les seuls signes de vitalité agricole ou industrielle se trouvent dans les colonies juives et, à plus petite échelle, dans les colonies allemandes. La corruption est omniprésente dans l’administration et dans le système judiciaire. Les gouverneurs, qui se succèdent rapidement, ne s’occupent que de la somme d’argent qu’ils peuvent tirer du pays pour l’envoyer à Constantinople. Sous l’administration britannique, tout cela changera rapidement. Le pays sera racheté. Qu’est-ce qui a été

Ce qui a été fait en Égypte sera répété ici, et la connaissance de cela ferait que beaucoup d’habitants actuels non seulement acquiesceraient, mais se réjouiraient de ce changement. L’agent britannique en Égypte a récemment rapporté (le 7 janvier) que les informations du département de renseignement sur place indiquaient qu’une grande partie de la population accueillerait favorablement une occupation britannique. Il y a eu de nombreuses indications antérieures du même sentiment. Les fonctionnaires turcs sont des étrangers dans le pays. Il n’y en a pas de la population turque. L’Angleterre doit en prendre le contrôle, parce que c’est par ce moyen qu’elle peut faire avancer le but pour lequel, au fond, son empire sous les tropiques et les subtropiques existe.

  • L’Empire britannique, avec son immensité et sa prospérité actuelles, n’a plus grand-chose à gagner. Mais la Palestine, si petite qu’elle soit en superficie, occupe une place si grande dans l’imagination du monde, qu’aucun empire n’est si grand que son prestige ne serait rehaussé par sa possession. L’inclusion de la Palestine dans l’Empire britannique ajouterait un lustre même à la Couronne britannique. Il s’agirait d’un appel des plus puissants pour le peuple du Royaume-Uni et des dominions, surtout s’il s’agissait d’un moyen avoué d’aider les Juifs à réoccuper le pays. L’idée de restaurer le peuple hébreu dans le pays qui devait être son héritage est répandue et profondément enracinée dans le monde protestant, et l’on s’intéresse vivement à l’accomplissement des prophéties qui l’ont prédit. La rédemption aussi des Lieux Saints chrétiens de la vulgarisation à laquelle

ils sont aujourd’hui soumis, et l’ouverture de la Terre Sainte, plus facilement qu’elle ne l’a été jusqu’à présent, aux visites des voyageurs chrétiens, ajouterait à l’attrait que cette politique ferait aux peuples britanniques. Il n’y a probablement pas d’issue de la guerre qui puisse donner une plus grande satisfaction à des sections puissantes de l’opinion britannique.

  • L’importance que l’opinion britannique attacherait à cette annexion contribuerait à faciliter un règlement sage d’un autre des problèmes qui résulteront de la guerre. Bien que la Grande-Bretagne ne soit pas entrée dans le conflit dans le but d’étendre son territoire, étant dans le conflit et ayant fait d’immenses sacrifices, il y aurait une profonde déception dans le pays si le résultat devait être l’obtention de grands avantages par nos alliés, et aucun par nous-mêmes. Mais dépouiller l’Allemagne de ses colonies au profit de l’Angleterre laisserait un sentiment permanent d’amertume si intense parmi le peuple allemand qu’il rendrait une telle conduite impolitique. Nous devons vivre dans le même monde avec 70 000 000 d’Allemands, et nous devons veiller à donner le moins de justification possible à l’éclosion, dans dix, vingt ou trente ans, d’une guerre de revanche allemande. Certaines colonies allemandes doivent sans doute être conservées pour des raisons stratégiques. Mais si la Grande-Bretagne peut obtenir les compensations que l’opinion publique exigera en Mésopotamie et en Palestine, et non en Afrique orientale allemande et en Afrique de l’Ouest, il y a plus de chances d’une paix durable.
  • La ceinture de désert à l’est du canal de Suez est une frontière stratégique admirable pour l’Égypte. Mais ce serait une défense insuffisante si une grande puissance européenne était établie de l’autre côté. Une expédition militaire organisée à partir de la Palestine méridionale, et comprenant la construction d’un chemin de fer d’El Arish au canal, serait redoutable. La Palestine aux mains des Britanniques serait sans aucun doute exposée à une attaque et entraînerait des responsabilités militaires étendues. Mais le caractère montagneux du pays rendrait difficile son occupation par l’ennemi, et pendant que cet avant-poste serait disputé, on donnerait le temps d’augmenter la garnison de l’Égypte et de renforcer les défenses. Une frontière commune avec un voisin européen au Liban représente un risque beaucoup moins important pour les intérêts vitaux de l’Empire britannique qu’une frontière commune à El Arish.
  • La ligne de conduite préconisée vaudrait à l’Angleterre la reconnaissance durable des Juifs du monde entier. Aux États-Unis, où ils sont environ 2,000,000, et dans tous les autres pays où ils sont dispersés, ils formeraient le corps d’opinion dont le parti pris, où l’intérêt du pays dont ils sont citoyens n’est pas en jeu, serait favorable à l’empire britannique. De même que la sage politique de l’Angleterre à l’égard de la Grèce au début du dix-neuvième siècle, et à l’égard de l’Italie au milieu du dix-neuvième siècle, a assuré à ce pays depuis lors la bienveillance des Grecs et des Italiens, où qu’ils se trouvent, de même l’aide apportée aujourd’hui à la réalisation de l’objectif de l’Union européenne.

L’idéal que les Juifs n’ont jamais cessé de chérir pendant tant de siècles de souffrances, ne peut manquer d’assurer, dans un avenir lointain, la reconnaissance dévouée de toute une race, dont la bonne volonté, dans les temps à venir, ne sera peut-être pas sans valeur.

Quelles sont les alternatives ?

(une) Annexion par la France. — Les intérêts français, qui sont considérables dans le nord de la Syrie, sont faibles en Palestine. Une compagnie française possède le chemin de fer de 54 milles de Jaffa à Jérusalem, mais cet intérêt pourrait sans doute être racheté pour une somme modique. Au-delà de cela, il n’y a pas grand-chose. Il y a des établissements monastiques français, mais peu de résidents français ailleurs. Le rapport du Département des Renseignements Egyptiens, qui a déjà été cité, est à l’effet qu’une annexion française serait mal accueillie pour les Juifs. Si, à l’issue de la guerre, la France récupère l’Alsace et la Lorraine, et obtient la plus grande partie de la Syrie, y compris Beyrouth et Damas, elle ne doit pas en vouloir à la Grande-Bretagne, à la Mésopotamie et à la Palestine. Son ancien protectorat sur les intérêts catholiques en Orient serait poursuivi par son leadership au sein de la Commission internationale qui contrôlerait les Lieux Saints.

(b.) Internationalisation. — Établir un gouvernement composé de représentants de toutes les puissances, ce serait mettre le pays sous une main morte. Des désaccords continus seraient inévitables et se traduiraient par des

rien n’étant fait pour le développement de la terre et le progrès du peuple. D’autre part, un statut de forme internationale donnerait l’occasion à l’influence allemande de pénétrer progressivement le pays. L’Allemagne a déjà été très active en Palestine. Elle y a dépensé des sommes considérables dans le but d’accroître son influence. Elle a fondé une banque, des colonies agricoles, des écoles, des hôpitaux. Après la guerre, exclue, dans une large mesure, de l’Extrême-Orient et d’autres parties du globe, elle pourrait bien concentrer une partie de ses énergies sur la Palestine. Dans vingt ans, le voisin de l’Égypte, ostensiblement internationalisé, sera peut-être tellement imprégné de l’influence allemande qu’il fournira un argument solide pour échapper à la domination allemande, chaque fois que la forme encombrante du gouvernement se sera manifestement effondrée et chaque fois qu’une nouvelle révision de la carte de l’Asie occidentale aura lieu. Un régime international a invariablement été une étape de transition vers quelque chose d’autre. Tant qu’elle dure, c’est un théâtre d’intrigues dans lequel quelques-uns ou tous les pays qui la contrôlent cherchent à préparer des réclamations en vue du jour où le changement prévu se produira. Dans ce cas, il peut s’avérer être un tremplin vers un protectorat allemand. Une telle éventualité serait aussi dangereuse pour la France dans le nord de la Syrie que pour l’Angleterre en Égypte.

(c.) Annexion à l’Égypte. — L’incorporation dans l’Empire britannique par cette méthode indirecte peut être jugée nécessaire pour se concilier le sentiment mahométan dans l’Inde et en Égypte. La constitution d’une Grande Égypte

probablement très acceptable pour le sultan Hussein et ses sujets mahométans. Mais cette politique introduirait des complications dans l’administration du pays, sans, semble-t-il, des avantages suffisants pour les contrebalancer. Il n’est pas non plus certain que l’arrangement soit préféré par les Arabes. Aux yeux des Juifs, cela offrirait un attrait beaucoup moins fort que la possibilité de la croissance d’un État juif sous la suzeraineté directe de la Grande-Bretagne.

(d.) Laisser le pays à la Turquie, mais avec quelques garanties pour un meilleur gouvernement et de plus grandes facilités pour la colonisation juive. – Concevoir de telles garanties et les rendre effectives serait une question d’extrême difficulté, comme l’a montré toute l’histoire moderne de l’Empire turc. Il est probable que l’adoption d’une telle politique laisserait la situation substantiellement inchangée. La question de savoir si elle serait en tout cas réalisable dépendrait de la disposition, après la guerre, des territoires situés au nord et à l’est.

La croissance graduelle d’une communauté juive considérable, sous la suzeraineté britannique, en Palestine ne résoudra pas la question juive en Europe. Un pays de la taille du Pays de Galles, dont une grande partie est constituée de montagnes arides et une partie dépourvue d’eau, ne peut pas contenir 9 000 000 d’habitants. Mais il pourrait probablement tenir avec le temps 3 000 000 ou 4 000 000, et un certain soulagement serait donné à la pression en Russie et ailleurs. Bien plus important encore

serait l’effet sur le caractère de la plus grande partie de la race juive qui doit encore rester mêlée avec d’autres peuples, être une force ou être une faiblesse pour les pays dans lesquels ils vivent. Qu’un centre juif soit établi en Palestine ; qu’elle atteigne, comme je crois qu’elle atteindrait, une grandeur spirituelle et intellectuelle ; et insensiblement, mais inévitablement, le caractère de l’individu juif, où qu’il se trouve, serait ennobli. Les associations sordides qui se sont attachées au nom juif seraient éliminées, et la valeur des Juifs en tant qu’élément de la civilisation des peuples européens s’en trouverait renforcée.

Le cerveau juif est un produit physiologique à ne pas mépriser. Pendant quinze siècles, la race a produit en Palestine une succession constante de grands hommes, hommes d’État et prophètes, juges et soldats. Si l’on donne à nouveau un corps dans lequel son âme peut loger, il peut de nouveau enrichir le monde. Jusqu’à ce que l’on accorde toute latitude, comme l’a dit Macaulay à la Chambre des communes, « n’osons pas dire qu’il n’y a pas de génie parmi les compatriotes d’Isaïe, pas d’héroïsme parmi les descendants des Maccabées ».

H.S. Janvier 1915

Simon Peter Hughes

Billinghurst Koavf

  1. 1.  https://en.wikisource.org
  2. 2.  https://www.creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0
  3. 3.  https://www.gnu.oug/copyleft/fdl.html
  4. 4. 

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