Présidentielle en RDC : à Pretoria, l’opposition à l’heure du choix

Réunis par une ONG sud-africaine, les lieutenants de cinq des 26 candidats à la présidentielle planchent à partir de ce 13 novembre sur une éventuelle candidature commune. Mais à moins d’une semaine du début de la campagne, le temps presse.

Manifestation anti-gouvernementale organisée par l’opposition et des membres de la société civile à Kinshasa, le 20 mai 2023. © REUTERS/Justin Makangara
Manifestation anti-gouvernementale organisée par l’opposition et des membres de la société civile à Kinshasa, le 20 mai 2023. © REUTERS/Justin Makangara
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Publié le 13 novembre 2023Lecture : 6 minutes

Le compte à rebours a déjà débuté. Dans six jours, les candidats à l’élection présidentielle seront appelés à prendre la route de la campagne, le début d’une tournée d’un mois à travers le pays qui doit aboutir au vote, prévu le 20 décembre. Mais seront-ils encore 26 sur la ligne de départ lorsque les 44 millions d’électeurs congolais se rendront aux urnes ?

À huis clos et dans un lieu tenu secret

Du 13 au 16 novembre, les représentants de cinq opposants –Denis Mukwege, Moïse Katumbi, Martin Fayulu, Delly Sesanga et Matata Ponyo Mapon – ont rendez-vous à Pretoria pour évoquer les contours d’une éventuelle stratégie commune. Réunis par In Transformation Initiative (ITI), une ONG sud-africaine fondée par d’anciens négociateurs de la fin de l’apartheid, ils échangeront à huis clos à Pretoria, dans un lieu tenu secret.

Les enjeux de ce conclave tels que résumés dans les invitations transmises par l’ITI – invitations que Jeune Afrique a pu consulter – sont sans ambiguïté : il s’agit d’évoquer « la possibilité d’avoir à la fois un candidat commun et une plate-forme électorale commune ». Le but, à l’issue de cette première phase, sera de réunir les candidats – a priori dès le 17 novembre, à l’avant-veille du début de la campagne – pour trancher sur les options sur lesquelles leurs lieutenants auront statué.A lire : 

Présidentielle en RDC : les discrètes tractations de l’opposition en vue d’une candidature commune

Voilà des mois que le sujet d’une union de l’opposition trotte dans l’esprit de plusieurs candidats. Nombre d’entre eux en parlent régulièrement. Les personnalités dont les délégués sont actuellement réunis en Afrique du Sud discutent depuis le début de l’année déjà sur les questions de transparence du processus électoral. Elles s’étaient réunies une première fois à Lubumbashi en avril. Denis Mukwege, dont les ambitions n’étaient à l’époque pas encore dévoilées, n’avait pas pris part à la rencontre, et cette mobilisation avait fini par faiblir quelques mois plus tard face aux divergences stratégiques de chacun.

Risque d’éparpillement des voix

Une question est néanmoins restée centrale : peut-on se passer, dans une élection à un seul tour, d’une candidature commune des principales figures d’opposition ? Face à un camp présidentiel qui affiche pour le moment un front uni, les poids lourds de la majorité comme Jean-Pierre Bemba ou Vital Kamerhe ayant choisi de faire campagne pour le second mandat de Félix Tshisekedi, un éparpillement des voix jouerait en principe en faveur du pouvoir sortant.

C’est cette même logique déjà qui avait poussé l’opposition à se réunir à Genève, en novembre 2018. À l’époque, les adversaires de Joseph Kabila avaient réussi à se rassembler autour de Martin Fayulu, avant que Félix Tshisekedi et Vital Kamerhe ne fassent route à part. Mais le contexte semble aujourd’hui bien différent. En 2018, deux prétendants de premier plan, Moïse Katumbi et Jean-Pierre Bemba, avaient été empêchés de se présenter. Cette fois-ci, tous les participants ont vu leur dossier validé par la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) et par la Cour constitutionnelle, ce qui rend inévitablement les tractations plus complexes.A lire : 

Katumbi, Fayulu, Mukwege… Face à Félix Tshisekedi, un « Genève bis » est-il possible ?

Car pour le moment, chaque participant défend la légitimité de son profil pour porter les ambitions de l’opposition. « C’est aussi le jeu de ce genre de négociations : il faut pouvoir arriver en position de force pour pouvoir prétendre obtenir quelque chose », assume l’un des candidats.

Mukwege peut-il faire marche arrière ?

Moïse Katumbi nourrit depuis des années des ambitions présidentielles. L’ancien gouverneur du Katanga, qui a quitté la majorité en 2022, se pose depuis des mois en challenger de Félix Tshisekedi, et son entourage se dit convaincu de pouvoir l’emporter dans les urnes dans le cadre d’un scrutin « crédible ».

Denis Mukwege, de son côté, a longtemps entrenu le suspense. Acceptera-t-il de faire marche arrière, maintenant qu’il s’est mis en retrait de ses fonctions à l’hôpital de Panzi et qu’il expose sa notoriété de prix Nobel ? Certains de ses conseillers affirment qu’un retrait est difficile à envisager compte tenu de la mobilisation en amont de ses soutiens – sa caution de 100 000 dollars a notamment été payée par des membres de la société civile.A lire : 

Présidentielle en RDC : Delly Sesanga ne fera confiance qu’au « décompte des Églises »

Delly Sesanga participe pour sa part à sa première élection présidentielle. Le député de Luiza (Kasaï-Central) assume pour le moment de ne pas faire d’une candidature commune une condition indispensable à la victoire de l’opposition. Ses proches estiment par ailleurs qu’une participation au scrutin de décembre « l’installerait dans un costume de présidentiable en vue de 2028 ».

Matata Ponyo en position délicate

Actuellement jugé par la Cour constitutionnelle dans une affaire de détournement de fonds, Matata Ponyo Mapon se trouve quant à lui dans une position plus délicate. Certains doutent qu’il accepte de quitter son costume de candidat pour éviter de se fragiliser alors même que son procès reprend ce 13 novembre.

Reste enfin Martin Fayulu, candidat malheureux de la dernière présidentielle, qu’il assure avoir gagnée. Revanchard, il a dérouté ces derniers mois en prônant un boycott qui ne disait pas son nom et qui s’est finalement soldé une candidature à la magistrature suprême. Après ce volte-face, peut-il renoncer à affronter Tshisekedi dans les urnes ?A lire : 

En RDC, des élections le 20 décembre, vaille que vaille

Dans ce contexte, difficile de savoir ce qu’il est légitime d’attendre de la réunion de Pretoria. « Nous y allons déjà pour nous mettre d’accord sur les règles du jeu », glisse l’un des participants. « En 2018, avec la même ONG, il fallait d’abord répondre à deux questions : la première était de savoir si l’on acceptait le principe d’un candidat commun ; la deuxième consistait à dire si l’on soutiendrait ou non celui qui serait désigné à notre place », explique l’un des candidats, pour qui il faudra avant tout « s’entendre sur la nécessité d’une union ».

Ruptures et désaccords

Et l’entente ne sera pas évidente car, en cinq ans, ces différentes personnalités ont souvent emprunté des chemins distincts, faisant parfois route commune, mais connaissant aussi ruptures et désaccords.

Martin Fayulu et Moïse Katumbi étaient ainsi alliés lors de la précédente élection avant que le second ne rejoigne la majorité en 2021, devenant ainsi l’objet des critiques du premier. Chez certains prétendants, la candidature tardive de Fayulu a suscité une pointe d’agacement, tout comme ses déclarations à Kikwit, en octobre dernier, lorsqu’il s’est lui-même posé en candidat commun de l’opposition. Côté Fayulu, on assure que cette déclaration a été mal comprise, tout en soulignant que la popularité de l’ancien chef de file de la coalition Lamuka « demeure intacte depuis le précédent scrutin ».A lire : 

Présidentielle en RDC : le pari difficile de Denis Mukwege

La figure moins politique de Denis Mukwege peut-elle servir de point de ralliement ? Au sein de l’opposition, des doutes subsistent sur sa capacité à générer une réelle dynamique sur le terrain en l’absence d’un parti politique établi. La question se pose aussi dans le cas d’un désistement : qu’aurait-il à négocier dans la mesure où son assise politique lui permet difficilement d’envisager une majorité dans les institutions ? Quant à Matata Ponyo, la procédure judiciaire qui le vise actuellement rend, aux yeux de certains, difficilement imaginable un ralliement derrière sa personne.

Plusieurs blocs ?

Face à tous ces questionnements, chacun y va donc de son propre scénario. Dans l’entourage de Katumbi, d’aucuns voient volontiers leur leader prendre la tête d’un bloc réunissant les personnalités originaires de l’est du pays – Denis Mukwege et Matata Ponyo – avant de chercher à convaincre d’autres plus influentes dans la partie ouest de la RDC.

Dans le camp de Martin Fayulu, on se dit plus en phase avec le profil de Denis Mukwege ou d’autres personnalités de la société civile qui postulent, comme l’ancien chef de file du mouvement citoyen Filimbi, Floribert Anzuluni. Delly Sesanga et Matata Ponyo assurent, eux aussi, pouvoir servir de point de ralliement.

La réunion de Pretoria pourrait donc donner lieu à la formation de plusieurs blocs en fonction des intérêts de chacun. Quelle qu’en soit l’issue, elle sera en tout cas scrutée par le pouvoir, qui affiche pour le moment une forme de sérénité, mais demeure conscient qu’une union de l’opposition bousculerait le rapport de force.

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