En RDC, Katumbi peut-il s’imposer comme le candidat commun de l’opposition ?
L’ex-gouverneur du Katanga a obtenu le ralliement de trois adversaires de Félix Tshisekedi. Mais d’autres poids lourds de l’opposition le soupçonnent de vouloir forcer la main des autres candidats, et le risque d’une impasse demeure.
Publié le 22 novembre 2023Lecture : 4 minutes.
Les participants espéraient sans doute une météo plus clémente pour leur première photo de famille, mais qu’importe, l’image est là. Le 21 novembre, au troisième jour de la campagne électorale, c’est sous la pluie de Buta, chef-lieu de la province du Bas-Uele, que Moïse Katumbi et ses nouveaux alliés, l’ancien Premier ministre Matata Ponyo Mapon, l’opposant Franck Diongo et l’entrepreneur Seth Kikuni, ont effectué leur première sortie publique.
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La veille, ces trois candidats ont officialisé dans un communiqué commun leur ralliement à l’ex-gouverneur du Katanga, présenté dans leur déclaration comme le « candidat capable de conduire l’opposition à la victoire ».
« Transcender les ego »
Le 19 novembre, jour du lancement de la campagne présidentielle, Matata Ponyo avait ouvert la voie en appelant l’opposition à « transcender [ses] ego et [ses] ambitions personnelles » pour se ranger derrière Katumbi.
Pour justifier son ralliement, l’ancien Premier ministre a fait référence aux conclusions de la réunion de Pretoria qui, du 13 au 17 novembre, a rassemblé ses délégués et ceux de Katumbi, Martin Fayulu, Delly Sesanga et Denis Mukwege pour définir les contours d’une éventuelle candidature commune. « À la suite de ces consultations, Moïse Katumbi se dégage comme le candidat pouvant conduire le ticket de l’opposition », a estimé Matata Ponyo dans sa déclaration.
« Devant le fait accompli »
Censée amorcer une dynamique autour de la candidature de l’ex-gouverneur du Katanga, cette prise de parole a été accueillie froidement par les autres participants de la rencontre de Pretoria. Si Martin Fayulu, qui semble pour l’instant déterminé à faire bande à part, n’a pas publiquement réagi, les entourages de Delly Sesanga et de Denis Mukwege ont rapidement pris leurs distances.
« La désignation du candidat commun requiert plus que jamais une concertation franche entre les candidats concernés », a commenté Albert Moleka, conseiller spécial de Denis Mukwege, sur X (anciennement Twitter) quelques minutes après la déclaration de Matata Ponyo.
Le 21 novembre, alors que Katumbi s’affichait avec ses nouveaux soutiens, Delly Sesanga commençait de son côté sa campagne dans la province du Kwango, tandis que Denis Mukwege rendait public son programme électoral. Signe que les négociations sont rompues ?
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« Nous discutons toujours, mais c’était malhonnête de faire référence aux conclusions de la rencontre de Pretoria. Il n’a jamais été question de parler du nom du candidat commun là-bas. Ces discussions devaient avoir lieu à Kinshasa », s’agace l’un des participants de la réunion. Pour ce dernier, la sortie de Matata Ponyo « visait à mettre les autres candidats devant le fait accompli ». « Ça ne sert pas la cause de l’opposition d’agir comme ça, par coups d’éclat », glisse-t-on dans l’entourage de Denis Mukwege.
« Katumbi a le plus de capacité »
Soupçonné d’avoir voulu forcer la main de ses collègues de l’opposition, l’entourage de Katumbi assure au contraire suivre les recommandations de la rencontre de Pretoria. Sur place, les discussions entre les délégués de chaque candidat (à l’exception de ceux de Martin Fayulu) ont abouti à la rédaction de trois documents : une déclaration d’engagement des leaders, un programme commun et un critérium de désignation du candidat commun.
Ce dernier comprend sept points, parmi lesquels « l’expérience dans la gestion de l’État », la « capacité de gestion », la « qualification intellectuelle » ou la capacité à « disposer d’une machine électorale ».
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« Nous avons fait notre travail, nous avons signé une lettre qui confirme que tous les documents adoptés ont valeur de documents consensuels. Tout le monde sait que celui qui répond le plus aux critères, celui qui a le plus de capacité, c’est Katumbi », estime un proche de l’ex-gouverneur. « Il n’y a pas que l’argent dans les critères », tacle en retour un proche d’un autre opposant.
« Éviter un vote »
À moins d’un mois du scrutin présidentiel, prévu le 20 décembre, les dissensions actuelles sont révélatrices des divergences que connaît l’opposition depuis plusieurs semaines. Elles traduisent aussi les difficultés rencontrées par les lieutenants des différents candidats lors des discussions de Pretoria.
Dès le premier jour, les participants ont notamment eu des échanges délicats autour des déclarations tenues à Kikwit, début octobre, par Martin Fayulu. Il s’est vu reprocher d’avoir critiqué ses collègues de l’opposition, de s’être lui-même positionné en candidat commun, voire d’avoir opéré un rapprochement avec Félix Tshisekedi, ce que ses délégués ont formellement démenti. Reste que ces derniers ont évolué en marge du reste des négociations qui ont eu lieu en Afrique du Sud, ne signant pas la lettre de confirmation finale.
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Mais d’autres écueils ont jalonné ces discussions, marquées par la volonté de ne pas reproduire le scénario de Genève, en 2018, lorsque Félix Tshisekedi et Vital Kamerhe avaient fini par prendre des chemins séparés après la désignation de Martin Fayulu comme candidat commun de l’opposition. « Nous avons voulu éviter de passer au vote pour ne pas revivre la même chose. Mais cela implique que l’on puisse avoir des discussions franches et d’éviter d’agir en sous-main », relate un participant de la rencontre de Pretoria.
« Faire preuve de réalisme »
« On ne peut pas empêcher les uns et les autres de continuer à négocier en coulisses, estime une source proche de la facilitation, pour qui ces négociations ont encore une chance d’aboutir. Delly Sesanga et Denis Mukwege pensent que Katumbi torpille les décisions prises à Pretoria. Nous sommes dans une discussion politique où chacun doit faire preuve de réalisme et se poser la question : que gagne-t-on à rester en dehors d’un ticket commun ? »
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Chacun assure pour le moment que les pourparlers se poursuivent entre les états-majors des différents candidats. Reste à connaître les arguments qu’ils mettront sur la table pour convaincre de la légitimité de leur candidature. Parmi les soutiens de Katumbi, on évoque volontiers la possibilité d’un poste « sur mesure » pour Denis Mukwege, spécialisé dans les questions de paix dans l’Est du pays. « Ces scénarios n’ont jamais été discutés entre délégués, balaye-t-on dans l’entourage du prix Nobel, qui finalise les contours de son itinéraire de campagne. C’est une campagne électorale et tous les coups sont apparemment permis. »