PLEBISCITE DE 2023 : POURQUOI  LA CLASSE POLITIQUE CONGOLAISE NE PEUT PAS SAUVER LE PAYS ?

Coordonateur du CET

Comme nous l’avons déjà mentionné dans une analyse sur la responsabilité de l’élite congolaise dans l’échec de l’édification nationale (« Les erreurs historiques de l’élite congolaise »), la qualité de l’élite est un facteur déterminant dans la réussite de l’édification d’un État.

A contrario, l’incapacité des membres de l’élite à surmonter leurs contradictions conduit à des désordres sociaux, voire à des guerres civiles. Cela a pour conséquence d’empêcher le développement harmonieux de l’État et peut aller jusqu’à menacer l’existence même dudit État.

À la veille de la tenue de ce énième cycle électoral, parmi la trentaine de candidats (certains ne disposant même pas d’un parti ou groupement politique), les représentants de cinq d’entre eux se sont retrouvés en Afrique du Sud pour réaliser une synthèse de leurs programmes de gouvernance et définir des critères pour la sélection d’un candidat commun devant battre le président sortant aux élections de décembre 2023.

Hélas ! Après cinq jours de négociations, c’est à un spectacle désolant auquel on assiste. La synthèse des programmes – où l’on a budgétisé 100 milliards de dollars  pour cinq ans– et les critères de sélection du leader sont mis au rebut. Chacun veut être l’homme à élire ! Et ce, sans la moindre considération pour la survie du pays, qui continue sa descente vers l’abîme.

Plusieurs raisons expliquent ce nouvel échec de la classe politique dans la recherche d’un consensus : (1) l’inexistence d’un leadership transformationnel ; (2) l’incapacité des élites politiques à choisir les priorités pour le pays ; (3) le manque de détermination pour mettre fin à l’accaparement des ressources par ladite élite.

Nous n’allons pas revenir sur certains aspects théoriques déjà maintes fois traités par le CET et qui peuvent être aisément retrouvés sur notre site. Nous ne prétendons pas être les seuls à bien réfléchir pour le pays, mais nous exposons nos idées aux critiques ; et même si parfois nous recevons en guise de  réactions, des insultes gratuites.

Avant d’entrer dans le détail des points ci-dessus évoqués, nous répondons aux nombreux compatriotes qui se demandent pourquoi le CET n’entre pas dans l’arène politique au Congo pour faire prévaloir la vision de Patrice Lumumba qui doit être parachevée, et ce, au lieu de demeurer un groupe d’opinions et d’actions de technocrates.

Il se trouve que la RDC n’est pas prête pour l’organisation d’élections crédibles et justes pouvant conférer sa légitimité à l’État. Il faut d’abord une période de transition technocratique pour remettre le pays sur les rails : cet objectif est précisément la raison d’être du CET. La légitimité de l’État sera en effet mieux acquise par l’augmentation de la capacité de l’État pour s’acquitter de ses tâches régaliennes, plutôt que par l’organisation d’un plébiscite.

Entrons dans le détail de notre propos :

Primo : De l’inexistence d’un leadership transformationnel

Il y a plusieurs styles de leadership. Certains sont destructifs, d’autres productifs, notamment les leaderships transformationnel et transactionnel. Le leadership dont notre pays a besoin est le leadership transformationnel.

Les dirigeants politiques transactionnels ont des visions qui correspondent au cycle électoral (  gouvernance à vue  de 2 à 5 ans). Ils  se concentrent principalement sur les mécanismes de l’accession ainsi que de la conservation du pouvoir pour eux-mêmes, leurs partis et leurs alliés politiques avec lesquels ils partagent des intérêts. Ils sont donc principalement engagés dans des transactions politiciennes. Les leaders transactionnels gouvernent, parfois bien, mais agissent toujours dans les cadres existants et dans des transactions d’intérêts des groupes politiques de type politicien (ex. : FCC, Union sacrée).

 

Les leaders transformationnels, quant à eux, modifient le cadre de la gouvernance. Ce sont des visionnaires accomplis, qui savent comment mobiliser les partisans et les citoyens derrière leur vision  long terme, et les amènent à comprendre que, pour matérialiser la vision en réalité, il faut suivre des étapes de transformation sous forme de programme(s)  ou plan de développement quinquennaux et décennaux. N’est-il pas malheureux  de constater que la RDC soit un des rare pays  parmi  les nation-Etats nés de la colonisation qui n’ait jamais conçu et exécuté un plan de développement durant toute son existence ?  Le dernier plan de développement du Congo remonte à l’époque coloniale (plan décennal de 1948-1958) !

 

La tâche de transformation  est plus aisée si le leader a une légitimité, cette dernière étant décrite par Max Weber comme « la capacité d’une personne ou d’un groupe à faire admettre [sans grande résistance] sa domination, son autorité sur les membres d’une communauté ou d’une société ».

 Une des voies pour qu’un leader ait la légitimité est l’obtention d’un statut institutionnel d’autorité, par le biais d’un système de lois et normes acceptés par la majorité des citoyens : le suffrage universel.  Toutefois, quand le système électoral n’est pas crédible, inclusif et transparent, on ne peut pas s’attendre à la légitimité à travers cette procédure. D’où l’importance de veiller d’abord  à la mise en place de structures et procédures efficaces pour l’organisation de véritables élections, au lieu de précipiter les citoyens vers des plébiscites qui sont contestés avant même la proclamation des résultats.

Deux autres éléments contribuent au leadership transformationnel : la prudence et le courage. La prudence, c’est s’abstenir d’entrer en guerre lorsque les chances de victoire sont faibles. Un leader doit donc posséder des capacités cognitives adaptées pour analyser les problèmes du pays et anticiper leurs conséquences (il faut garder à l’esprit les conséquences destructrices pour le pays des nationalisations et zaïrianisations au temps de Mobutu).

Quant au courage, comme l’avait déclaré le Président américain John  Kennedy dans un de ses célèbres discours, un bon leader doit certes savoir tenir tête aux ennemis du pays, mais, s’il le faut, il doit aussi savoir résister à l’opinion publique, aux conseillers, et éviter la cupidité et le narcissisme. Ainsi, un leader transformationnel n’est pas un dirigeant populiste.

Patrice Lumumba, malgré sa courte vie sur la scène politique, était un leader transformationnel. Sans son combat politique pour la préservation de l’unité du Congo, combat reconnu (même par le Roi des Belges  en 2021 !) et  poursuivi après sa mort par ses disciples, les lumumbistes, la RDC aurait cessé d’exister en 1961 (cf. conférence de Tananarive).

Parmi les leaders transformationnels en Afrique, on peut aussi citer Nelson Mandela, dont la vision à long terme a favorisé l’émergence d’une nation en Afrique du Sud incluant les noirs et les blancs.

Le CET préconise le leadership transformationnel  pour la poursuite de l’œuvre inachevée de Patrice Lumumba dans l’édification nationale. Il faut souligner ici que le style de leadership transformationnel n’est pas inné. Leader doit apprendre à le devenir ; et  ce même si certaines prédispositions peuvent lui faciliter la tâche.

Secundo : De l’incapacité des élites politiques à choisir les priorités pour le pays 

La RDC a certes beaucoup de problèmes, et beaucoup de priorités. Pour résoudre les problèmes, il faut procéder à un diagnostic basé sur des éléments objectifs et savoir hiérarchiser les priorités car le temps et les ressources sont toujours limités. Nous avons fait nôtre le diagnostic suivant de la Banque mondiale :

L’instabilité politique installée depuis des décennies, en l’absence d’un système exécutif fort capable d’imposer des sanctions efficaces, est la première cause de l’échec de l’édification nationale. […]Le consensus général est que, à moins qu’une action décisive ne soit menée, la RDC ne sera pas capable de rompre avec le cycle de corruption qui aggrave la fragilité des institutions et la pauvreté.

Sortir notre pays de l’instabilité devrait  être l’ultime des priorités. Dans un climat d’instabilité, le développement est tout bonnement impossible. Cependant, sans sécurité [un facteur important de l’instabilité] et  possibilité de développement pour ses populations la raison d’être d’un Etat disparait.

 Toutefois,  depuis 1960, il n’y a jamais eu ne serait-ce que 10 années sans instabilité provoquée par une crise violente en RDC. Or, d’après les études des experts : « Les effets de la violence sont durables. Pour les pays qui ont subi la guerre civile, 14 années de paix sont nécessaires pour renouer avec les niveaux de croissance initiaux ».

Une analyse de PIB par habitant nous révèle que de 1960 à 2000, le PIB par habitant de la RDC est passé de 1240 dollars constants à 260 en 2000, alors que ceux  de l’Egypte et de l’Indonésie pays qui n’ont pas connu de grande déstabilisation malgré des crises ont varié  respectivement durant la même période de 750 dollars  constant à 2252 et  de 597 dollars constant  à  1845 [ valeurs de PIB multiplié par 3 !].

C’est seulement après 2001 que la situation a commencé à se redresser en RDC, mais fébrilement du fait de l’accaparement des ressources par les élites.

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Le principal objectif de tout Etat étant de garantir la sécurité et d’offrir la prospérité a ses habitants, la recherche des solution pour l’instabilité  qui empêche la RDC de progresser par rapport aux autres pays  (comme le montre l’analyse comparative de l’évolution de notre PIB par rapport a ceux de l’Egypte et de l’Indonésie)  devrait être la préoccupation de tout patriote congolais notamment ceux qui prétendent à la magistrature suprême. Malheureusement, certains tendent même à l’exacerber ; et ce au nom du patriotisme.

Pour guérir notre pays de l’instabilité chronique, nous devons d’abord analyser les soubassements de cette instabilité. Au lieu du concept binaire « stable ou instable », les décideurs, analystes et chercheurs au sein de la communauté internationale privilégient, depuis deux décennies, le concept de fragilité de l’État. L’indice de fragilité de l’État est une mesure composite formée de 12 indicateurs permettant d’analyser finement les raisons pour lesquelles un État est vulnérable et très facilement déstabilisable par des crises (qu’elles soient d’ordre naturel, financier, politique ou sécuritaire), et ce, par rapport à d’autres États.

Ci-dessous, un tableau conçu par l’auteur, constitué des 10 indicateurs pour six pays : la RDC, l’Éthiopie, le Nigeria, l’Angola, l’Égypte et l’Inde.

 L’analyse des données de ce tableau permet de conclure ce qui suit :

  1. La RDC a le plus grand score de fragilité des six pays. De façon globale, c’est d’ailleurs le quatrième État le plus fragile de la planète pour l’année 2023.
  2. Les plus grands facteurs de fragilité de l’État congolais sont moins la mauvaise performance économique (légèrement meilleure que celles du Nigeria et de l’Angola) ou la défaillance de l’appareil sécuritaire (légèrement meilleure qu’au Nigeria) que la pression démographique [taux de croissance démographique très élevé], le fractionnement des élites, les griefs collectifs ou communautaires, le manque de légitimité de l’État et l’insuffisance des services publics pour la population.

La résolution de ces éléments doit constituer la priorité pour résoudre le problème de l’instabilité.

Tertio : Du manque de détermination pour mettre fin à l’accaparement des ressources par l’élite

La deuxième cause de la déchéance de notre pays, liée à l’instabilité, demeure l’accaparement des ressources publiques par l’élite. La volonté de l’accaparement des ressources publiques est très forte auprès des membres de l’élite et se traduit par le gonflement irrationnel des projets des budgets par les candidats à la présidentielle.

Ci-dessous, un extrait du diagnostic de la Banque Mondiale, document déjà publié sur notre site :

« Cet accaparement se manifeste par un système qui tend à détourner le processus de prise de décision au profit de certains individus […]. La RDC se trouve dans une situation où les connexions politiques sont utilisées pour détourner des ressources qui sont, à leur tour, exploitées pour perpétuer les dominations politiques et sociales […]. L’accaparement des ressources par les élites induit une corruption à tous les niveaux, grevant lourdement la capacité des services publics à offrir les services de base, et continue d’entraver les perspectives de développement de la RDC. »

Par accaparement, on n’entend pas seulement l’appropriation illégale des ressources financières (détournement). Quand  les dirigeants politiques utilisent la justice et la police pour arrêter et  persécuter les opposants, il y a  accaparement des ressources publique par l’élite au pouvoir. Néanmoins, pour faciliter la compréhension, nous allons nous limiter  au cas d’accaparement des ressources financières de l’Etat.

Selon Hugues Leclercq, dans son livre sur l’économie congolaise après 1960, la cause unique du désordre monétaire que la RDC connaîtra dans la période postcoloniale est à rechercher dans le déficit permanent et important des finances publiques.

Le financement du budget de l’État est devenu le principal mécanisme de l’accaparement des ressources financières par l’élite congolaise. Cette conclusion est corroborée par l’étude faite par Jean-Philippe Peemans (cf Le Congo-Zaire au gré du XXe siècle).  

En effet, pour  l’économiste de renom précité (Pr émérite de l’Université de Louvain), de 1960 à 1965, alors que le PIB n’avait cessé  de décroitre depuis 1958, le salaire nominal dans l’administration publique passait de 100 à 476. En conséquence, « la petite bourgeoisie bureaucratique voyait sa part du revenu national augmenter considérablement et elle atteint 21 % en 1965 ». Depuis, cette culture de l’accaparement s’est encore davantage enracinée et développée. La proportion a atteint aujourd’hui 70 % !

Cette pratique  de l’élite [petite bourgeoise bureaucratique congolaise] pour soutenir le clientélisme a, certes, commencé depuis la première république. Toutefois, il serait tout à  fait erroné  de vouloir  la coller à Lumumba et aux lumumbistes. La position de Lumumba était bien connue et elle est bien documentée.

Dans le texte de son premier discours à la nation, Patrice Lumumba avait mis en garde l’élite contre la tendance à vouloir  des augmentations des salaires avant que le programme de développement du pays ne commence à porter ses fruits. L’histoire est connue. Le Ministre Nkaya de l’Abako introduisit un barème de salaire très alléchants aux parlementaires en triplant le salaire proposé  par le législateur belge. Et ce sans passer par le Conseil des Ministres.

 Dans un entretien avec Jean-Claude Willame, Hugues Leclercq, qui avait été conseiller au ministère des Finances en 1960, a écrit ce qui suit :

« Dans ce ministère, qui était un fief mukongo, donc très proche de Kasa-Vubu, on admirait beaucoup Lumumba et on lui donnait le plus souvent raison. S’il avait fallu cependant choisir entre le Premier ministre et le chef d’État, il était clair que c’était le second qui l’aurait emporté, car il inspirait un sentiment de sécurité. » (cf Willame (1991) p.218)

Au parlement, bien que les lumumbistes vainqueurs aux elections avaient des élus dans toutes les provinces [même au Katanga sur la liste de Balubakat]  le MNC ne disposait que de 41 députés sur 132. Les autres partis progressistes (CEREA, PSA et Balubakat) ensemble n’avaient que 30 députés, et il y avait des dissensions au sein de ces partis. Par ailleurs, Patrice Lumumba  était contraint par la Belgique de constituer un gouvernement d’union nationale avec la participation de tous ses ennemis politique.  Le President du Sénat Joseph Iléo qui n’avait même pas réussi à se faire élire comme député mais qui deviendra un sénateur de l’Equateur par désistement d’un Chef coutumier de cette province, devenait le cheval de Troie (premier politicien congolais à avoir demandé aux américains des armes pour assassiner Lumumba).

Il est donc vain de prétendre que c’est Lumumba ou les Lumumbistes qui avaient initié  cette pratique de gonflement des budgets pour satisfaire le personnel politique. Toute la documentation prouve le contraire. D’ailleurs, après la fermeture du parlement par Mobutu, en novembre 1960, un autre barème avait produit des augmentations de salaire pour attirer les parlementaires lumumbistes, dont la plupart étaient déjà à Stanleyville ! Cette fois le salaire nominale du député congolais devenait cinq fois celui du député belge ! C’était donc une pratique clientéliste mise en place par les politiciens pro-occidentaux et leurs conseillers européens pour isoler les lumumbistes.

Le fait que même les nouveaux candidats se préoccupent aujourd’hui beaucoup plus, de façon irrationnelle, de l’augmentation de budget de l’État (notamment Fayulu) prouve que la RDC n’a pas encore de leaders politiques capables de sortir le pays du gouffre.

En effet, selon les experts internationaux, une proposition de budget national dont l’augmentation dépasse 15 % par année est irréaliste pour la préservation de l’équilibre macroéconomique à moins qu’il y ait de nouvelles ressources contributrices au PIB (par exemple l’exploitation du Pétrole en Angola en 1992).

La matérialisation de l’augmentation des ressources publiques ne peut se faire par des slogans. Entre la conception des réformes, leur adoption au parlement et leur début d’exécution, il faut compter au moins trois ans. A titre d’exemple, le nouveau code minier et les investissements miniers conçus par le régime Kabila, entrepris en 2015, n’ont commencé à porter leurs fruits qu’en 2019.

Sans ressources nouvelles, il est donc irrationnel de concevoir des augmentations budgétaires annuelles allant de 18 (budget déjà accepté au parlement) à 54 milliards de dollars (comme le proposent étonnamment de célèbres candidats pour se faire élire) sans recourir à la planche à billets et à l’extension de la dette extérieure du pays ; et ce, avec les conséquences que l’on sait : hyperinflation et dépréciation monétaire, comme au temps de Mobutu.

Le CET croit que le gonflement irrationnel des budgets pour satisfaire les élites risque  de tuer encore une fois l’économie la RDC et que ceux  qui portent ce courant mobutiste  doivent être dénoncés. Le budget de l’Etat doit servir davantage  à améliorer la capacité de l’Etat plutôt qu’entretenir le clientélisme politique.

Au-delà du budget de l’État, nous disons que tout accaparement (licite ou illicite) des ressources  financières, matérielles ou humaines de l’État doit cesser.

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