Entre Tshisekedi et Kagame, l’Angola tente une médiation de la dernière chance
Le président congolais s’est rendu à Luanda, le 27 février, pour échanger avec son pair angolais, Joao Lourenço. Objectif : évoquer les conditions d’un dialogue bilatéral avec le président rwandais Paul Kagame. Il est temps : le conflit se régionalise.
Publié le 28 février 2024Lecture : 4 minutes.
Voilà des mois qu’ils ne s’étaient retrouvés dans une même pièce. Le 16 février, à Addis-Abeba, Paul Kagame et Félix Tshisekedi étaient réunis à l’initiative du président angolais, João Lourenço, en compagnie de plusieurs de leurs homologues, dont le Sud-Africain Cyril Ramaphosa et le Kényan William Ruto.A lire :
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Alors que les rebelles du M23, accusés d’être soutenus par l’armée rwandaise, continuaient de progresser en direction de Sake, menaçant ainsi d’asphyxier un peu plus la ville de Goma, la rencontre, qui visait à trouver une issue au conflit qui oppose le Rwanda à la RDC, a tourné court. À peine plus d’une heure après l’ouverture des débats, le président Lourenço a été contraint d’écourter les échanges.
Un dialogue direct Tshisekedi-Kagame ?
En dépit de ce bilan mitigé, le chef de l’État angolais a poursuivi ses efforts de médiation. Dès le lendemain, il a reçu séparément ses pairs congolais et rwandais, qu’il a convaincus de prolonger les discussions. Objectif : engager un dialogue direct. Et c’est Félix Tshisekedi qui s’est rendu à Luanda le premier.A lire :
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Le 27 février, le président congolais s’est entretenu pendant plus de trois heures avec son hôte angolais. Aucun des deux hommes ne s’est exprimé à l’issue de leur tête-à-tête, mais Tete António, le ministre angolais des Affaires étrangères, a affirmé que Félix Tshisekedi avait accepté le principe d’une rencontre avec Paul Kagame. Le chef de la diplomatie angolaise a précisé, sans plus de détails, que son pays « travaillerait [à préparer les] autres étapes afin de rendre cette rencontre possible ».
« Réduire les capacités aériennes »
Du côté de Kinshasa, Félix Tshisekedi, qui se dit hostile à des négociations directes avec le M23, pose toujours comme préalable à toute rencontre avec son pair « le retrait du territoire congolais des troupes rwandaises et le cantonnement des rebelles ».
Les Rwandais, qui ont longtemps contesté leur implication aux côtés du M23, continuent de dénoncer l’étroite collaboration de l’armée congolaise avec divers groupes armés, dont les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR). Cette collaboration, comme celle entre l’armée rwandaise et le M23, a été largement établie par le groupe d’experts de l’ONU. Du point de vue de Kigali, le conflit en cours est intra-congolais, et devrait se régler par un dialogue entre les autorités et le M23 – ce que Kinshasa exclut.
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Agacées par les propos de Félix Tshisekedi qui, pendant la dernière campagne électorale, s’était dit prêt à les attaquer, les autorités rwandaises ont réaffirmé à maintes reprises que leur pays se défendrait. Le 18 février, dans un communiqué, elles ont même assuré avoir « pris des mesures pour […] réduire les capacités aériennes de la RDC ».
Drones chinois neutralisés
L’entrée en scène des drones CH4 chinois, que la RDC a acquis l’année dernière, a en effet contribué à tendre la situation sur le terrain. Ces appareils ont notamment permis, en janvier, de neutraliser le chef du renseignement du M23. Au nombre de trois en décembre 2023, ils sont désormais tous hors d’usage. À la mi-février, l’ONU s’est alarmée d’une « escalade des forces conventionnelles engagées dans le conflit dans l’est de la RDC » et a accusé en particulier le Rwanda d’avoir utilisé des missiles sol-air.
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L’autre facteur susceptible d’envenimer la situation est la régionalisation du conflit. Frustré par l’inaction de la force déployée, à la fin de 2022, par la Communauté d’Afrique de l’Est (EAC) et dont il espérait un mandat plus offensif, Félix Tshisekedi entend finaliser, dans les prochaines semaines, le déploiement de celle de la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC). Les effectifs de la SAMIDRC, estimés à 5 000 hommes, sont composés de soldats de la Tanzanie, du Malawi et d’Afrique du Sud. Cette force suscite également l’inquiétude de Kigali, qui lui reproche son attitude belliqueuse.
Un axe RDC-Burundi-Afrique du Sud ?
Cette accusation se nourrit du fait que l’Afrique du Sud, avec qui Kigali entretient des relations difficiles depuis plusieurs années, joue un rôle moteur dans cette force régionale. Son commandement a d’ailleurs été confié à un Sud-Africain, le général Monwabisi Dyakopu. Le 12 février dernier, Cyril Ramaphosa s’est en outre engagé à déployer 2 900 soldats dans l’est de la RDC.A lire :
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L’activisme de Pretoria est vu d’un mauvais œil à Kigali. Malgré une ébauche de rapprochement, en 2018, Paul Kagame et Cyril Ramaphosa restent distants. Ces dix dernières années, plusieurs dossiers ont en effet empoisonné les relations bilatérales, à commencer par l’assassinat, en 2014 à Johannesburg, de Patrick Karegeya, l’ancien chef du renseignement rwandais devenu opposant.
Relations glaciales avec Gitega
L’autre partenaire clé de Kinshasa n’est autre que le Burundi, avec lequel Paul Kagame entretient des relations glaciales. Évariste Ndayishimiye accuse entre autres son pair rwandais de soutenir les rebelles du Red-Tabara, qui ont mené une attaque sur le sol burundais à la fin de décembre 2023, puis le 25 février. Kigali nie toute collaboration avec ce groupe armé basé dans l’est de la RDC, et s’agace, parallèlement, de voir l’armée burundaise s’impliquer aux côtés des FARDC et de leurs alliés qui combattent le M23.
Ces dernières semaines, les présidents congolais, sud-africain et burundais se sont réunis plusieurs fois. L’une de ces rencontres a été organisée en marge du sommet de l’Union africaine à Addis-Abeba. La dernière s’est tenue le 25 février, à Windhoek (Namibie), où se déroulaient les obsèques du président, Hage Geingob.
Selon un participant, cet entretien visait à améliorer la « collaboration [entre les différentes armées] et l’harmonisation opérationnelle au sein de la force ». Mais, à Kigali, cette collaboration croissante entre la RDC, l’Afrique du Sud et le Burundi est perçue comme une menace.
Plusieurs sources confirment, par ailleurs, que la SAMIDRC est confrontée à des difficultés de financement. Enfin, deux sources sécuritaires précisent que le Burundi réfléchit à faire passer ses contingents sous pavillon SAMIDRC, alors que le pays n’est pas membre de la SADC.