Du noble combat des continuateurs de Lumumba

Quantité de cadres congolais ignorent la contribution des lumumbistes pour la préservation du Congo dans ses frontières du 30 juin 1960.  Par lacune des connaissances, certains affirment même que Mobutu l’ennemi des nationalistes Congolais  aurait été un lumumbiste !

Bref aperçu sur l’origine du « lumumbisme »

Pour des raisons de pédagogie, commençons par un bref aperçu sur le lumumbisme.

Le 10 juin 1960, Patrice Lumumba a fédéré ses forces politiques (41 députés) avec celles des dirigeants progressistes du PSA (Antoine Gizenga, 14 députés), du CEREA (Anicet Kashamura, 10 députés) et de la Balubakat (Rémy Mwamba, 7 députés) en créant l’Alliance nationale (congolaise) ou l’Alliance des nationalistes, dont les objectifs furent :

(1) formation d’un gouvernement central anticolonial/antinéocolonial ; (2) sauvegarde de l’unité politique et économique du pays ; (3) combat contre les manœuvres de division tribales et de séparatisme susceptibles de provoquer des troubles sociaux dans le pays et l’éclatement du Congo ; et (4) défense, au sein des institutions nationales, d’une politique commune, tant sur le plan de la politique générale que sur le plan économique et social. (cf. W. J. Ganshof, 1963, p. 224)

Ainsi naquit l’Alliance des nationalistes, qui sera connue plus tard comme l’Alliance des lumumbistes et qui permettra à Patrice Lumumba de réunir la majorité nécessaire pour être désigné formateur du gouvernement en juin 1960. L’idéologie politique des nationalistes lumumbistes était ainsi initialement fondée sur les quatre principes cardinaux ci-dessus énumérés. Était  donc reconnu comme « lumumbiste » celui qui reconnaissait ces principes cardinaux.

De la différence entre « suiveur » et « disciple »

La théorie des organisations nous apprend qu’au sommet d’une organisation politique, se trouve toujours un leader  entouré des individus pouvant être différenciés  principalement en deux groupes suivant leurs engagements vis-à-vis des objectifs organisationnels :  suiveurs  et  disciples du leader.

En effet, un suiveur  est quelqu’un qui admire et soutient une personne, un groupe, mais qui n’a pas nécessairement une compréhension ou un engagement profond de la cause défendue. Il peut suivre par commodité, par pression sociale ou par curiosité.

Un disciple, quant à lui, est quelqu’un qui non seulement suit, mais qui accepte et aide également à répandre les doctrines dont il est question.

Avant la mort de Lumumba, étaient donc identifiés comme  disciples de Lumumba ceux qui suivaient les principes cardinaux ci-dessus évoqués de l’Alliance des nationalistes congolais ; et ce, indépendamment de leurs partis politiques et de leurs origines tribales et s’étaient impliqués pour rependre la doctrine. A titre d’exemple, citons Antoine Gizenga, Pierre Mulele, Christophe Gbenye, Anicet Kashamura, Rémy Mwamba, Victor Lundula, Joseph Mbuyi, Maurice Mpolo, Joseph Okito (vice président du Senate), and Barthélemy Mujanay, Thomas Kanza.  Par contre, Joseph Mobutu et Damien Kandolo et autres membres du MNC-L bien qu’ayant été  aussi  dans l’entourage de Lumumba jusqu’au début du mois de juillet 1960  n’avaient pas des convictions aux principes cardinaux de l’alliance n’ont jamais  dépassé  le niveau de suiveur.

C’est parce  Patrice lumumba  a su partager avec ses disciples sa vision de l’unité nationale contenue dans  les principes cardinaux  de l’Alliance des nationalistes qu’il est reconnu comme leader politique transformationnel des nationalistes congolais.

Nous devons souligner ici qu’il n’existe pas de leader sans disciples. Les disciples de Lumumba ont contribué à la matérialisation de la vision de Lumumba ; et ce, même après la disparition physique de celui-ci. Ils sont les continuateurs de Patrice Lumumba.

Les lumumbistes après le double coup d’État de septembre 1960

Expansion du control lumumbiste au Nord Katanga

Dès la proclamation de la sécession katangaise, au nord Katanga, de larges couches de la population  sous le leadership du Cartel Balubakat et du MNC-L refusent de se soumettre au diktat  du régime sécessionniste de Tshombe. Des mercenaires et des anciens nazis sont recrutés  pour encadrer la milice armée de Tshombe afin de tenter de soumettre ces couches de population à l’État sécessionniste.

Dans Sécession au Katanga[i], Gerad Libois  rappelle un article de l’agence Reuters du 11-aout 1960 qui avait été  le tout  premier à prédire l’imminence  des violences de masses :

 « selon de bons observateurs, les mouvements de non-coopération [non-soumission] avec les autorités tshombistes sont profonds. Faisant pression sur les chefs locaux contre leurs éventuels ralliements aux autorités d’E’ville. »

Cette information est corroborée par   l’interview du journaliste belge de Pierre Davister qui s’était rendu à Manono au Nord Katanga durant cette période  où il avait  interviewé un député provincial accompagne d’un chef local de Balubakat ;

Ci-dessous un extrait de cette interview tirée  du Livre Katanga l’enjeu du monde :

Ainsi donc dès le début du mois de septembre 1960 des opérations militaires de répression sont montées contre les populations Baluba qui ont opté pour la désobéissance civique par des officiers ou sous-officiers belges passés de l’ancienne Force publique ou de Comettro (troupes métropolitaines) au service de la Gendarmerie Katangaise sous le commandement du major belge Crèvecœur. La  répression aveugle prepara les membres de « jeunesses » à la révolte. 

Le 6 septembre, le lendemain de la révocation de Lumumba, l’insurection eclata. Une colonne de la Gendarmerie Katangaise  tomba dans une embuscade de « jeunesses » Balubakat  dans la région de Malemba-Nkulu. Une dizaine de membres de la Gendarmerie parmi lesquels un capitaine et un adjudant belges furent tués. En représailles les avions  mitraillèrent et bombardèrent des villages entiers !

Des missions furent envoyées en Belgique, en France et en Grande-Bretagne pour recruter des mercenaires. Des centaines d’Européens dont certains avaient participé  aux guerres de Corée, d’Indochine  et d’Algérie. Seront ainsi engagés pour venir massacrer les Congolais. Les descriptions suivantes  tirées  des articles de deux journaux belges  dénotent  le degré de sauvagerie  de ceux qui voulaient imposer l’ordre sécessionniste au Katanga 

Expansion du control Lumumbiste  au Kivu

La consolidation militaire du régime lumumbiste au Kivu commence à la mi-décembre. En effet, une compagnie de l’ANC-(Londula) issue de Stanleyville est venue à Bukavu pour arrêter le major Singa, commandant de Bukavu, dès son retour d’un voyage à Léopoldville (voyage effectué à l’insu de l’état-major du troisième groupement à Stanleyville, dont il dépend hiérarchiquement). Le président provincial Miruho, voulant intervenir en sa faveur, est également arrêté. Les deux prisonniers sont transférés à Stanleyville. Mais une partie des soldats venus de Stanleyville demeurera à Bukavu.

Kasa-Vubu et Mobutu, affectés par ce retournement de la situation, décident d’utiliser les grands moyens pour redorer leur blason. La Belgique et les États-Unis veulent que les pro-occidentaux dominent. Depuis octobre, les « para-commandos » de Mobutu sont entraînés par des officiers belges en remplacement des Marocains. Le conseiller officiel de Mobutu, le colonel Marlière (que Mobutu choisira plus tard  comme parrain de son fils !), ancien officier belge de l’ancienne Force publique, demeurée aux côtés de Mobutu depuis le 8 juillet 1960, veille au grain. En vérité, c’est Marlière qui dirige les troupes de Mobutu que les Occidentaux choisissent de diriger contre les lumumbistes, au lieu de les envoyer se battre au Katanga : c’est au Kivu qu’il faut les diriger.

Le 28 décembre, Mobutu et ses forces expéditionnaires se déplacent par avion de Léopoldville à Luluabourg. Il fut dit que les troupes allaient y faire un défilé, à l’occasion d’une visite du président Kasa-Vubu. Le 30 décembre, de Luluabourg, les soldats ghanéens de l’ONU signalèrent le départ des avions transportant les troupes pour Usumbura (Bujumbura), au Rwanda-Urundi, contrôlé par la Belgique. À l’aéroport de Usumbura, des camions attendaient pour le transport de ces militaires jusqu’au pont de la Ruzizi à Shangugu en face de Bukavu. Le 31 décembre à 4 heures du matin, ces troupes traversent la frontière et attaquent Bukavu. Les soldats nigérians de l’ONU présents à Bukavu ont rapporté la présence d’officiers blancs de la Force publique qui avaient été initialement au camp Saio avant les événements liés à l’africanisation des cadres, ainsi que la présence d’un avion petit porteur répandant des dépliants écrits en lingala pour demander aux populations d’accueillir les militaires de Léopoldville. L’attaque dura une petite heure avant la débandade des assaillants. Certains d’entre eux se replièrent au Rwanda [notamment Nendaka], d’autres cherchèrent refuge au bâtiment de l’ONU. Plus de cent cinquante, dont le « vaillant » major Pongo Gilbert, qui s’était fait un nom en convoyant Patrice Lumumba menottes aux poings et sous les coups de la soldatesque de Mobutu, furent faits prisonniers.

Une fois de plus, la preuve de l’interventionnisme belge pour déstabiliser le Congo était établie. Sommé de s’expliquer par le Conseil de sécurité de l’ONU, le gouvernement belge forgea une explication très risible : surprises par le débarquement des troupes congolaises à Usumbura par avion, les autorités belges ont choisi de les expulser au Congo, à Bukavu (à 100 km) ! Or, il existe une frontière congolaise en face d’Usumbura, à Uvira.

Tentative d’intervention de l’OTAN

Ainsi donc depuis le début de l’année  1961,il était apparent pour  les officiels américains de Léopoldville  que sur le plan politique aussi bien que militaires les poulains des Occidentaux ne savaient pas tirer leur épingle du  jeu.

En effet, sur le plan politique, par son attentisme de Joseph Kasa-Vubu  n’a pas profité de la victoire diplomatique lui offerte à l’ONU pour former un gouvernement, prétextant toujours attendre la conférence d’une table ronde bis dont la participation des dirigeants sécessionnistes viendrait légitimer les  forces politiques anti-lumumbistes ou  pro-occidentale pour créer une nouvelle structure éclatée du Congo ex-belge.

Sur le plan militaire, le souci  des Occidentaux  l’était  plus encore face  à  l’incapacité avérée de Mobutu à contrer l’expansion  militaire du régime Lumumbiste alors que Patrice Lumumba était en détention. Estimant  que le succès des lumumbistes sous  le leadership de Gizenga  et Lundula  serait  dû, au moins en partie,  à l’assistance invisible  des conseillers  étrangers,  ils  décidèrent  de peser de tout leur poids afin de   rétablir l’équilibre, mais sans trop  s’exposer à la communauté internationale. 

Avant le désastre de l’armée de Mobutu [assistée  par des éléments de l’armée belge] à Bukavu les américains  avaient même  déjà  discuté de la possibilité de fournir une aide secrète à Mobutu pour des opérations militaires plus efficace contre les forces lumumbistes. Toutefois, il existait une divergence de vues entre l’ambassade à Léopoldville et  les responsables à Washington concernant la visibilité de l’aide.  Ces derniers étaient très sensibles aux  risques politiques impliqués au niveau de la communauté internationale.

Ainsi   pour tenter de renforcer l’armée contrôlée par Léopoldville, sous le parrainage de la France, de la Belgique ainsi que de la Grande-Bretagne  Jean Marie Bomboko  avait été  l’invité de la réunion de l’OTAN  tenue à Paris en début janvier au cours de laquelle  il présenta sa requête d’assistance  financière et militaire  comprenant une demande d’aide de  quinze mille fusils automatiques et munitions ainsi que d’une centaine d’officiers  européens pour entrainer l’ANC de Mobutu en remplacement du contingent marocain qui se retirait.

La crise congolaise était donc en train de prendre la même dérive  que celle de Corée ou de Vietnam qui commencèrent toujours par la livraison d’armes et  l’affectation des centaines des conseillers militaires.

  La Belgique accepta la demande [qui d’ailleurs avait été préparée par ses conseillers !], mais conditionnait sa réponse définitive  par une décision des USA. Mais pour les USA dont l’administration était fin mandat, il fallait être prudent [une similarité avec l’hypocrisie dans l’aide des pays occidentaux a l’Ukraine] ; car le feu vert à une telle action constituerait  une violation flagrante des décisions du Conseil de sécurité  et entrainerait certainement  l’intervention de l’URSS du côté des Lumumbiste. Ce qu’il fallait éviter.

 Expansion du control Lumumbiste  au Kasai et dans l’Equateur

Consécutivement à  leurs succès fulgurants au Kivu et au Nord Katanga, les autorités de Stanleyville  répondent à la population  du  Kasaï en occupant Luluabourg ensuite contre attaque dans la province de l’Équateur  ou Mobutu avait masse ses troupes.

Mieux organisées, malgré leurs faiblesses sur le plan numériques, mais soutenues par la population, les troupes  de l’ANC-Stanleyville sous le  commandement du General  Lundula s’imposèrent dans la libération.

…Il semble que les troupes en provenance  de Stanleyville  via Kindu et Lodja transportée jusqu’aux faubourgs de Luluabourg dans une trentaine de camions [leur effectif est évalué entre 300 et 400 hommes] sont entre dans la ville sans tirer un coup de fusil.  Après après avoir reçu des renforts de Léopoldville, la garnison de Luluabourg compte de 2.000 à 3.000 hommes. Les soldats venus de Stanleyville [envahisseurs] n’ont pas essayé de pénétrer dans la ville mais ont relevé les troupes locales de l’ A.N.C. qui se trouvaient à l’aéroport. Celui-ci continua à fonctionner normalement. Des pourparlers ont eu lieu entre les représentants de l’A.N.C. de Stanleyville et ceux de l’A.N.C. de Luluabourg sous les auspices des représentants civils et militaires des Nations Urnes. Les troupes venant de Stanleyville n’ont pu être amenées à se retirer, mais l’ordre a été maintenu à Luluabourg durant leur séjour  ou la population Lulua ainsi que son chef, leur avait fait bon accueil. On signale ensuite que le gouvernement provincial dont le Président est toujours a Bruxelles, parait accepter la situation et semble prêt à coopérer avec les nouveau venus. Ceux-ci on one pour raison de leur arrivée leur désir de protéger les personnalités locales qui couraient le risque d’être arrêtées ( le ministre provincial de l’Interieur ainsi que le major Leonard Mulamba  étaient détenus)

La situation ci-dessous dans la provine de l’Equateur est  décrite dans un rapport de l’ONU :

… Le long de la frontière province de l’Equateur-provinœ Orientale, les  groupes armes des deux camps opposes n’ont pas pris contact, les troupes du Géneral Mobutu étant concentrée  à Bumba très nombreuses (1500  hommes). On signale cependant que des troupes de Stanley­ville, dont on évalue l’effectif à deux bataillons environ, contournèrent les troupes du général Mobutu en passant par le sud, ont traversé la frontiere provinciale et sont entrée le 25 février à Ikela sans tirer un seul coup de feu. Les troupes du général Mobutu, qui se trouvaient dans cette localité, se sont rendues ou ont fait défection et les renforts qui avaient été envoyés de Boende sont également passés aux envahisseurs [ ANC-Lundula].

 Des contre-mesures ont  été tentées, en février, pour freiner l’avance des troupes de l’ANC venant de Stanleyville. Une compagnie du vingtième  bataillon de  l’A.N.C. et une compagnie de gendarmerie ont été envoyées par camions de Coquilhatville à Ingende. Deux sections des troupes du général J Mobutu ont été envoyées par avion à Boende. On signale que lorsque les renforts du général Moburu ont traversé Coquilhatville, ils ont crié «  Vive Lumumba »  et que leurs acclamations ont été répétées par les personnes présentes. Le commandant de l’A.N.C. de la région a fait savoir aux représentants civils et militaires de O.N.U.C. à Coquilhatville qu’en un point situé à l’est de Boende, une compagnie s’était déjà rendue. On ne signale de combat nulle part, tous les rapports indiquant des redditions ou des défections.

 Entre-temps, la situation à Lisala continue à être tendue, la population civile demeurant hostile aux troupes du général Mobutu qui, selon les informations, continuent leurs actes de pillage.

Résistance au projet de balkanisation de  Tananarive

Après la mort de Lumumba, la décision prise à la conférence de Tananarive à l’initiative de la France et la Belgique en accord avec les membres de l’élite pro-occidentale anti-lumumbiste consacra  presque la balkanisation du pays par l’adoption d’une structure confédérale pour le Congo. Cette manœuvre avait déjà réussi à détruire notamment  l’unité du Mali ; et ce,  seulement deux mois  après son indépendance (le 20 août 1960, le Sénégal décida  de se retirer de la Fédération, et proclama son indépendance qui sera reconnue par la France).  

En mars 1961,  comme les troupes de l’ANC  sous le commandement du General Victor Lundula  étaient en mouvement vers Léopoldville à partir de  Stanleyville via Luluabourg. C’est la panique  de l’éventualité d’une libération de Léopoldville par les forces lumumbistes , sous le commandement  du General Victor Lundula,   qui convaincu le Président John Kennedy de s’entendre avec les pays non-alignés, pour mettre en échec le  plan de balkanisation issu du sommet de Tananarive. En avril 1961, Joseph Kasa-Vubu et les autres politiciens  pro-occidentaux, a  l’exception de Tshombe renieront leurs signatures  renoueront encore avec l’ONU  pour favoriser la réconciliation avec le pouvoir de Stanleyville déjà reconnu par 17 pays afro-asiatiques.

Les lumumbistes ont donc mené un combat noble pour la préservation de l’unité de la RDC ; combat qui mérite d’être enseigné.

En suivant la conversation de Reid et Pr  Weissman nous avons extrait la partie suivante :

Et toute sa [ de lumumba] rhétorique, tous ses efforts ont été de créer une nation, de maintenir l’unité, et même s’il n’a pas réussi immédiatement, ses partisans et d’autres au Congo ont insisté pour finalement aider à pousser les États-Unis et l’ONU à ramener Katanga dans le pays. (Weissman)

Pour plus de détails sur l’idéologie lumumbiste, on pourra lire l’article  « Comment définir le lumumbisme »

Concernant l’arrestation de Patrice Lumumba au bac de la rivière Sankuru, les détails sont décrits par feu Mathias Kemishanga, un témoin de l’événement (Arrestation de Lumumba (Audio temoignage)

(À suivre : Lumumba et la violence révolutionnaire)


[i] J.G. Libois,Seccession au Katanga, p.147

Du noble combat des continuateurs de Lumumba

Quantité de cadres congolais ignorent la contribution des lumumbistes pour la préservation du Congo dans ses frontières du 30 juin 1960.  Par lacune des connaissances, certains affirment même que Mobutu l’ennemi des nationalistes Congolais  aurait été un lumumbiste !

Bref aperçu sur l’origine du « lumumbisme »

Pour des raisons de pédagogie, commençons par un bref aperçu sur le lumumbisme.

Le 10 juin 1960, Patrice Lumumba a fédéré ses forces politiques (41 députés) avec celles des dirigeants progressistes du PSA (Antoine Gizenga, 14 députés), du CEREA (Anicet Kashamura, 10 députés) et de la Balubakat (Rémy Mwamba, 7 députés) en créant l’Alliance nationale (congolaise) ou l’Alliance des nationalistes, dont les objectifs furent :

(1) formation d’un gouvernement central anticolonial/antinéocolonial ; (2) sauvegarde de l’unité politique et économique du pays ; (3) combat contre les manœuvres de division tribales et de séparatisme susceptibles de provoquer des troubles sociaux dans le pays et l’éclatement du Congo ; et (4) défense, au sein des institutions nationales, d’une politique commune, tant sur le plan de la politique générale que sur le plan économique et social. (cf. W. J. Ganshof, 1963, p. 224)

Ainsi naquit l’Alliance des nationalistes, qui sera connue plus tard comme l’Alliance des lumumbistes et qui permettra à Patrice Lumumba de réunir la majorité nécessaire pour être désigné formateur du gouvernement en juin 1960. L’idéologie politique des nationalistes lumumbistes était ainsi initialement fondée sur les quatre principes cardinaux ci-dessus énumérés. Était  donc reconnu comme « lumumbiste » celui qui reconnaissait ces principes cardinaux.

De la différence entre « suiveur » et « disciple »

La théorie des organisations nous apprend qu’au sommet d’une organisation politique, se trouve toujours un leader  entouré des individus pouvant être différenciés  principalement en deux groupes suivant leurs engagements vis-à-vis des objectifs organisationnels :  suiveurs  et  disciples du leader.

En effet, un suiveur  est quelqu’un qui admire et soutient une personne, un groupe, mais qui n’a pas nécessairement une compréhension ou un engagement profond de la cause défendue. Il peut suivre par commodité, par pression sociale ou par curiosité.

Un disciple, quant à lui, est quelqu’un qui non seulement suit, mais qui accepte et aide également à répandre les doctrines dont il est question.

Avant la mort de Lumumba, étaient donc identifiés comme  disciples de Lumumba ceux qui suivaient les principes cardinaux ci-dessus évoqués de l’Alliance des nationalistes congolais ; et ce, indépendamment de leurs partis politiques et de leurs origines tribales et s’étaient impliqués pour rependre la doctrine. A titre d’exemple, citons Antoine Gizenga, Pierre Mulele, Christophe Gbenye, Anicet Kashamura, Rémy Mwamba, Victor Lundula, Joseph Mbuyi, Maurice Mpolo, Joseph Okito (vice président du Senate), and Barthélemy Mujanay, Thomas Kanza.  Par contre, Joseph Mobutu et Damien Kandolo et autres membres du MNC-L bien qu’ayant été  aussi  dans l’entourage de Lumumba jusqu’au début du mois de juillet 1960  n’avaient pas des convictions aux principes cardinaux de l’alliance n’ont jamais  dépassé  le niveau de suiveur.

C’est parce  Patrice lumumba  a su partager avec ses disciples sa vision de l’unité nationale contenue dans  les principes cardinaux  de l’Alliance des nationalistes qu’il est reconnu comme leader politique transformationnel des nationalistes congolais.

Nous devons souligner ici qu’il n’existe pas de leader sans disciples. Les disciples de Lumumba ont contribué à la matérialisation de la vision de Lumumba ; et ce, même après la disparition physique de celui-ci. Ils sont les continuateurs de Patrice Lumumba.

Les lumumbistes après le double coup d’État de septembre 1960

Encore en résidence surveillée à  Léopoldville, Patrice Lumumba a demandé aux membres du gouvernement central de rejoindre Stanleyville pour faire fonctionner le gouvernement reconnu, afin de reconquérir le Congo. Fin novembre, Antoine  Gizenga et Victor Lundula mettent en place un gouvernement central à Stanleyville. Ce gouvernement réussit à contrôler militairement l’intégralité de la province du Kivu, de la province Orientale ainsi que d’une partie des provinces du Katanga (le Nord Katanga étant libéré), du Kasaï (l’ANC avait réussi à libérer Luluabourg) et de la province de l’Équateur.

Expansion du control lumumbiste au Nord Katanga

Dès la proclamation de la sécession katangaise, au nord Katanga, de larges couches de la population  sous le leadership du Cartel Balubakat et du MNC-L refusent de se soumettre au diktat  du régime sécessionniste de Tshombe. Des mercenaires et des anciens nazis sont recrutés  pour encadrer la milice armée de Tshombe afin de tenter de soumettre ces couches de population à l’État sécessionniste.

Dans Sécession au Katanga[i], Gerad Libois  rappelle un article de l’agence Reuters du 11-aout 1960 qui avait été  le tout  premier à prédire l’imminence  des violences de masses :

 « selon de bons observateurs, les mouvements de non-coopération [non-soumission] avec les autorités tshombistes sont profonds. Faisant pression sur les chefs locaux contre leurs éventuels ralliements aux autorités d’E’ville. »

Cette information est corroborée par   l’interview du journaliste belge de Pierre Davister qui s’était rendu à Manono au Nord Katanga durant cette période  où il avait  interviewé un député provincial accompagne d’un chef local de Balubakat ;

Ci-dessous un extrait de cette interview tirée  du Livre Katanga l’enjeu du monde :

—  Si Lumumba mobilise, recrute des gens et si, de son côté, Tshombe mobilise aussi, recrute aussi de quelle cote iriez-vous.  [La réponse est immédiate]. — Nous marchons tous avec Lumumba contre Tshombe. D’ailleurs, c’est simple. Si Lumumba devait arriver aujourd’hui ici, on abandonne le travail, « on ne va pas même manger » (sic) et on ne lui met aucun obstacle sur sa route. On le laisse aller jusqu’à Élisabethville…  — Vous croyez à cette possibilité d’une arrivée de Lumumba au Katanga? — Bien sûr. — Par Manono? — Bien sûr. La déclaration me paraissant importante, je répète la question. – Vous dites bien que Lumumba va venir ici? — Oui, il va venir ici, – Êtes-vous en relations suivies avec le gouvernement central de Léopoldville? — Non. 11 n’y a pas moyen de communiquer avec le pouvoir central, mais nous avons des « types » (sic) qui vont là-bas. — Par quelle voie? — Par le Kivu et le Kasaï.  — Pourquoi refusez-vous de participer ci gouvernement de M. Tshombe et de jouer le jeu normal d’une opposition constructive? — Parce que nous serons toujours minoritaires dans le gouvernement Tshombe et que nous n’y aurons jamais rien à dire. Ce fut le cas pour l’indépendance du Katanga que nous avons dû apprendre par les journaux. On ne nous avait même pas consultés. Cette indépendance a donc été proclamée en dehors et au mépris des règles constitutionnelles. Je questionne : — qu’allez-vous faire pour lutter contre la formule d’un Katanga indépendant? — Nous allons soutenir le pouvoir central. — Donc Lumumba? [Au nom de Lumumba, le président local de la Balubakat sursaute et demande qu’on lui traduise ma question en langue ciluba]. — Nous ne sommes pas pour Lumumba parce qu’il est Lumumba, mais parce qu’il est Premier ministre. De sa dictature dont on parle, nous ne savons rien et nous voulons la voir avant de nous prononcer à ce sujet. Une chose est certaine : nous sommes partisans de la formule unitaire telle qu’elle a été définie à la Table ronde à Bruxelles.  (Extrait de    )  

Ainsi donc dès le début du mois de septembre 1960 des opérations militaires de répression sont montées contre les populations Baluba par des officiers ou sous-officiers belges passés de  l’ancienne Force publique ou de Comettro ( troupes métropolitaines) au service de la Gendarmerie Katangaise sous le commandement du major belge Crèvecœur. La  répression aveugle força les membres de « jeunesses » à la révolte.  Le 6 septembre, le lendemain de la révocation de Lumumba,  une colonne de la Gendarmerie Katangaise  tomba dans une embuscade de « jeunesses » Balubakat  dans la région de Malemba-Nkulu. Une dizaine de membres de la Gendarmerie parmi lesquels un capitaine et un adjudant belges furent tués. En représailles les avions  mitraillèrent et bombardèrent des villages !

Des missions furent envoyées en Belgique, en France et en Grande-Bretagne pour recruter des mercenaires. Des centaines d’Européens  dont certains avaient participé  aux guerres de Corée, d’Indochine  et d’Algérie. Seront ainsi engagés pour venir massacrer les Congolais. Les descriptions suivantes  tirées  des articles de deux journaux belges  dénotent  le degré de sauvagerie  de ceux qui voulaient imposer l’ordre sécessionniste au Katanga 

Expansion du control Lumumbiste  au Kivu

La consolidation militaire du régime lumumbiste au Kivu commence à la mi-décembre. En effet, une compagnie de l’ANC-(Londula) issue de Stanleyville est venue à Bukavu pour arrêter le major Singa, commandant de Bukavu, dès son retour d’un voyage à Léopoldville (voyage effectué à l’insu de l’état-major du troisième groupement à Stanleyville, dont il dépend hiérarchiquement). Le président provincial Miruho, voulant intervenir en sa faveur, est également arrêté. Les deux prisonniers sont transférés à Stanleyville. Mais une partie des soldats venus de Stanleyville demeurera à Bukavu.

Kasa-Vubu et Mobutu, affectés par ce retournement de la situation, décident d’utiliser les grands moyens pour redorer leur blason. La Belgique et les États-Unis veulent que les pro-occidentaux dominent. Depuis octobre, les « para-commandos » de Mobutu sont entraînés par des officiers belges en remplacement des Marocains. Le conseiller officiel de Mobutu, le colonel Marlière (que Mobutu choisira plus tard  comme parrain de son fils !), ancien officier belge de l’ancienne Force publique, demeurée aux côtés de Mobutu depuis le 8 juillet 1960, veille au grain. En vérité, c’est Marlière qui dirige les troupes de Mobutu que les Occidentaux choisissent de diriger contre les lumumbistes, au lieu de les envoyer se battre au Katanga : c’est au Kivu qu’il faut les diriger.

Le 28 décembre, Mobutu et ses forces expéditionnaires se déplacent par avion de Léopoldville à Luluabourg. Il fut dit que les troupes allaient y faire un défilé, à l’occasion d’une visite du président Kasa-Vubu. Le 30 décembre, de Luluabourg, les soldats ghanéens de l’ONU signalèrent le départ des avions transportant les troupes pour Usumbura (Bujumbura), au Rwanda-Urundi, contrôlé par la Belgique. À l’aéroport de Usumbura, des camions attendaient pour le transport de ces militaires jusqu’au pont de la Ruzizi à Shangugu en face de Bukavu. Le 31 décembre à 4 heures du matin, ces troupes traversent la frontière et attaquent Bukavu. Les soldats nigérians de l’ONU présents à Bukavu ont rapporté la présence d’officiers blancs de la Force publique qui avaient été initialement au camp Saio avant les événements liés à l’africanisation des cadres, ainsi que la présence d’un avion petit porteur répandant des dépliants écrits en lingala pour demander aux populations d’accueillir les militaires de Léopoldville. L’attaque dura une petite heure avant la débandade des assaillants. Certains d’entre eux se replièrent au Rwanda [notamment Nendaka], d’autres cherchèrent refuge au bâtiment de l’ONU. Plus de cent cinquante, dont le « vaillant » major Pongo Gilbert, qui s’était fait un nom en convoyant Patrice Lumumba menottes aux poings et sous les coups de la soldatesque de Mobutu, furent faits prisonniers.

Une fois de plus, la preuve de l’interventionnisme belge pour déstabiliser le Congo était établie. Sommé de s’expliquer par le Conseil de sécurité de l’ONU, le gouvernement belge forgea une explication très risible : surprises par le débarquement des troupes congolaises à Usumbura par avion, les autorités belges ont choisi de les expulser au Congo, à Bukavu (à 100 km) ! Or, il existe une frontière congolaise en face d’Usumbura, à Uvira.

Ainsi donc depuis le début de l’année  1961,il était apparent pour  les officiels américains de Léopoldville  que sur le plan politique aussi bien que militaires les poulains des Occidentaux ne savaient pas tirer leur épingle du  jeu.

En effet, sur le plan politique, par son attentisme de Joseph Kasa-Vubu  n’a pas profité de la victoire diplomatique lui offerte à l’ONU pour former un gouvernement, prétextant toujours attendre la conférence d’une table ronde bis dont la participation des dirigeants sécessionnistes viendrait légitimer les  forces politiques anti-lumumbistes ou  pro-occidentale pour créer une nouvelle structure éclatée du Congo ex-belge.

Sur le plan militaire, le souci  des Occidentaux  l’était  plus encore face  à  l’incapacité avérée de Mobutu à contrer l’expansion  militaire du régime Lumumbiste alors que Patrice Lumumba était en détention. Estimant  que le succès des lumumbistes sous  le leadership de Gizenga  et Lundula  serait  dû, au moins en partie,  à l’assistance invisible  des conseillers  étrangers,  ils  décidèrent  de peser de tout leur poids afin de   rétablir l’équilibre, mais sans trop  s’exposer à la communauté internationale. 

Avant le désastre de l’armée de Mobutu [assistée  par des éléments de l’armée belge] à Bukavu les américains  avaient même  déjà  discuté de la possibilité de fournir une aide secrète à Mobutu pour des opérations militaires plus efficace contre les forces lumumbistes. Toutefois, il existait une divergence de vues entre l’ambassade à Léopoldville et  les responsables à Washington concernant la visibilité de l’aide.  Ces derniers étaient très sensibles aux  risques politiques impliqués au niveau de la communauté internationale.

Ainsi   pour tenter de renforcer l’armée contrôlée par Léopoldville, sous le parrainage de la France, de la Belgique ainsi que de la Grande-Bretagne  Jean Marie Bomboko  avait été  l’invité de la réunion de l’OTAN  tenue à Paris en début janvier au cours de laquelle  il présenta sa requête d’assistance  financière et militaire  comprenant une demande d’aide de  quinze mille fusils automatiques et munitions ainsi que d’une centaine d’officiers  européens pour entrainer l’ANC de Mobutu en remplacement du contingent marocain qui se retirait.

La crise congolaise était donc en train de prendre la même dérive  que celle de Corée ou de Vietnam qui commencèrent toujours par la livraison d’armes et  l’affectation des centaines des conseillers militaires.

  La Belgique accepta la demande [qui d’ailleurs avait été préparée par ses conseillers !], mais conditionnait sa réponse définitive  par une décision des USA. Mais pour les USA dont l’administration était fin mandat, il fallait être prudent [une similarité avec l’hypocrisie dans l’aide des pays occidentaux a l’Ukraine] ; car le feu vert à une telle action constituerait  une violation flagrante des décisions du Conseil de sécurité  et entrainerait certainement  l’intervention de l’URSS du côté des Lumumbiste. Ce qu’il fallait éviter.

 Expansion du control Lumumbiste  au Kasai et dans l’Equateur

Consécutivement à  leurs succès fulgurants au Kivu et au Nord Katanga, les autorités de Stanleyville  répondent à la population  du  Kasaï en occupant Luluabourg ensuite contre attaque dans la province de l’Équateur  ou Mobutu avait masse ses troupes.

Mieux organisées, malgré leurs faiblesses sur le plan numériques, mais soutenues par la population, les troupes  de l’ANC-Stanleyville sous le  commandement du General  Lundula s’imposèrent dans la libération.

La situation ci-dessous dans la provine de l’Equateur est  décrite dans un rapport de l’ONU :

Résistance au projet de balkanisation de  Tananarive

Après la mort de Lumumba, la décision prise à la conférence de Tananarive à l’initiative de la France et la Belgique en accord avec les membres de l’élite pro-occidentale anti-lumumbiste consacra  presque la balkanisation du pays par l’adoption d’une structure confédérale pour le Congo. Cette manœuvre avait déjà réussi à détruire notamment  l’unité du Mali ; et ce,  seulement deux mois  après son indépendance (le 20 août 1960, le Sénégal décida  de se retirer de la Fédération, et proclama son indépendance qui sera reconnue par la France).  

En mars 1961,  comme les troupes de l’ANC  sous le commandement du General Victor Lundula  étaient en mouvement vers Léopoldville à partir de  Stanleyville via Luluabourg. C’est la panique  de l’éventualité d’une libération de Léopoldville par les forces lumumbistes , sous le commandement  du General Victor Lundula,   qui convaincu le Président John Kennedy de s’entendre avec les pays non-alignés, pour mettre en échec le  plan de balkanisation issu du sommet de Tananarive. En avril 1961, Joseph Kasa-Vubu et les autres politiciens  pro-occidentaux, a  l’exception de Tshombe renieront leurs signatures  renoueront encore avec l’ONU  pour favoriser la réconciliation avec le pouvoir de Stanleyville déjà reconnu par 17 pays afro-asiatiques.

Les lumumbistes ont donc mené un combat noble pour la préservation de l’unité de la RDC ; combat qui mérite d’être enseigné.

En suivant la conversation de Reid et Pr  Weissman nous avons extrait la partie suivante :

Et toute sa [ de lumumba] rhétorique, tous ses efforts ont été de créer une nation, de maintenir l’unité, et même s’il n’a pas réussi immédiatement, ses partisans et d’autres au Congo ont insisté pour finalement aider à pousser les États-Unis et l’ONU à ramener Katanga dans le pays. (Weissman)

Pour plus de détails sur l’idéologie lumumbiste, on pourra lire l’article  « Comment définir le lumumbisme »

Concernant l’arrestation de Patrice Lumumba au bac de la rivière Sankuru, les détails sont décrits par feu Mathias Kemishanga, un témoin de l’événement (Arrestation de Lumumba (Audio temoignage)

(À suivre : Lumumba et la violence révolutionnaire)


[i] J.G. Libois,Seccession au Katanga, p.147

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