Vladimir Poutine et Félix Tshisekedi ont-ils vraiment signé un accord de coopération militaire ?
Selon une dépêche de l’agence de presse russe Tass publiée le 5 mars, la Russie a approuvé un « projet d’accord de coopération militaire avec la RDC ». Mais qu’en est-il vraiment ?


Publié le 7 mars 2024Lecture : 5 minutes.
C’est l’agence de presse russe Tass qui l’annonce. « Conformément à l’article 11 de la loi fédérale sur les accords internationaux de la Russie, le gouvernement approuve le projet d’accord de coopération militaire avec la République démocratique du Congo, qui a été soumis par le ministère russe de la Défense en coordination avec le ministère russe des Affaires étrangères et d’autres organes exécutifs fédéraux concernés. »
Malaise à Kinshasa
L’accord en question prévoirait « l’organisation d’exercices conjoints, la participation à des exercices et leur suivi à l’invitation des organismes compétents, des visites de navires et d’avions de guerre à l’invitation ou à la demande, la formation des militaires et d’autres formes de coopération ».
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À Kinshasa, l’annonce a provoqué un certain malaise, jusque dans les cercles du pouvoir. Si certains proches de Félix Tshisekedi et d’influents généraux poussent depuis des mois pour un rapprochement avec la Russie, la RDC demeure un allié stratégique des États-Unis. Sollicitée, une source gouvernementale qui suit ce dossier affirme d’ailleurs qu’« à ce stade, il n’y a eu aucune négociation ». Selon cette source, il s’agirait en l’état « d’un projet d’accord rédigé uniquement par la partie russe ».
Pas de confirmation
L’information a pourtant été reprise par la Radio-télévision publique nationale congolaise (RTNC). « Le fait que le gouvernement russe ait approuvé ce projet d’accord de coopération militaire est, sans doute, « un ouf de soulagement » pour bon nombre des Congolais qui lançaient des appels du pied aux autorités congolaises les invitant à coopérer avec la Russie en vue de venir à bout de l’agression rwandaise sous couvert du groupe terroriste M23 », peut-on lire sur son site.
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Contactés par Jeune Afrique, ni le porte-parole du gouvernement congolais ni l’ambassade de Russie en RDC n’ont répondu à nos sollicitations. Cette dernière, citée par l’Agence congolaise de presse (ACP), a toutefois précisé que ce projet, présenté comme une « extension logique » d’un partenariat conclu en 1999 pour la formation des cadres de l’armée, ouvrait « la voie au lancement des négociations qui peuvent aboutir à [la] signature [d’un accord] ».
La convention de coopération militaire et technique signée en 1999 par le président Laurent-Désiré Kabila n’a jamais réellement été appliquée. Deux ans après sa signature, le « Mzee » était assassiné. Succédant à son père, Joseph Kabila s’était rapproché des Occidentaux, mettant cette convention de côté.
C’est finalement en juin 2018 que le président congolais avait fait adopter le document par l’Assemblée nationale, à six mois de l’élection présidentielle et deux semaines après la visite à Kinshasa du vice-ministre russe des Affaires étrangères, Mikhaïl Bogdanov. L’accord prévoyait la livraison par la Russie d’armements, de matériels de guerre « et autres équipements spécifiques », des « missions de conseils », ou encore la formation de spécialistes militaires dans les écoles russes.
« La Russie est un partenaire »
Depuis son arrivée au pouvoir en janvier 2019, Félix Tshisekedi s’est montré lui aussi très mesuré vis-à-vis de Moscou, privilégiant une diplomatie résolument pro-occidentale. « La Russie est un partenaire. Cependant, la Russie n’a pas l’habitude de faire beaucoup de commerce en Afrique. Ce n’est pas seulement le cas en RDC. Souvent, il s’agit de coopération militaire, mais nous avons déjà suffisamment d’alliés dans ce domaine. Si nous avions des besoins, nous nous serions également adressés à eux », déclarait-il encore début juillet 2023, lors d’un entretien avec sa porte-parole Tina Salama.
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Quelques semaines plus tard, le chef de l’État congolais avait annulé à la dernière minute sa participation au deuxième sommet Russie-Afrique, organisé à Saint-Pétersbourg les 27 et 28 juillet. Il s’était fait représenter par son ministre de la Défense, Jean-Pierre Bemba.
Au sein du pouvoir, ces choix diplomatiques suscitent toutefois des tiraillements, que le conflit avec le M23 dans l’Est n’a fait qu’amplifier. Accusés d’être soutenus par le voisin rwandais, les rebelles sont désormais postés aux alentours de Saké, dernier verrou sur la route de Goma. L’armée congolaise et ses alliés peinent à remporter des succès sur le terrain et, dans ce contexte, les critiques visant les pays occidentaux, accusés par Kinshasa d’être trop « complaisants » à l’égard de Kigali, se sont multipliées. Mi-février, des manifestations ont éclaté à Kinshasa contre des chancelleries occidentales et la mission onusienne.
« Ce message, les Occidentaux devraient l’entendre maintenant »
La menace d’un renversement d’alliances, agitées par certaines franges au sein du pouvoir congolais n’est pas nouvelle. « Au sein du pouvoir, il y a une tendance qui veut ce rapprochement avec Moscou. Pour le moment, le chef privilégie l’axe occidental. Mais il ne faudrait pas qu’il y soit contraint par nécessité et non par choix. Ce message, les Occidentaux devraient l’entendre maintenant, pas dans un an », explique un collaborateur de Tshisekedi.
Cette « tendance » existent depuis plusieurs mois. Un an avant le déplacement de Bemba en Russie, son prédécesseur Gilbert Kabanda Kurhenga s’y était lui rendu pour participer à la 10e conférence sur la sécurité internationale. En marge de cette rencontre, il avait notamment rencontré le vice-ministre de la Défense, Alexander Fomin, et tenu des propos loin d’être anodins. « La Fédération de Russie, en bonne amie, s’est toujours abstenue de nous faire des chantages, des blâmes ou des sanctions subjectives », avait-il lancé.
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Ces déclarations et ce déplacement étaient intervenus alors que la Russie tentait de profiter de la résurgence du M23 dans l’est de la RDC pour avancer ses pions en terre congolaise, notamment en se positionnant comme un potentiel fournisseur d’armement. En juin 2022, une nouvelle résolution des Nations unies portant sur la prorogation du régime d’embargo sur les armes avait provoqué l’ire de Kinshasa. Des manifestations hostiles avaient ensuite ciblé la Monusco, avant que l’embargo ne soit finalement levé en novembre de la même année. Entretemps, l’ambassade russe en RDC avait révélé, fin octobre, que la Fédération de Russie avait effectué une livraison gratuite d’armes et de munitions à l’armée congolaise en 2021, d’un volume de plus de 160 tonnes.
L’ombre de Wagner ?
À Kinshasa, un homme était alors particulièrement actif, Victor Tokmakov, le chargé d’affaires de l’ambassade russe en RDC. Ce diplomate francophone s’était entretenu avec le ministre des Affaires étrangères, Christophe Lutundula, et celui qui officiait encore en tant que patron du Mécanisme national de suivi de l’accord d’Addis-Abeba, Claude Ibalanky.
Avant d’être nommé chargé d’affaires à Kinshasa en 2021, Victor Tokmakov occupait en effet le même poste à Bangui, où il travaillait au moins depuis six années et où il fut l’un des premiers artisans de l’implantation d’Evgueni Prigojine et de Wagner. Sa présence en RDC avait relancé les rumeurs de l’arrivée du groupe de mercenaires russes dans l’est du pays. Si les autorités congolaises font appel depuis la fin de l’année 2022 à une société de sécurité privée pour former certaines unités de son armée, ces formateurs ne sont pas russes mais roumains et dirigés par un ancien de la légion étrangère, Horatiu Potra.
Victor Tokmakov est néanmoins toujours en poste à l’ambassade de Russie en RDC, dont il est premier secrétaire chargé des questions politiques.