En RDC, l’économie est-elle à l’aube d’une nouvelle ère ?
Malgré des tensions inflationnistes persistantes et un franc congolais au plus bas, l’économie du pays, toujours portée par le secteur extractif, affiche l’un des taux de croissance les plus élevés du continent.
Publié le 7 juin 2024Lecture : 5 minutes.
Les quatre tours de la cité administrative ont tout du symbole. Tandis que la situation sécuritaire dans l’Est de la RDC s’aggrave, les autorités en font un emblème du renouveau du pays. Inauguré en grande pompe en décembre 2023 en présence de Félix Tshisekedi, ce centre financier est le fruit d’un partenariat avec Ankara. « Nous avons fait de la République démocratique du Congo, un centre des investissements en Afrique », s’était alors réjoui Thuran Mildon, le PDG du groupe turc Milvest qui a investi près de 40 millions de dollars dans l’édifice.
Inflation élevée
Mais ces bâtiments ultra-modernes qui vont héberger ministères et sièges d’entreprises ne sauraient à eux seuls dissimuler les difficultés que rencontrent l’économie congolaise. La RDC figure toujours parmi les cinq nations les plus pauvres du monde. Selon la Banque mondiale, environ 74,6 % des Congolais vivent avec moins de 2,15 dollars par jour. Et environ une personne sur six vivant dans une extrême pauvreté en Afrique subsaharienne habite en RDC.
À quelques kilomètres du nouveau centre financier, au marché de Kalembelembe en banlieue de Kinshasa, l’ambiance est radicalement différente. Mamie Mushiya y vend des feuilles de manioc, du « pondu ». Mais depuis quelque temps, les clients se font rares. « Il y a quelques mois, nous vendions ce pondu à 3 000 francs congolais mais aujourd’hui, la botte revient à 5 000, déplore la quarantenaire. Plus personne ne peut se l’offrir. J’éprouve les plus grandes difficultés à nourrir ma famille. »
En 2023, l’inflation est restée particulièrement élevée dans le pays, atteignant 23,8 %. En plus du conflit qui ravage le Nord-Kivu, le pays subit encore les conséquences de la crise du Covid-19 et de la guerre en Ukraine. Les deux chocs mondiaux ont provoqué une rupture des chaînes d’approvisionnement et une hausse mondiale des prix.
Pour limiter cette inflation globale, la Banque centrale américaine (Fed) avait décidé d’augmenter ses taux d’intérêts provoquant un renchérissement du dollar et, par ricochet, un affaiblissement des devises africaines. Celle de la RDC a été particulièrement touchée. Il y a un an, le dollar s’échangeait contre 2 000 francs congolais, il en faut désormais plus de 2 800 sur le marché parallèle tandis que la Banque centrale du Congo a fixé le taux de change à 2 400 francs.
Économie dollarisée
Pour enrayer ce cercle vicieux, la Banque centrale congolaise a relevé plusieurs fois au cours de l’an passé ses taux directeurs, qui sont désormais fixés à 25 %. L’institution a également ordonné aux sociétés minières de payer leurs impôts en francs congolais (CDF). Mais la devise du pays ne s’est pas relevée pour autant. La République démocratique du Congo est l’une des économies les plus dollarisée au monde. « Les salaires sont souvent payés en dollar, les loyers, l’essence, même les dépôts dans les banques se font en dollar », rappelle l’économiste français Bruno Cabrillac. Cette situation pèse lourdement sur le pouvoir d’achat des Congolais, dont l’écrasante majorité n’a pas accès au billet vert.
« Nous avons une économie trop dépendante des exportations de minerais, déplore l’économiste congolais Al Kitenge. Nous avons également de fortes inégalités entre les zones rurales et l’urbain. Nos villages sont abandonnés depuis la période coloniale alors qu’ils sont le vrai levier de notre décollage. Pour y arriver, il faut transformer tout le système éducatif pour l’aligner avec les besoins de développement. »
En attendant, malgré ces défis persistants et si l’on en croit la dernière note de conjoncture des autorités congolaises, la tendance serait en train de s’inverser. « La dépréciation de la monnaie nationale sur le marché contraste avec l’appréciation observée en parallèle sur le marché des changes, pendant que sur le marché des biens et services une légère décélération des prix est observée », note ainsi la Banque centrale du Congo.
En parallèle, et malgré ces tensions persistantes, l’économie congolaise affiche l’un des taux de croissance du PIB les plus élevés au monde. Selon le FMI, qui a achevé une mission dans le pays le 8 mai, « la croissance réelle du PIB est désormais estimée à 8,3 % pour 2023, soutenue par la forte croissance du secteur extractif ». En 2024, la croissance du PIB devrait néanmoins ralentir à environ 6 %. Les mines ont contribué à environ 70 % de la croissance globale en 2023 et le secteur devrait toujours porter l’économie ces prochaines années.
Renégociation du contrat du siècle
Car la RDC se distingue par ses réserves minières, parmi les plus importantes au monde, constituant une source majeure de revenus pour le pays : 43 % du budget national, 47 % du PIB, 95 % des exportations et 25 % des emplois. Alors que le secteur est régulièrement entaché de scandales de corruption, le président Félix Tshisekedi, en arrivant au pouvoir, a décidé de faire évaluer les contrats signés pendant le mandat de son prédécesseur, Joseph Kabila. Notamment le fameux « contrat du siècle » : cet accord signé en 2008 entre la RDC et un groupement d’entreprises chinoises adoptait le schéma d’échange « minerais contre infrastructures ».
En février 2023, l’Inspection générale des finances (IGF) de la RDC avait pointé du doigt un déséquilibre manifeste dans l’accord de 2008, révélant que les entreprises chinoises avaient généré des profits estimés à près de 10 milliards de dollars américains, alors que la RDC n’avait reçu en retour que 822 millions de dollars sous forme d’infrastructures. Le 14 mars, après d’âpres et longues négociations, le gouvernement congolais et le groupement d’entreprises chinoises ont signé un avenant à l’accord. Celui-ci prévoit une augmentation significative de l’investissement dans les infrastructures, le montant passant de 3,2 à 7 milliards de dollars. Selon les autorités congolaises, cela se traduira notamment par la construction d’environ 5 000 km de routes.A lire :
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La mission du FMI recommande néanmoins aux autorités d’intégrer « l’impact positif de l’avenant au contrat avec la société minière Sicomines récemment signé, tant en termes de recettes que de dépenses d’investissement dans la loi de Finances 2024. En outre, des mécanismes devront être mis en place ou renforcés pour garantir la bonne utilisation et la gouvernance de ces fonds ».
Autre bonne nouvelle : pour la première fois de son histoire, la RDC pourrait aller au terme d’un programme du FMI. Car sa visite portait sur la dernière revue d’un accord approuvé par l’institution en juillet 2021 au titre de la Facilité élargie de crédit (FEC), pour un montant d’environ 1,52 milliard de dollars. La RDC devrait bénéficier de la dernière tranche de 200 millions d’euros dans les prochaines semaines. « Les résultats obtenus dans le cadre du programme ont été généralement positifs, la plupart des objectifs quantitatifs ayant été atteints et les réformes clés mises en œuvre bien qu’à un rythme lent », note le FMI dans son communiqué. Les accords précédents avaient tous été interrompus, notamment en raison du manque de transparence dans le secteur minier. Reste aux autorités congolaises à confirmer ces premiers pas dans la bonne direction.