
VISION ET STRATEGIES POUR SAUVER LA RDC
PREAMBULE
Nécessité d’une vision patriotique pour la nouvelle RDC
La République démocratique du Congo s’est engagée dans une transition politique vers la démocratie. En dépit du constat qu’à ce jour, cette transition semble vidée de son contenu et que la RDC est sur une pente politique plutôt glissante, cette situation n’est pas néanmoins désespérée au point de laisser un trou noir aux yeux de certains observateurs.
Indépendamment de la quantité de ses ressources naturelles potentielles, de la richesse de ses diversités ethniques et culturelles, ainsi que de son histoire et de son emplacement géopolitique dans le monde, aucune société contemporaine ne peut socialement, économiquement et politiquement progresser sans une vision nationale claire et une philosophie politique intégrées sur lesquelles les gouvernés et gouvernants puissent construire un consensus social collectif sur le genre de société à créer. Sans aucun doute, la RDC demeure encore une république à recréer et un pays à démocratiser, en dépit de son appellation de République démocratique.
D’où l’urgence d’une autre vision pour une autre dynamique dans ce vaste pays de l’Afrique centrale. Cette vision doit incorporer les éléments suivants : l’articulation d’une nouvelle signification pour l’indépendance, la promotion d’une démocratie qui fonctionne effectivement, la réalisation de programmes cohérents pour le progrès social et la consolidation de l’unité nationale.
En corollaire, dans une démarche ontologique plutôt futuriste, cette vision doit pouvoir produire une culture démocratique basée sur le progrès social et le besoin vital d’un partenariat international global, utiles à la fois à la reconstruction d’une vraie République et au progrès socio-économique de la sous-région de l’Afrique centrale à laquelle appartient la République démocratique du Congo, ainsi que de l’Afrique tout entière.
Iowa City, le 1er mars 2005 (mis à jour le 13 mai 2015)
VISION
Construire, au Congo, un pays qui sera le paradis pour ses habitants !
Nous avons un rêve pour notre pays, la RDC : c’est celui d’une nation démocratique engagée dans le développement et capable de protéger son indépendance, sa souveraineté, son unité, de même que son intégrité territoriale. Une nation capable de rejoindre la communauté des nations avec le droit à l’égalité des chances entre nations.
La RDC que nous prônons est une nation prête à cohabiter en paix avec ses voisins et libérée de la famine, des maladies endémiques et du fléau des invasions barbares ainsi que des guerres civiles destructrices.
Notre rêve est de voir le peuple congolais profiter de ses immenses ressources naturelles, de ses potentialités en ressources humaines ainsi que de la créativité qui lui est reconnue partout dans le monde, jouir des droits et libertés inaliénables à tout être humain et créer sa dynamique du progrès pour vivre dans la dignité sans être obligé de dépendre, pour sa survie, de l’aide internationale.
Cette nouvelle RDC n’est pas un rêve inaccessible.
Oui, cette République démocratique du Congo est possible, si l’on reconnaît aux citoyens congolais leurs droits fondamentaux. Car l’expérience prouve que, pour qu’il y ait des progrès durables en matière de lutte contre l’extrême pauvreté, telle celle dans laquelle croupit la population congolaise, il est nécessaire d’entreprendre une politique fondée sur l’ensemble des droits de l’homme.
Oui, cette République démocratique du Congo est possible avec des dirigeants responsables et efficaces ayant (i) les capacités cognitives et les compétences politiques nécessaires pour gérer la nation, (ii) des valeurs sociales et morales incontestables pour assumer cette charge dans l’équité et la justice, et (iii) la vision nécessaire pour orienter notre développement durant une longue période d’apprentissage de la démocratie.
Oui, notre rêve de construire au Congo un pays qui sera le paradis pour ses habitants peut donc se matérialiser si, en plus de la reconnaissance aux Congolais de leurs droits fondamentaux et de l’émergence de dirigeants compétents et responsables, nous procédons aux bons choix stratégiques dans l’édification nationale.
Nous considérons les tâches suivantes du gouvernement comme essentielles : (i) privilégier les normes par rapport aux ordres des dirigeants par la mise en place d’un Etat de Droit ; (ii) entreprendre la construction d’un système démocratique stable ; (iii) assurer la protection des vies et des biens ; (iv) encourager l’indépendance de notre économie ; et (v) œuvrer pour la justice sociale en réduisant le niveau de la pauvreté.
Nous invitons tous les Congolais à nous rejoindre dans cette lutte pour sauver le Congo, afin d’assurer un meilleur futur aux nouvelles générations de Congolais.
ETAT DE DROIT
Instaurer la primauté des normes sur les ordres, ainsi que le principe d’égalité devant la loi.
Nous luttons pour l’établissement en RDC d’un Etat dont les règles de gestion ne seront plus basées sur les ordres d’une personne, mais sur des normes impersonnelles, que celles-ci soient constitutionnelles, économiques, sociales ou autres.
Etablir l’Etat de droit en RDC, c’est assurer l’égalité de tous devant la loi et la soumission à celle-ci de toutes les décisions des autorités administratives et gouvernementales. Ceci est nécessaire afin d’assurer que les agents de l’Etat qui exécutent des ordres demeurent des agents au service de la loi votée par les représentants de la nation, et non pas des agents au service des dirigeants.
Ainsi, dans la nouvelle RDC, le respect du principe juridique de hiérarchie des normes (constitutionnelles, législatives, ministérielles, réglementaires) trouvera dans la réforme de la justice administrative un cadre propice à la promotion de la culture de la légalité s’agissant de la décision des autorités administratives. Ainsi donc, la soumission de l’Etat à ses propres lois garantira à tous les citoyens la protection de la loi contre l’arbitraire.
L’Etat de droit que nous prônons, c’est donc la primauté de la loi en tant qu’expression de la volonté générale sur l’arbitraire. Sans cet Etat de droit, il n’y aura point de bien-être général, ni de développement. Et la place du citoyen sera déterminée non pas par sa position dans la hiérarchie sociale, ses relations aux détenteurs du pouvoir, son appartenance aux groupes d’intérêts économiques, politiques, ethniques ou religieux, mais par ses mérites et les droits humains inaliénables qui lui seront reconnus par la constitution et les lois.
DEMOCRATIE VIABLE
La démocratisation est un processus long et complexe d’élévation du niveau de participation ainsi que de compétition, dont le succès requiert la stabilité des institutions.
Un système politique est qualifié de démocratique si ses décideurs collectifs les plus puissants sont choisis par le biais d’élections périodiques, libres, transparentes et crédibles. Les élections constituent donc la voie incontournable qui mène au système démocratique moderne.
Cependant, bien que l’organisation d’élections constitue une condition nécessaire pour la démocratie, elle n’en constitue pas moins une condition insuffisante, car une élection peut aussi mener au renversement du processus de démocratisation. Seules des élections libres, transparentes et honnêtes constituent la condition sine qua non pour une vraie démocratie.
La consolidation de la démocratie en RDC sera un processus long et complexe qui doit être soigneusement contrôlé afin d’éviter un basculement vers l’autoritarisme. Il est généralement admis qu’un régime politique ne devient démocratique de manière stable qu’après trois alternances au pouvoir par des élections consécutives et régulières. Comme il n’y a pas de société humaine sans accrocs ni conflits, le rôle primordial de l’Etat est de donner un cadre structuré, moderne et adapté à la résolution des différends. En permanence, l’Etat doit donc se structurer et se réformer pour garantir à tous cette mission sociale. Ces règles étatiques seront d’autant plus acceptées si l’Etat se fonde sur la volonté générale émise par les représentants élus démocratiquement.
Notre stratégie pour la construction d’un système démocratique stable sera fondée sur le choix d’un système électoral unificateur, la qualité de la gouvernance, la lutte contre la corruption, le choix de la forme des institutions politiques nécessaires pour garantir la stabilité institutionnelle.
1. Système électoral centripète :
Il est nécessaire que la RDC choisisse un système électoral qui puisse favoriser la participation et la compétition honnête, tout en garantissant l’émergence d’une nation moderne stable dans un pays hétérogène sur le plan ethnique.
Pendant la période d’apprentissage démocratique, les élections tenues dans les sociétés ethniquement divisées aboutissent souvent au repli communautaire. Ces replis deviennent des sources de tensions, encouragées par certains politiciens qui n’hésitent pas à jouer la carte ethnique ou régionale pour mobiliser des électeurs afin de s’assurer une victoire facile.
L’Etat doit concevoir un système électoral pour prémunir la nation contre l’émergence des politiques ethnicistes ou régionalistes, situation pouvant ouvrir la voie à des forces centrifuges et fragiliser la démocratie. Les organisations politiques ethnicistes doivent être découragées, et celles à caractère multiethnique encouragées par l’Etat.
2. Lutte contre la corruption :
Du régime néopatrimonial qui a régi le pays durant plus de trente ans, nous avons hérité une culture prédisposée à la corruption à tous les niveaux. Cette réalité indéniable en RDC a un impact négatif non seulement sur les performances économiques, mais aussi sur le développement politique.
La corruption politique peut avoir un impact dévastateur sur l’organisation des élections démocratiques, ainsi que sur le fonctionnement des institutions politiques.
En effet, comme dans tous les pays du monde, la compétition électorale en RDC exigera la mobilisation de ressources financières par les organisations politiques pour leurs campagnes. Mais dans un pays où l’Etat était devenu l’instrument approprié pour l’enrichissement personnel et où ceux qui sont passés au pouvoir se sont enrichis au détriment du reste de la population, l’influence de l’argent dans le processus politique et électoral en RDC risque d’aliéner la transparence, la crédibilité des élections, ainsi que la confiance du public envers les institutions de gouvernement. Par ailleurs, certains candidats peuvent profiter de leur présence au pouvoir pour manipuler les élections ou utiliser les ressources publiques pour leurs propres campagnes. Nous devons éradiquer la corruption à tous les niveaux pour donner plus de chance à la consolidation de la démocratie.
3. Bonne gouvernance :
Ce concept est apparu très récemment dans le vocabulaire de l’économie du développement et son acceptation diffère d’un pays à l’autre. En général, la bonne gouvernance a pour objectif de renforcer la capacité des autorités de gérer les processus de développement et de créer un climat favorable à l’exercice des responsabilités collectives dans la société civile. Les éléments constitutifs, pour leur part, sont : le renforcement des organisations de la société civile, l’avènement d’un Etat de droit, une concertation sur la conduite de la société civile, la transparence des consultations électorales, la bonne performance administrative (situation macro-économique, sécurité, justice…) ainsi que la neutralité des militaires à l’égard de la sphère politique. Ensemble, ces dimensions contribuent à la prévention des conflits et à la décrispation des tensions politiques et sociales, favorisant ainsi l’avènement d’une culture de paix.
4. Etat unitaire décentralisé :
Nous croyons à la démocratie libérale, fondée sur le principe de séparation des pouvoirs de l’Etat : législatif, exécutif et judiciaire.
Nous croyons que la situation actuelle dans notre pays a besoin d’un Etat capable d’étendre effectivement son autorité sur l’ensemble du territoire national et de faire respecter le principe d’inclusion, conformément à la Déclaration universelle des droits de l’homme. L’Etat doit s’assurer que chaque citoyen congolais a le droit à la liberté de mouvement et de résidence dans l’ensemble du territoire national et qu’aucun Congolais ne soit discriminé à cause de son origine. C’est ce qui détermine notre choix en faveur du système unitariste. Certes, l’unitarisme signifie que l’autorité constitutionnelle souveraine est gérée par le pouvoir central. Mais ceci ne signifie pas que toutes les décisions doivent être prises au centre. Pour assurer la plus grande participation des Congolais aux décisions qui les concernent, nous sommes pour la décentralisation des pouvoirs administratifs et politiques. Le rapprochement des gouvernants et des gouvernés aura un impact positif sur la performance des services rendus à la population et la participation des opérateurs économiques au développement de leur région.
5. Régime semi-présidentiel :
Comme le montrent des analyses comparatives d’histoire constitutionnelle, l’expérience vécue par les jeunes démocraties dont le revenu par habitant n’atteint pas mille dollars conforte l’idée générale que la longévité des démocraties présidentielles est relativement plus élevée que celle des démocraties parlementaires.
Il est donc important, dans l’étape actuelle de l’édification nationale, que le Président soit un dirigeant bénéficiant de la confiance du peuple et une personne capable de s’impliquer effectivement dans la résolution des problèmes les plus critiques avant la prise de décision. Cependant, l’équilibre des pouvoirs devra être négocié avec le pouvoir législatif afin de limiter le pouvoir du Président. C’est ce qui justifie notre préférence pour un régime semi-présidentiel.
SECURITE NATIONALE
L’Etat doit s’organiser pour exercer son monopole de l’usage de la force ainsi que de la coercition ; et ce, dans les limites prescrites par la loi.
Le monopole de l’usage de la force et de la coercition constitue une des caractéristiques de l’Etat orienté vers le progrès ; car, pour assurer leur développement, les Etats doivent non seulement faire appliquer la loi, établir et maintenir l’ordre dans les territoires qui leur sont reconnus, assurer la protection des biens et des personnes, mais aussi prendre des mesures permettant de garantir leurs intérêts vitaux contre d’autres Etats. La RDC ne peut pas se soustraire à cette nécessité d’établir le monopole de la force et de la coercition.
Néanmoins, le droit légitime du gouvernement de la RDC à identifier les menaces et à y répondre par le moyen de coercition approprié doit s’accommoder du devoir et de la responsabilité de la paix à l’intérieur du pays ainsi que dans la région. La paix durable ne se construit pas seulement par les canons.
Sécurité intérieure :
Il existe une corrélation directe entre la gouvernance et la paix ainsi que la stabilité interne. En effet, l’Etat doit remplir ces deux fonctions principales pour gagner la loyauté des citoyens : protéger et servir les citoyens. Et la loyauté de tous à l’Etat-nation facilitera le maintien de l’ordre, contribuera au climat de paix et engendrera la solidarité nationale.
Par ailleurs, la réconciliation des protagonistes dans un conflit interne peut aussi servir de stratégie pour favoriser l’augmentation de la loyauté envers l’Etat. En effet, après l’identification de la source du conflit, l’Etat doit œuvrer pour l’établissement de la confiance entre les différents protagonistes.
Le rôle de « la commission de vérité » est primordial pour l’établissement d’un climat de confiance mutuelle dans un conflit interne. La souplesse d’une telle commission est parfois plus attrayante et efficace pour la stabilité interne que le recours aux tribunaux. En effet, l’objectif d’une telle commission doit être de rechercher la réconciliation en privilégiant le pardon, au lieu de rechercher la justice qui conduirait à des sanctions.
Le grand défi de cette approche est qu’un équilibre délicat doit être trouvé entre le besoin d’amnistie ou de pardon, d’une part, et le sentiment de justice auquel les victimes ont droit, d’autre part. Une approche qui consacrerait le règne de l’impunité équivaudrait au nihilisme et à la frustration des victimes. Les crimes notoires, tels que les viols en réunion, les tueries et d’autres atrocités de guerre, qui sont des violations massives des droits de l’homme, ne doivent pas échapper à la justice. Les poursuites judiciaires de telles barbaries ont des effets non seulement pédagogiques contre la récidive, mais aussi thérapeutiques pour les victimes. C’est sans aucun doute aussi la voie la plus efficace pour recréer la suprématie des valeurs humaines et des normes démocratiques.
Le pardon ne devrait pas signifier l’oubli de la vérité. La Commission de Vérité et Réconciliation établie en Afrique du Sud à la fin du régime d’apartheid en est le meilleur exemple. Cette commission a deux tâches principales : (i) les recommandations d’amnistie pour chaque cas sur une base individuelle et dans des circonstances limitées préalablement ; (ii) les recommandations pour la traduction en justice des crimes de violations massives des droits de l’homme.
Une meilleure approche pour établir la sécurité interne en RDC consisterait donc dans l’amélioration de la gouvernance, l’encouragement de la société civile à jouer un rôle actif, l’amnistie sélective, ainsi que la poursuite en justice des cas de violations massives des droits de l’homme.
Sécurité extérieure :
Le respect des principes d’égalité et de réciprocité dans les relations internationales, le respect des accords et des traités internationaux conclus en bonne et due forme, la prise en charge de responsabilités internationales et l’assurance de participer de manière loyale à la résolution pacifique des conflits sont les grands axes d’une politique de sécurité extérieure à laquelle nous adhérons.
La diplomatie préventive doit concilier la protection des intérêts de la RDC et la prise en compte des intérêts légitimes des autres nations, tel que l’avait recommandé Patrice Emery Lumumba dans son livre écrit en 1958. La conclusion d’un pacte de paix et de sécurité durable pour la région des Grands Lacs devra permettre le rétablissement de la coopération et de l’intégration régionales.
Toutefois, la conclusion d’un tel pacte ne devrait pas ignorer les causes profondes des conflits secouant la région. Le génocide rwandais de 1994 et la présence d’opposants rwandais armés en territoire congolais ne constituent pas les causes des conflits, mais deux conséquences de ceux-ci. A la base de ces conflits, nous retrouvons la gestion des ressources environnementales, la politique d’exclusion ethnique et de massifs mouvements transfrontaliers des populations.
10. Maintien de l’ordre et de la sécurité collective :
Malgré la bonne gouvernance qui favorise le degré des citoyens envers l’Etat ainsi qu’une politique étrangère très pacifiste et l’usage d’une diplomatie préventive, compte tenu des divergences d’intérêts et de besoins dans toute société humaine, la probabilité d’une menace interne ou externe de déstabilisation de l’Etat ne doit pas être exclue. La RDC doit donc s’organiser pour dissuader les attaques ou réduire le niveau de menace à sa souveraineté, à la sécurité de ses habitants ainsi qu’à leurs biens, conformément aux lois nationales et internationales.
Pour ce faire, une des responsabilités primordiales des gouvernants est d’organiser et de renforcer le système judiciaire, la police interne ainsi que celle des frontières, l’armée professionnelle et le service d’intelligence dans le cadre défini par la constitution. Il faut surtout éviter que l’organisation des moyens de défense ne soit utilisée par des individus pour consolider le pouvoir d’une personne ou d’un groupe de personnes au sommet de l’Etat.
INDEPENDANCE ECONOMIQUE
Le développement durable requiert une indépendance économique ; et celle-ci ne peut être que le résultat de la capacité de l’Etat dans la mobilisation des ressources financières internes, dans la valorisation du capital humain ainsi que dans le changement de la structure de production.
La littérature économique parle de « scandale géologique » pour désigner l’énorme richesse du sol et du sous-sol de la RDC. A cette potentialité s’ajoute le capital humain de 60 millions de personnes.
Cependant, il ressort des données officielles que pour l’année fiscale 2015, 21% du budget du gouvernement congolais est financé par l’apport extérieur au titre de « recettes exceptionnelles ». L’approvisionnement en vivres des centres urbains dépend de l’importation. L’insolvabilité de l’Etat a justifié l’admission de la RDC au Programme des pays pauvres très endettés de la planète ; un statut contraignant qui fait dépendre le pays des conditionnalités des organisations financières internationales. Même pour l’organisation des élections prochaines, la participation étrangère au financement dépasserait les 40% ! Tout ce qui précède montre que la prise de décision au sommet de notre Etat est loin d’être souveraine.
Il est indéniable que la raison la plus apparente pour expliquer la dépendance financière de l’Etat est la faiblesse de l’économie formelle congolaise, qui a été totalement détruite après quatre décennies de gestion néopatrimoniale et plus de cinq ans de guerre. En effet, bien qu’à partir de 2013, on constate une préservation de la stabilité macro-économique et la maîtrise de l’inflation, le produit intérieur brut par habitant du secteur formel était en continuelle décroissance depuis plusieurs décennies. En 2002, il était au quart de son niveau de 1982. Or, en 1982, il avait déjà perdu les deux tiers de sa valeur de 1962 ! Par contre, le secteur informel se développe. La grande majorité des Congolais ne survivent que grâce à la débrouillardise et à des activités pour lesquelles l’Etat ne perçoit aucune taxe. Il est évident que le développement du secteur informel au détriment du secteur formel de l’économie réduit les capacités financières de l’Etat à s’acquitter de ses fonctions essentielles et à promouvoir la croissance économique.
Ainsi donc, la faiblesse de la production formelle et la domination de l’économie informelle entretiennent, chaque jour un peu plus, la dépendance vis-à-vis de l’étranger.
Depuis la chute du mur de Berlin, un certain nombre de facteurs ont profondément modifié les perspectives d’évolution économique et politique à l’échelle internationale, notamment : (i) la préférence de plus en plus marquée pour un modèle de développement fondé sur les mécanismes du marché, notamment dans les pays en développement ; (ii) les progrès vertigineux des technologies de l’information ; (iii) une intégration ou interdépendance accrue des marchés et la mondialisation de l’économie.
Les rapports d’interdépendance des économies nationales sont donc une réalité planétaire à laquelle aucun pays ne peut se soustraire. Ces relations d’interdépendance se traduisent par la compétition des économies nationales à travers le commerce mondial, par une complète spécialisation du travail, ainsi que par la domination des économies de production supérieure sur celles de production inférieure.
La performance et la compétitivité de chaque Etat dans l’économie planétaire tiennent compte des facteurs suivants :
- ressources physiques (la terre, l’eau, les minerais…) ;
- ressources humaines (population active, niveau de formation, compétences) ;
- infrastructures (transport, communication, services de santé, etc.) ;
- ressources pour les connaissances scientifiques et techniques (centres de recherche, laboratoires, bibliothèques, etc.) ;
- capital financier (ressources financières, revenus de l’Etat).
Or, à part le facteur « ressources physiques », tous les autres facteurs de production ont, jusqu’ici, été négligés en RDC par les régimes dictatoriaux. Alors que, au même titre que les autres économies nationales, l’économie congolaise est engagée dans la compétition à travers le commerce international, elle ne fait intervenir qu’un seul des cinq facteurs de production précités, à savoir son avantage en ressources physiques.
L’économie formelle de la RDC demeure ainsi entièrement tributaire de l’exportation de minerais et autres matières premières. Même dans les échanges informels avec les pays limitrophes, la part de la RDC est moins importante en valeur réelle et comprend principalement les exportations de produits agricoles et miniers d’extraction.
Une telle économie, dite « factor driven », est extrêmement sensible au cycle de l’économie de marché ainsi qu’à la détérioration des cours de change. Cette dernière se traduit souvent par un déficit de la balance des paiements qui, financée notamment par le crédit extérieur (la dette étrangère croissante) ou l’entrée illégale de devises étrangères par le secteur informel, augmente la dépendance vis-à-vis de l’extérieur.
Que faire pour conquérir notre indépendance ?
1. Améliorer l’environnement :
Etablir les conditions pour attirer les investissements directs étrangers (stabilité politique, sociale et macro-économique, lutte contre la corruption, libéralisation, amélioration des infrastructures de télécommunication et de transport, ainsi que la protection des biens et des personnes).
2. Investir dans le développement des ressources humaines :
Pour augmenter la productivité du travailleur congolais, ce dernier doit bénéficier d’une formation scolaire et professionnelle qui lui permette de supporter la compétition internationale. Par ailleurs, il doit être en bonne santé. Alors qu’en moyenne, les pays d’Afrique noire consacrent 8% de leur budget à l’enseignement, il est dommage qu’en RDC, depuis les années 1980, ce chiffre n’atteigne même pas 2% ! En outre, la part des services de santé ne s’élève même pas à 1%. Le budget de l’Etat congolais doit refléter sa détermination pour valoriser le capital humain, car sans capital humain, on ne peut ni produire, ni même défendre le pays et ses institutions.
3. Eviter l’endettement non nécessaire :
S’il est vrai que tous les Etats du monde recourent à l’endettement intérieur ou extérieur pour financer leur développement, l’endettement non nécessaire et non suffisamment planifié auprès des institutions financières internationales ne peut qu’aggraver la dépendance. En effet, le rôle des institutions de Bretton Woods (Banque mondiale, Fonds monétaire international, Banque africaine de développement, etc.) est sans cesse revu. D’organismes de financement des projets de développement et de surveillance des équilibres macro-économiques et des liquidités internationales, ces organismes se sont vu attribuer un rôle de modélisation économique et de contrôle de la gestion gouvernementale. Plus grande est l’accélération de la dette extérieure par rapport à la production exportée, plus grande sera la réduction du rôle de l’Etat. Ainsi, petit à petit, l’Etat perd sa souveraineté et est réduit au rôle d’une simple organisation de contrôle de la population pour la bonne exploitation du pays au profit d’entreprises commerciales ou industrielles étrangères. Il faut parfois avoir le courage de refuser les offres de crédit.
4. Contrôler le secteur informel :
De même que la fièvre ne constitue qu’un symptôme et une protection naturelle contre l’invasion du corps par des microbes, l’économie informelle n’est qu’un effet, un symptôme du mal, et non sa cause. La désorganisation de l’économie nationale pendant des décennies a généré chez les Congolais une économie de survie, une sorte de darwinisme économique qui fait que les plus débrouillards survivent mieux à la misère et à l’insécurité sociale. En effet, il est admis que l’économie informelle se développe pendant une crise économique et s’érige en tampon pour réduire le choc de la détresse économique en fournissant un gagne-pain aux masses appauvries. En RDC, l’incapacité de l’Etat à jouer son rôle de régulation économique et de redistribution sociale a créé des effets identiques à ceux d’une rupture du « contrat social » de J.J. Rousseau, entraînant le retour vers les lois naturelles. Il en a résulté, du point de vue sociologique, une redistribution des rôles au sein des familles, où la femme voit sa place revalorisée dans l’informel par rapport aux discriminations à l’emploi dans l’économie formelle.
5. Sans aucun doute, l’économie informelle crée une dynamique sociale qu’il appartient à l’Etat de canaliser vers des synergies bénéfiques à l’économie formelle (microcrédit, avantages fiscaux, etc.). Il appartient à l’Etat, dans son ambition nationale de normalisation de l’informel, d’établir des stratégies attrayantes sur le plan fiscal et administratif. Il doit aussi décourager les soutiens dont bénéficie le système informel au sein de l’administration, en luttant contre la corruption et en ramenant le traitement des agents du secteur public à un niveau minimum de décence. Car nul doute que si les agents de l’Etat profitent à certains égards de la présence du secteur informel, ils créeront un environnement qui dissuade la normalisation de l’informel. Il convient donc, dans ce grand chantier d’intérêt national, de bien manier « le bâton et la carotte ». En effet, une réglementation trop rigoureuse peut conduire à l’effet contraire de celui escompté, à savoir le passage de l‘informel vers l’économie régulière.
6. Organiser les services de collecte des recettes fiscales :
Il faut réorganiser le système de collecte des revenus fiscaux : il convient d’assurer la mobilisation totale des recettes des contributions sur le commerce extérieur, de celles des contributions sur les revenus ainsi que sur les biens et services, en éliminant la tendance à la consommation ou au détournement de celles-ci par ceux qui sont chargés de les collecter. Il faut éviter la surtaxe, car un niveau de taxe élevé encourage la corruption et empêche les entreprises de réinvestir leurs profits dans leurs propres affaires. La surtaxe directe ou indirecte fut la cause principale de l’effondrement de la Générale des Carrières et des Mines au Zaïre (GECAMINES), qui avait été le poumon de l’économie congolaise pendant plusieurs décennies.
7. Maximiser les revenus non fiscaux, notamment ceux des entreprises du portefeuille par une politique d’autogestion. Dans l’ère de la mondialisation, les puissances occidentales exercent un monopole dans le domaine financier et de l’information (médias, journaux, internet, etc.). La maîtrise de l’information leur permet de faire la promotion de leur secteur privé et de la privatisation des entreprises publiques des pays du tiers-monde pour tirer profit de ces portefeuilles ainsi libérés pour leurs capitaux. Nous croyons dans l’économie du marché et dans les mérites de la privatisation. Cependant, nous croyons aussi à la nécessité de veiller à notre souveraineté économique.
D’ailleurs, il est admis que la privatisation des entreprises publiques n’est pas un remède magique à toutes les situations. Bien au contraire, elle peut aussi ouvrir la porte au pillage du patrimoine de l’Etat. Ainsi, selon les experts de Banque mondiale, une politique de libéralisation et de dérégulation bien réfléchie qui stimule l’augmentation effective de la concurrence peut parfois produire des résultats plus positifs que la privatisation dans la recherche de bonne performance financière des entreprises publiques. Les entreprises publiques peuvent donc devenir profitables pour la nation, à condition de leur conférer une réelle autonomie de gestion et de cesser de les considérer comme les « poules aux œufs d’or » des ministères de tutelle.
8. Encourager le retour de la RDC sur les marchés financiers internationaux :
Il faut favoriser le retour de sociétés anonymes par actions de la RDC dans les marchés financiers internationaux. Cette stratégie permettra aux compagnies de la RDC de contrôler les multinationales et de participer à leurs décisions quant au réinvestissement de profits et au transfert de nouvelles technologies vers la RDC. L’expérience a prouvé que la politique d’étatisation et de zaïrianisation, abusivement qualifiée de nationalisation, dans la période 1965-70, avait détruit la confiance du secteur privé étranger pour investir au Congo, ainsi que les capacités financières du pays. Néanmoins, la stratégie de retour aux marchés financiers internationaux ne devrait pas cautionner le transfert du capital des entreprises publiques vers les comptes privés sans compensations dans la trésorerie, une pratique dénoncée par le rapport des experts de l’ONU sur le pillage de la RDC (S/2001/357).
9. Modifier la structure de production ainsi que celle de l’import-export :
Il faut encourager les investissements privés (par exonération des taxes) et entreprendre des investissements publics directs et indirects (interventions budgétaires) pour la modification de la structure de production afin d’aboutir à la deuxième phase de développement, dite « investment driven ». L’accent doit être mis sur la diversification de l’économie et l’augmentation de la rentabilité de la production en exportant des produits finis. Et ce, en vue de mettre le pays à l’abri des grandes fluctuations et, plus précisément, des contractions des revenus d’exportation. Ainsi, en exportant des produits finis, la RDC augmenterait ses capacités financières internes et deviendrait moins dépendante de l’assistance économique étrangère. L’indépendance passe donc par le changement de la structure de production ainsi que du commerce extérieur.
10. Investir dans les technologies de l’information : le 21e siècle est le siècle de l’information. Il est inacceptable que la RDC soit le dernier pays en Afrique et dans le monde pour la densité téléphonique, le nombre d’utilisateurs d’ordinateurs et de l’internet. Il est dommage que les universités congolaises manquent encore d’ordinateurs, pendant que dans certains pays les enfants commencent à utiliser l’ordinateur à l’école maternelle.
JUSTICE SOCIALE
Combattre la pauvreté par une gestion responsable des ressources financières de l’Etat, l’équité dans la répartition du revenu national, la formation de la femme congolaise ainsi que l’éducation de l’enfant congolais.
Malgré les richesses potentielles du pays, la population congolaise vient d’entrer au 21e siècle en tant qu’une des populations les plus pauvres de la planète. Plus de 90% de la population congolaise vit dans la pauvreté absolue, c’est-à-dire avec moins de 1 dollar par jour.
Le degré de pauvreté de la RDC est mis en évidence par les indicateurs socio-économiques suivants :
- Malnutrition : dans les années 1980, la FAO avait déjà découvert que plus de 50% de la population congolaise ne vivait que d’un repas par jour. Ce pourcentage s’est aujourd’hui accentué.
- Taux de mortalité infantile : le taux de mortalité des moins de cinq ans, en décroissance de 25 à 20% durant la période 1950-1980, est de nouveau en croissance (21%) en 2001.
- Taux de scolarisation : le niveau de scolarisation des enfants, de plus de 80% pour le primaire en 1970, est passé à 40% en 2001.
- Accès à l’eau potable et aux soins de santé : aujourd’hui, seulement 18% de la population congolaise a accès aux soins de santé, 6,7% à l’électricité et 14% à l’eau potable (50% des cas de mortalité en RDC sont dus aux maladies liées à la consommation d’eau non potable).
- Emploi : la situation du chômage est indescriptible. La fonction publique demeure le premier employeur. En 1975, les traitements des fonctionnaires représentaient 53,4% des dépenses budgétaires ; en 1989, ils n’en constituaient que 20,6%. En 1985, le Zaïre était devenu l’Etat sub-saharien qui allouait la plus faible part de son budget aux traitements de ses fonctionnaires par rapport au PIB. Par la suite, la situation a empiré durant les années qui ont suivi, compte tenu aussi de la guerre.
Certes, notre pays n’est pas le seul dont la pauvreté n’est pas en réduction. Mais, comme le soulignent plusieurs analyses des experts de la Banque mondiale, la situation en RDC est exceptionnelle parce que la pauvreté pourrait être évitée. En RDC, beaucoup plus que dans tout autre Etat de la planète, il existe une corrélation directe entre la mauvaise distribution du revenu national et la pauvreté.
Que faire pour réduire le niveau de pauvreté ?
1. Gestion des ressources financières :
Eradiquer la culture d’affectation des ressources publiques vers des objectifs politiques non liés au développement en orientant les crédits dégagés vers le développement des ressources humaines (éducation secondaire obligatoire, santé pour tous, etc.) ainsi que le développement communautaire (eau potable pour tous, électrification de nos villes et campagnes).
2. Garantir l’accès à l’eau potable, aux soins de santé, ainsi qu’à l’approvisionnement en nourriture doit constituer une obligation pour le gouvernement, car ces droits sont prévus par la Déclaration universelle des droits de l’homme.
3. Equité sociale :
Diminuer le niveau d’inégalité entre les traitements des agents publics et revaloriser les traitements des fonctionnaires dans le budget de l’Etat, car le secteur public doit donner l’exemple au secteur privé. Il est inacceptable que, malgré ses potentialités, la RDC soit classée parmi les Etats subsahariens qui allouent la plus faible part du budget aux traitements de ses fonctionnaires par rapport au produit intérieur brut. Le Salaire minimal interprofessionnel garanti (SMIG) doit être fixé au-dessus du niveau de pauvreté en vue de permettre aux travailleurs et à leurs familles de vivre dans la dignité.
4. Promouvoir l’éducation de la femme congolaise :
Selon les statistiques, 51 % de la population active de la RDC est constituée de personnes de sexe féminin. Par contre, le degré d’alphabétisation est de 53% chez les femmes et de 76 % chez les hommes. Et pourtant, ce sont les activités des femmes dans le secteur informel qui supportent la majorité des familles. L’Etat doit donc, par équité, promouvoir l’éducation des femmes, car comme l’avait si bien dit Patrice Lumumba : « Eduquer un homme, c’est éduquer un individu ; mais éduquer une femme, c’est éduquer toute une nation. »
5. Investir pour la santé et la formation de l’enfant congolais :
Près de 50% de la population congolaise est âgée de moins de 15 ans. La jeunesse étant aussi bien le présent que l’avenir d’un pays, l’Etat doit veiller à sa protection et aux soins nécessaires à son bien-être ainsi qu’à son épanouissement harmonieux dans un milieu familial, dans un climat de bonheur, d’amour et de compréhension. Pour ce faire, l’Etat congolais doit prendre des mesures effectives dans le cadre budgétaire pour réduire la mortalité parmi les nourrissons et les enfants en assurant leur accès aux soins de santé primaire, en luttant contre la malnutrition, en développant les soins de santé préventive et en éduquant les jeunes à la prévention des maladies sexuellement transmissibles, notamment le sida. L’Etat doit aussi s’engager dans une politique d’investissement dans l’enseignement, afin d’alléger les charges financières des parents pour l’éducation de leur progéniture et préparer l’enfant d’aujourd’hui à devenir l’adulte responsable et productif de demain. L’éducation gratuite jusqu’au niveau de la deuxième année d’études secondaires doit être l’un des objectifs immédiats de l’Etat congolais pour la revalorisation des ressources humaines, ainsi que l’éradication du phénomène des enfants de rue ou « chégué », et celui des « enfants-soldats ».