Par la présente, le CET fait connaître sa position sur la guerre secouant la RDC – dont on ne parle pas beaucoup – et sur celle en Ukraine – très médiatisée ainsi que de la proposition au Conseil de Sécurité, par la cheffe de la Monusco, pour stabiliser la RDC. Le résumé de notre position sera suivi par un argumentaire détaillé :

RÉSUMÉ :

PRIMO :

Nous condamnons le dénigrement par le gouvernement congolais des FARDC confrontés au M23 après quelques batailles perdues au Nord-Kivu, dans cette longue guerre face aux troupes rwandaises se présentant, comme de coutume, comme des rebelles congolais. Nous proclamons notre solidarité avec l’armée qui se bat pour le pays et qui a dénoncé la duplicité du Rwanda.

SECUNDO :

Nous estimons que les sanctions du Trésor américain à l’encontre du Belge Alain Goetz, accusé de trafic d’or en RDC au profit de l’Ouganda et du Rwanda, étaient nécessaires. Toutefois, elles demeurent insuffisantes et devraient porter sur tout l’or exporté par les deux pays concernés, dont la valeur a atteint respectivement 3 700 millions de dollars et 640 millions de dollars pour l’année 2020 (la RDC n’en exporte officiellement que pour 23 millions de dollars). Selon un rapport de l’ONU de 2020, plus de 95% de l’or exporté par l’Ouganda et le Rwanda vient de la RDC et alimente la guerre dans la partie orientale de la RDC.

TERTIO :

Nous soutenons, avec certaines nuances, la déclaration de la cheffe de la MONUSCO dans sa dernière adresse au Conseil de sécurité, dans laquelle elle réitère le projet de mise en œuvre « de stratégies politiques globales, comprenant des mesures et des réformes qui permettront de parvenir à la stabilisation et à une paix durable de la RDC ». Mais nous exigeons au préalable l’installation d’un gouvernement technocratique dirigé par le CET, pendant 3 ans, en vue de mettre le pays sur les rails.

QUARTO :

Nous soutenons une position de neutralité dans la guerre entre l’Occident et la Russie qui se déroule en Ukraine. Notre position rejoint celle exprimée par le président en exercice de l’UA. Et nous nous distançons de la déclaration de la Sous-Secrétaire d’État américaine, similaire aux déclarations jadis connues lors de la Guerre froide, qualifiant cette guerre de combat entre l’autoritarisme et la démocratie.

ARGUMENTAIRE DÉTAILLÉ

NOTRE CONDAMNATION DU DÉNIGREMENT DE L’ARMÉE NATIONALE PAR LE GOUVERNEMENT

Au lendemain du revers subi par les FARDC face au M23 avec perte d’hommes, le gouvernement congolais vient de faire une déclaration sévère envers ses troupes. Or, le Président de la RDC est le commandant en chef des FARDC. À ce titre, il doit respecter notamment deux principes : 1) défendre ses hommes et l’honneur de sa troupe ; et 2) s’efforcer de bien connaître ses ennemis.

Un président qui dénigre publiquement les performances de son armée pendant que celle-ci subit des pertes n’a pas sa place à la tête d’un pays, et ce, même si, à l’interne, l’autocritique doit être faite pour déterminer l’origine des faiblesses et les sanctionner. Rappelons par ailleurs l’adage selon lequel « il n’y a pas de mauvaises troupes, il n’y a que des mauvais chefs ».

En outre, peut-on être un commandant en chef responsable et ignorer les ennemis potentiels ou réels du pays ? Après leur capitulation suite à une offensive très musclée des FARDC assistées par la brigade d’intervention de l’ONU, les éléments du M23 s’étaient installés au Rwanda et en Ouganda, pays qui avaient été en guerre ouverte contre la RDC et dont il subsiste des raisons allant dans le sens de la continuité de leur hostilité.

Par sa résolution S/RES/2098 (2013), « le Conseil de sécurité interdi[sai]t le soutien aux groupes armés et exhort[ait] le Rwanda et l’Ouganda à ne pas permettre à des ex-combattants de quitter les camps de cantonnement pour retourner en RDC, où ils pourraient se regrouper ou rejoindre d’autres groupes armés toujours actifs. » (cf. l’Accord-cadre pour la sécurité et la coopération)

Le retour des éléments du M23 en RDC sans autorisation des autorités congolaises est donc une preuve éclatante des mauvaises intentions que nourrissent ces deux pays envers la RDC. D’ailleurs, si la RDC n’est pas encore prête à accueillir ces éléments, pourquoi les deux pays hôtes ne demanderaient-ils pas au HCR (Haut Commissariat de l’Onu pour les réfugiés) de trouver une solution dans le cadre des programmes d’insertion ou de réinstallation ?

L’entêtement du Rwanda et de l’Ouganda à faire revenir ces éléments du M23 (avec armes) en RD Congo alors que les conditions ne sont pas encore réunies n’est pas un signe de bonnes relations entre pays voisins, mais démontre l’intention de continuer à déstabiliser la RDC pour des raisons connues et bien documentées, à savoir l’exploitation des ressources congolaises.

Nous condamnons donc le Président Félix Tshisekedi pour le déshonneur qu’il inflige aux éléments des FARDC dans le seul but de plaire au Rwanda, et son incapacité à reconnaître nos ennemis.

LES SANCTIONS AMÉRICAINES NE SONT PAS SUFFISANTES POUR FAIRE CESSER LA GUERRE DE L’OR ENTRE L’OUGANDA ET LE RWANDA SUR LE TERRITOIRE CONGOLAIS

Au sujet de la signature, en juin 2021, d’un accord concernant l’exploitation de l’or et impliquant la société congolaise aurifère (SAKIMA SA) ainsi que le monopole du raffinage de l’or collecté au Kivu et au Maniema par la société rwandaise DITHER LTD, voici ci-dessous un extrait d’un article d’un analyste ougandais : (traduction de l’anglais)

« Si les choses sont laissées telles quelles, nous serons en deçà de ce que nous avons gagné avec l’or l’année dernière. Davantage de vendeurs d’or congolais à l’Ouganda risquent de mourir au sein de la RDC que de soldats abattus à la frontière commune avec le Rwanda. Apparemment, nous investissons dans les infrastructures physiques de la RDC dans un but majeur : maximiser les avantages commerciaux. Par conséquent, Kampala doit examiner rapidement les protocoles économiques existants avec Kinshasa pour garantir un accès sans contrainte à toutes les ressources de l’un ou l’autre pays qui soit mutuellement bénéfique. »

Selon un article de l’agence Reuters daté du …. , la production d’or en République démocratique du Congo continue d’être systématiquement sous-déclarée, tandis que des tonnes de ce métal précieux sont introduites en contrebande dans les chaînes d’approvisionnement mondiales par l’intermédiaire de ses voisins de l’Est, l’Ouganda et le Rwanda : selon un rapport des Nations unies, plus de 95% de l’or raffiné dans ces deux pays provient de RDC. Il existe 6 fonderies d’or en Ouganda appartenant à des sociétés privées et une fonderie au Rwanda appartenant à l’État rwandais.

La contribution de l’or, en valeur, dans les exportations de l’Ouganda et du Rwanda en 2020 est respectivement de 61% ou 3 700 millions de dollars, et 74% ou 640 millions de dollars. Or, dans le plan de développement du Rwanda, l’objectif d’exportation de l’or est fixé à 1 500 millions de dollars pour l’an 2024. Ceci crée une tension entre les deux pays, avec des attaques armées en RDC, et explique l’intervention de l’armée ougandaise contre le M23 (venu du Rwanda) à Bunagana la semaine dernière. Le Président rwandais a parlé de la nécessité de poursuivre le FDLR (extrémistes hutu) en RDC « sans la permission de qui que ce soit ».

Le département américain du Trésor a sanctionné le 18 mars 2022 l’une des six raffineries d’or en Ouganda, à savoir celle de l’homme d’affaires et opérateur Alain Goetz, pour avoir contribué au conflit en République démocratique du Congo. Cette mesure, bien qu’importante, n’est pas suffisante pour arrêter la guerre de l’or que se livrent l’Ouganda et le Rwanda sur le territoire congolais, et ce, au prix du sang congolais. Ces deux pays s’étaient déjà affrontés à Kisangani en 2000 pour le diamant.

CONCERNANT L’APPEL DE BINTOU KEITA, LA CHEFFE DE LA MONUSCO, EN VUE DE « LA MISE EN ŒUVRE DE STRATÉGIES GLOBALES » POUR LA STABILITÉ EN RDC

Nous avons entendu l’appel de la cheffe de la Monusco à la mise en œuvre par le gouvernement congolais de stratégies politiques globales, incluant des mesures et des réformes qui permettront de parvenir à la stabilisation et à une paix durable dans la RDC tout entière (et pas seulement à l’Est). Toutefois, nous estimons que ceci nécessite un préalable : l’installation d’un régime de transition technocratique d’au moins trois ans.

Une étude comparée des États-nations les plus fragiles du monde (la RDC y étant classée cinquième) montre que les plus grands facteurs contributeurs à la fragilité de la RDC demeurent l’insécurité, la fragmentation de l’élite et les interventions étrangères, qui sont toutes trois à des degrés élevés dans le pays.

La transition vers la démocratie ne peut pas se produire sans que l’État ne devienne un État dans l’acception wébérienne du terme, c.-à-d. une entité ayant à minima d’abord la capacité d’organiser la sécurité des habitants sur son territoire, facteur sans lequel l’organisation de l’économie en vue de pourvoir efficacement aux besoins de sa population est impossible.

Les principaux chercheurs sur la démocratisation sont unanimes : la démocratie ne peut pas naître dans des sociétés sujettes à des conflits internes ininterrompus ou trop fréquents. Samuel Huntington, Juan Linz et Guillermo O’Donnell, qui sont des sommités sur la question de la transition démocratique aux 20e et 21e siècles, affirment que le pluralisme mène à l’instabilité politique dans de jeunes États, car la trop forte présence de groupes d’intérêt et les agitations des divers groupements indépendants peuvent affaiblir l’État dans l’exercice de sa capacité de gouverner effectivement, et constituer ainsi un handicap pour l’avancée dans la démocratisation. La multitude de groupe d’intérêts et d’associations ou de « partis politiques » n’est alors que le résultat de la fragmentation de l’élite.

Étant donné que la fragmentation de l’élite a toujours un impact négatif sur la stabilité nationale (ce sont eux qui mobilisent les masses dans une guerre civile), il faut encourager la coalition des élites afin de minimiser l’instabilité interne et de faciliter la démocratisation.

Par ailleurs, les effets de l’influence des interventions étrangères sur la fragmentation des élites ne sont plus à démontrer dans l’histoire de la RDC depuis la décolonisation en 1960. C’est l’intervention de la Belgique qui avait mené aux sécessions katangaises et sud-kasaïenne. L’Est de la RDC est très instable à cause des interventions étrangères, notamment celles de l’Ouganda et du Rwanda, intéressés par la contrebande de l’or. Les pays occidentaux sèment la division parmi les élites pour favoriser nos achats de leurs produits – que nous pourrions parfois produire nous-mêmes –, développant ainsi une dépendance.

Depuis 2016, le degré d’autoritarisme n’a cessé d’augmenter. La RDC est ainsi passée de la dixième place des dictatures dans le monde à la deuxième ! Selon Samuel P. Huntington, dans les dictatures marquées par la personnification du pouvoir (régime sultanique ou néo-patrimonial), telles qu’en RDC, la transition démocratique ne peut être engagée avec succès qu’après le renversement du régime… et non pas par l’organisation d’un plébiscite (cf. Samuel P. Huntington, The Third Wave: Democratization in the late 20th century).

C’est la raison pour laquelle, depuis 2016, nous exigeons l’organisation d’une transition technocratique d’une durée d’au moins trois années, dirigée par le CET. Il s’agit notamment de mener au renforcement des capacités militaires en vue d’assurer la protection de notre territoire, réduire les interventions étrangères et permettre la coalition des élites. L’objectif ultime du CET est d’augmenter la capacité de l’État à servir le peuple congolais, et de remettre l’État congolais sur les rails avant l’organisation d’élections démocratiques.

Ces besoins l’emportent largement sur la nécessité d’organiser des plébiscites prétendument pour la « démocratisation ».

À PROPOS DES DÉCLARATIONS DE MACKY SALL ET DE VICTORIA NULAND

Le CET ne peut pas être insensible au drame humain qui se joue en Ukraine, où le nombre total de civils tués dépasse déjà plus de deux mille, selon les chiffres de l’ONU. Malgré les informations présentées, la compréhension générale demeure que l’Occident s’affronte à la Russie.

Et, en tant que fils d’Afrique, nous félicitons le Président Macky Sall du Sénégal (président en exercice de l’UA) ainsi que tous les autres leaders africains qui ont choisi d’adopter la neutralité dans cette guerre qui oppose de grandes puissances économiques et militaires de la planète. Nous espérons que la sagesse leur dictera de ne pas détruire la maison commune, la Terre.

Le fait de choisir une position de neutralité ne signifie pas que nous avons choisi d’être les ennemis de l’Occident. Mandela disait : « Leurs ennemis ne sont pas nos ennemis. » Si certains dirigeants occidentaux n’attendent des Africains qu’une attitude suiviste, nous leur disons que nous, Africains, avons choisi d’être des amis des Occidentaux, plutôt que de demeurer leurs esclaves.

Nous voudrions ici nous distancier des propos de la Sous-secrétaire d’État Victoria Nuland, qui, dans une interview, s’adressant aux Africains par le biais de Jeune Afrique du …. mars 2020, présente cette guerre en Ukraine comme « un combat de l’autoritarisme contre la démocratie » et rappelle implicitement aux Africains qu’ils doivent être reconnaissants envers les États-Unis, qui, selon elle, ont toujours été à leurs côtés quand ils ont été confrontés à l’instabilité, ou lorsque la souveraineté et l’intégrité territoriale de leur pays ont été menacées.

Pour ce qui est du Congo, certes, tout Congolais doit se rappeler que, sans la détermination du Président John Kennedy, il n’aurait pas été facile au pays de retrouver son intégrité territoriale dans le passé (en 1963), menacée par d’anciennes puissances coloniales européennes membres de l’OTAN. Par ailleurs, les États-Unis n’avaient-ils pas aussi tiré profit de l’appartenance du Congo belge, puis de la RDC, au camp occidental pour consolider leur position de première puissance militaire mondiale de 1941 jusqu’à la fin de la Guerre froide ? En effet, ils ont largement profité de la disponibilité des ressources minières, notamment l’uranium, utilisé dans le premier arsenal nucléaire américain, ainsi que le cobalt, le diamant et le cuivre et autres produits stratégiques dont le Congo était l’un des plus importants pays producteurs au monde.

Concernant la démocratie, la stabilité, les menaces sur la souveraineté et l’intégrité territoriale de la RDC, nous continuons d’espérer que les États-Unis en feront davantage… car tout semble prouver le contraire, dans la déclaration de Mme la Sous-Secrétaire d’État Nuland.

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By Habari

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