RDC : la Monusco doit-elle partir ?
Confrontée à des manifestations réclamant son départ, la mission onusienne, longtemps chahutée sous Kabila, est désormais poussée vers la sortie par l’administration Tshisekedi. Vingt-trois ans après son arrivée au Congo, est-ce pour elle l’heure de plier bagages ?
30 août 2022 à 09:33
Par Romain Gras
Mis à jour le 30 août 2022 à 09:33
Matelas empilés sur la tête des manifestants, chaises portées à bout de bras, parfois même quelques imposants réservoirs d’eau en métal péniblement traînés sur une piste en terre… Ce mardi 26 juillet, l’une des bases de la Mission des Nations unies (Monusco) à Goma est prise d’assaut. La foule paraît organisée. Elle est surtout mécontente. Voilà plusieurs jours que la colère contre les Casques bleus s’est remise à gronder.
Avec son budget dépassant chaque année le milliard de dollars et ses quelque 14 000 soldats et policiers chargés, notamment, de protéger les civils, la Monusco est régulièrement accusée d’inefficacité face aux groupes armés. Elle se prépare depuis plusieurs jours à cette nouvelle vague de manifestations. Elle a même adressé une correspondance au ministère des Affaires étrangères, le 18 juillet, pour alerter contre « le risque d’actes hostiles contre le personnel et les installations de la Monusco » à la suite de discours émanant de « représentants de l’État » ou « de figures publiques ». Trois jours plus tôt, Modeste Bahati Lukwebo, le président du Sénat, l’un des trois principaux personnages de l’État, avait profité d’une visite dans le Nord-Kivu et dans le Sud-Kivu (Est) pour appeler la mission « à plier bagage ». Comme d’autres, il est accusé d’avoir jeté de l’huile sur le feu.À LIRERDC : faut-il en finir avec la Monusco ?
Parmi les diplomates, plusieurs s’interrogent sur la tournure particulièrement violente qu’ont pris ces événements. Leur ampleur a surpris et contraste avec celle des marches organisées par la société civile. « Les enquêtes préliminaires montrent que les manifestations visant la Monusco n’étaient pas spontanées, mais plutôt bien organisées et coordonnées », note à ce titre le groupe d’experts de l’ONU dans son rapport confidentiel du mois de juillet, que Jeune Afrique a consulté. Un haut cadre de la Monusco va jusqu’à affirmer que « selon des éléments à disposition de la mission, les cortèges étaient infiltrés par des membres de groupes armés ». Mais « n’évoquer que le spectre d’une manipulation des élites revient à ignorer toute une partie du problème », estime un élu de l’Est.
« Certains politiciens sous pression ont instrumentalisé la situation. Mais il faut aussi que la Monusco revoie sa copie, tranche Juvénal Munubo, député de Walikale, dans le Nord-Kivu. Il existe une exaspération légitime au sein de la population qui ne comprend pas qu’une mission aussi coûteuse produise aussi peu de résultats face aux groupes armés.”
Retrait anticipé ?
D’Uvira à Butembo en passant par Goma, les manifestations se sont succédé ces dernières semaines, tournant souvent au pillage d’installations onusiennes et faisant 36 morts, dont 4 Casques bleus. Le climat, déjà extrêmement tendu, a été aggravé par un incident, ce 31 juillet, au poste-frontière de Kasindi, où des soldats de la brigade d’intervention de la Monusco (FIB) ont ouvert le feu, tuant 3 personnes.
Sous pression, les autorités congolaises ont durci le ton vis-à-vis de la mission. Le 28 juillet, elles ont exigé l’expulsion de son porte-parole, Mathias Gillmann, après qu’il avait expliqué, mi-juillet, que le déploiement d’une grande partie des ressources de la mission et de l’armée congolaise dans la lutte contre les rebelles du M23 avait des conséquences négatives sur les autres régions. Selon Kinshasa, ces déclarations reviennent à reconnaître l’incapacité de la Monusco à remplir ses objectifs.À LIRERDC : l’avenir de plus en plus incertain de la Monusco
Face au mécontentement grandissant de l’opinion, le gouvernement a aussi annoncé son intention de revoir le plan de transition organisant le retrait définitif des Casques bleus, pour le moment prévu à l’horizon 2024, amenant cette crise à un niveau inédit depuis l’arrivée au pouvoir de Félix Tshisekedi. Le timing dans lequel cette discussion pourrait avoir lieu semble en tout cas très flou. « Nous allons travailler à raccourcir le délai du départ de la Monusco, mais cela dépendra des indicateurs définis », évoque simplement un ministre congolais.
« La Monusco est la bienvenue »
Simple effet d’annonce ou non, cette prise de position a marqué un virage dans l’approche du président congolais. Après avoir, des années durant, essuyé les critiques de Joseph Kabila, la Monusco profitait depuis l’élection de Félix Tshisekedi d’un répit salvateur sur le plan politique. En septembre 2020, le président avait d’ailleurs livré un grand plaidoyer à l’ONU pour l’allocation de moyens supplémentaires à la force onusienne afin que celle-ci puisse « continuer à remplir avec efficacité son mandat ». Un discours aux antipodes de celui de son prédécesseur, qui, pour sa dernière intervention à cette même tribune, en 2018, avait exigé le retrait, d’ici à deux ans, d’une mission au bilan « largement mitigé ».
Cette accalmie repose à l’époque sur un paramètre essentiel : à sa prise de pouvoir, en janvier 2019, Félix Tshisekedi ne dispose que d’une très faible emprise sur l’armée congolaise, où les généraux kabilistes sont légion. La Monusco et sa patronne, l’Algérienne Leila Zerrougui, n’ont pas fait l’objet des principales critiques du scrutin controversé de décembre 2018. Elles deviennent des interlocutrices de choix pour un chef de l’État vulnérable. Au début de son mandat, Félix Tshisekedi rencontre régulièrement Zerrougui, qui use aussi de sa position pour faire occasionnellement office d’intermédiaire avec le camp de l’ancien président. « La Monusco est la bienvenue en RDC », assume à l’époque le dirigeant congolais.
Critiques
Pourtant, parallèlement à un discours politique plus rassurant, la mission, arrivée sous le nom de Monuc en 1999, doit aussi préparer un avenir de plus en plus incertain. Longtemps l’une des opérations les plus coûteuses de l’ONU, avec un budget annuel avoisinant 1,5 milliard de dollars, la Monusco vit ces dernières années au rythme des coupes budgétaires et de la fermeture de plusieurs de ses bureaux en province.
La revue stratégique menée en 2019 par le diplomate tunisien Youssef Mahmoud a préconisé « un plan de retrait échelonné, progressif et exhaustif pour les trois prochaines années ». Plusieurs centaines d’employés ont déjà vu leur contrat arriver à terme. Surtout, sur le terrain, la mission essuie de plus en plus de critiques : après plus de deux décennies en RDC, l’insécurité demeure, et, pour bon nombre de Congolais, la Monusco a failli à son objectif de protéger les civils. Si, il y a dix ans, l’opinion plaidait surtout pour un mandat plus offensif de la Monusco, les revendications ont progressivement évolué jusqu’à exiger son départ. « Personne ne veut être celui qui éteindra définitivement la lumière ici », reconnaît un cadre de la Monusco. Arrivée en mars 2021, la Guinéenne Bintou Keïta sera-t-elle celle qui refermera définitivement cette longue page de l’histoire congolaise ?
Un mois après le début des manifestations, la tension n’est pas redescendue sur le terrain, où l’image de la mission, de ses bases sécurisées et de son personnel en pick-up blanc, ne cesse de se dégrader. Selon plusieurs sources, une partie du personnel non militaire de la Monusco dans l’est de la RDC limite aujourd’hui ses mouvements.
La facteur M23
En novembre 2019 et en avril 2021, la Monusco avait déjà été confrontée à des manifestations de grande ampleur, motivées par la persistance des massacres perpétrés par les Forces démocratiques alliées (ADF). Mais la mission s’est de nouveau retrouvée dans le viseur de l’opinion avec la résurgence du M23. Ces rebelles, défaits en 2013 grâce notamment à l’aide de la FIB – créée à cet effet –, ont repris et intensifié leurs combats contre les Forces armées de la RDC (FARDC) depuis novembre 2021.
Ce conflit a ravivé les tensions entre les différents voisins des Grands Lacs, Kinshasa accusant le Rwanda de soutenir les rebelles, ce que Kigali continue de nier. La prise par le M23 de la très stratégique ville de Bunagana, carrefour commercial frontalier de l’Ouganda, le 13 juin dernier, ainsi que la sophistication du matériel utilisé par les assaillants ont néanmoins contribué à renforcer les soupçons autour d’un soutien extérieur du Rwanda et d’une complicité de l’Ouganda.À LIRERDC-Rwanda : le casse-tête de Félix Tshisekedi
La communication de la Monusco sur cette question a parfois été ambiguë. Alors que l’ambassade des États-Unis en RDC et le Sénat américain ont tous les deux évoqué l’implication supposée de soldats rwandais, la mission n’est jamais allée jusque-là. Le 29 juin, devant le Conseil de sécurité de l’ONU, Bintou Keïta a certes souligné que le M23 « se comportait de plus en plus comme une armée conventionnelle et non comme un groupe armé ». Mais la diplomate a néanmoins pris soin de ne pas mentionner le nom du Rwanda.
Désaveu
Les renseignements obtenus par les services de la Monusco pointent pourtant depuis plusieurs semaines une implication rwandaise, au minimum en matière de logistique, aux côtés du M23. Ces éléments ont été discrètement communiqués à des diplomates à Kinshasa. Ils sont également venus alimenter le rapport confidentiel du groupe d’experts de l’ONU, daté de juillet, qui a été transmis au Conseil de sécurité.
Ce discours prudent a placé la Monusco dans une position doublement inconfortable. Visée depuis plusieurs mois par les reproches de Kigali, qui l’accuse de soutenir l’armée congolaise – elle-même soupçonnée de combattre le M23 aux côtés des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) –, la Monusco est critiquée par l’entourage de Félix Tshisekedi, qui se démène pour obtenir une condamnation internationale du Rwanda.
« Nos déclarations ont donné l’impression à certains que l’on ne justifiait plus notre présence ici, alors qu’en affirmant que le M23 se comportait comme une armée conventionnelle, nous allions dans le sens de la RDC. Mais nous ne pouvons le faire qu’avec les contraintes inhérentes à la nature de notre mission », souligne un haut cadre de la Monusco.
Tshisekedi sous pression
Ces difficultés ont notamment été renforcées par l’imbroglio autour du vote, fin juin, de la nouvelle résolution concernant l’embargo sur les armes imposé en RDC par le Conseil de sécurité de l’ONU. Bien que cet embargo ne concerne plus, depuis 2008, que les groupes armés, il persiste au sommet de l’État une forme d’incompréhension vis-à-vis des obligations de notification en cas de fourniture d’armes au gouvernement.
Plusieurs sources au sein de la mission reconnaissent un « couac » de communication mais estiment aussi faire les frais de la pression populaire que subissent les autorités congolaises. « Il y a un tel désaveu qu’on ne peut pas rester insensible, reconnaît par message un ministre congolais. Il faut faire baisser la tension en donnant une réponse à la réclamation de nos populations. » À un an et demi de l’élection présidentielle, prévue en décembre 2023, Félix Tshisekedi se trouve par ailleurs dans une situation délicate dans le domaine sécuritaire, où ses différentes stratégies, qu’il s’agisse de l’instauration de l’état de siège ou de l’opération conjointe avec l’Ouganda, peinent à fournir des résultats.
Absence de coopération
Mais, au-delà de l’exaspération légitime des populations et de la mise en garde des autorités, un départ anticipé de la Monusco est-il réaliste ? La capacité de l’armée congolaise à prendre le relais est loin d’être évidente. Félix Tshisekedi lui-même semble en être conscient. Après avoir dénoncé la « mafia » qui régnait sur l’armée congolaise en juin 2021, le chef de l’État s’est publiquement agacé de la persistance des tueries en Ituri. « Soit notre armée est incapable, soit la Codeco [Coopérative pour le développement du Congo, un des groupes armés qui opèrent dans l’Est] bénéficie de la complicité de nos officiers », avait-il lancé.
La Monusco connaît des difficultés chroniques de coopération avec l’armée congolaise. Outre la présence, dans les rangs des FARDC, de haut gradés soupçonnés de violations des droits humains, dont certains sont même sous sanctions de l’ONU, l’absence de planification conjointe pose également problème.À LIRERDC : force régionale, M23… Les coulisses du huis clos tendu de Nairobi
Sollicitée pour participer à l’offensive « de grande envergure » contre les ADF, annoncée par Félix Tshisekedi en octobre 2019, mais, tenue à l’écart de sa préparation, la Monusco s’était limitée à un soutien technique, comme des vols de reconnaissance. La mission n’a pas non plus été informée de la mise en place de l’état de siège, ni associée à la préparation de l’offensive conjointe de l’armée congolaise et de son homologue ougandaise, en novembre 2021.
La force onusienne, également confrontée à un manque de moyens militaires, a semblé fragilisée sur le terrain, et ce alors que les tractations se poursuivent autour du lancement d’une force régionale de la Communauté de l’Afrique de l’Est (EAC). Les troupes burundaises sont officiellement entrées dans le Sud-Kivu le 15 août pour y combattre des mouvements hostiles à Gitega. Mais le calendrier d’intervention des autres participants est encore flou, comme le sont également les modalités de coopération de cette force régionale avec la Monusco.
« L’après-Monusco est à craindre »
Un départ anticipé de la mission aurait, surtout, des répercussions sur la logistique même de l’armée congolaise. Toute une partie de son travail dans l’ombre consiste à apporter un soutien allant de la conduite de vols de reconnaissance à l’acheminement de rations alimentaires.
La mission a aussi fourni une assistance discrète lors du démarrage, en avril dernier, du dialogue entre le gouvernement congolais et plusieurs groupes armés, à Nairobi. Initialement, seul un dialogue bilatéral avec le M23 était prévu, et la patronne de la Monusco n’a été prévenue de ce changement de stratégie que dans les heures qui ont suivi le sommet de l’EAC qui en a décidé. Elle s’est vu confier la mission de contribuer à l’acheminement des représentants des groupes armés la veille pour le lendemain. Cette impréparation a en partie expliqué les débuts poussifs de ce dialogue.À LIRERDC : pourquoi le dialogue entre Tshisekedi et les groupes armés vire au casse-tête
« Nous avons ouvert la porte à un départ de la Monusco, un calendrier a même été établi. Faut-il pour autant enfoncer cette porte et anticiper ce départ alors que nos forces armées auront du mal à prendre le relais ? interroge le député Juvénal Munubo. L’après-Monusco est à craindre, car notre principal chantier reste à ce jour la réforme de notre propre secteur de la sécurité. »