POLITIQUE

Évariste Ndayishimiye : « Personne ne sait qui sont les membres du M23 en RDC »

Situation dans l’est du Congo, mandat de la force régionale, normalisation diplomatique… De passage à Washington pour le sommet États-Unis – Afrique, le président burundais, qui est également à la tête de l’EAC, a répondu aux questions de Jeune Afrique.

21 décembre 2022 à 17:42

Par Romain Gras – à Washington

Mis à jour le 21 décembre 2022 à 17:42

Le président du Burundi, Évariste Ndayishimiye, lors des funérailles nationales de Pierre Nkurunziza, au stade Ingoma de Gitega, au Burundi, le 26 juin 2020. © TCHANDROU NITANGA/AFP

Le premier sommet États-Unis – Afrique, organisé en août 2014 par Barack Obama, avait aussi motivé l’une des dernières visites de Pierre Nkurunziza outre-Atlantique. En pleine polémique autour du troisième mandat qu’il entendait briguer un an plus tard, le président burundais de l’époque avait malgré tout été reçu par le secrétaire d’État américain, John Kerry. C’était avant la présidentielle organisée en juillet 2015, avant la crise et la répression qui avaient suivi le scrutin, avant que le Burundi voie s’abattre sur lui une avalanche de sanctions – européennes, onusiennes et américaines.

Au pouvoir depuis juin 2020, Évariste Ndayishimiye tente de sortir le Burundi de l’impasse diplomatique qui a marqué le dernier mandat de Nkurunziza. À défaut d’avoir métamorphosé l’ADN du régime, toujours cadenassé par le Conseil national pour la défense de la démocratie-Force de défense de la démocratie (CNDD-FDD, le parti au pouvoir), « Neva » a néanmoins enregistré quelques succès non négligeables.À LIREBurundi : Évariste Ndayishimiye tente de sortir le pays de l’isolement

Depuis juillet dernier, il assure aussi la présidence tournante de la Communauté de l’Afrique de l’Est (EAC) et s’implique, pour le compte de la région, dans la difficile résolution du conflit qui oppose la RDC au Rwanda, accusé de soutenir le M23. Une crise aux allures de bourbier sur laquelle il est revenu pour Jeune Afrique à la fin du sommet.

Jeune Afrique : Les relations entre le Burundi et les États-Unis ont été compliquées pendant le dernier mandat de votre prédécesseur. Cette page est-elle tournée ?

Évariste Ndayishimiye : Il y a eu une forme d’apaisement. Depuis les élections de 2020, qui se sont passées en toute transparence, sans qu’il y ait de tensions particulières entre les partis politiques, la confiance de la communauté internationale est revenue. Les uns et les autres font de nouveau confiance aux institutions du Burundi, et c’est pour cela que le processus de levée des sanctions a été entamé. Les États-Unis ont d’ailleurs été les premiers à les supprimer et les Nations unies ont suivi en retirant le Burundi de l’agenda du Conseil de sécurité.

Votre prédécesseur avait, à la fin de son mandat, fait le choix de l’isolement diplomatique et adopté une rhétorique plus agressive. Fallait-il rompre avec ce discours ?

Chaque pays a sa Constitution et son mode de gouvernance. Si chacun se met à interpréter les lois de l’autre, cela devient de l’ingérence. Quand il y a conflit, on tient un langage de belligérant, c’est normal. Une fois que l’on convient de travailler ensemble, le ton n’est plus le même.

Le Burundi s’était aussi rapproché de la Chine et de la Russie. Votre présence à Washington témoigne-t-elle d’un réajustement diplomatique ?

Je n’ai jamais entendu qui que ce soit vouloir imposer son mode de pensée au Burundi dans ses relations avec la Russie. Notre pays a connu beaucoup de problèmes et il a besoin de tout le monde. Nous sommes contre la guerre, mais nous ne pouvons pas prendre parti dans un conflit comme celui de l’Ukraine.

Il y a plusieurs semaines, l’EAC avait donné un délai de deux jours au M23 pour qu’il se retire des positions qu’il occupe dans l’est de la RDC, sous peine de recourir à la force régionale. Les rebelles n’ont pas bougé. Pourquoi celle-ci n’intervient-elle pas ?

Ramener la paix n’est pas chose facile. Parvenir à un cessez-le-feu définitif demande un certain niveau de confiance et de patience, et nous n’en sommes pas encore là.

Quand nous avons préconisé un retrait du M23, nous avons aussi demandé que la force régionale puisse prendre le relais pour assurer la sécurité des populations. En marge du sommet de Washington, nous avons tenu une nouvelle réunion pour évaluer les raisons du non-respect de ces engagements et nous sommes de nouveau convenus du fait que le M23 devait se retirer.À LIREWagner, présidence de l’UA, M23… Dans les coulisses du sommet de Washington

Je sais être patient, et j’ai foi dans le fait qu’ils vont le faire. J’espère ensuite que le Kenya ira occuper le secteur. Si le M23 a menti, cela se vérifiera sur le terrain, d’autant que, s’il ne se retire pas, la force régionale ne pourra pas occuper les territoires concernés parce qu’il y aura un risque d’affrontement.

Mais la force régionale n’ira pas à l’affrontement ? 

Nous n’avons pas besoin d’un conflit. D’ailleurs, on nous dit que les combattants du M23 sont fatigués eux aussi de cette guerre et qu’ils veulent intégrer le processus de paix.

À la différence de certains États, l’EAC n’a jamais fait mention d’un éventuel soutien du Rwanda au M23. Pourquoi ?

Le gouvernement congolais ne sait pas exactement qui sont les membres du M23. Si ses combattants sont rassemblés dans des zones de cantonnement et qu’on lance le processus de Désarmement, démobilisation et réintégration (DDR), alors on pourra commencer à les identifier et à établir leur nationalité.

Aujourd’hui, personne ne sait qui sont les membres du M23 et cela entretient le flou. Tant que nous n’entamerons pas ce processus, il sera difficile de savoir qui est qui et de connaître la force des uns et des autres.

Ne faut-il pas craindre un règlement de comptes entre armées voisines et groupes rebelles avec cette force régionale ?

Il faut bien comprendre que tant que l’un de nos voisins manque de stabilité, c’est toute la région qui est malade. Le plan opérationnel de la force régionale dit que les forces étrangères négatives présentes dans l’est de la RDC doivent regagner leur pays. Et que ceux qui ne le font pas seront combattus. Pas seulement par l’armée burundaise, mais par toute la force régionale.

Plusieurs rapports, y compris ceux du groupe d’experts de l’ONU sur le Congo, ont dénoncé les incursions récurrentes de l’armée burundaise dans la province congolaise du Sud-Kivu. Que répondez-vous ?

Le groupe d’experts confond les choses. Depuis 2012-2013, les armées congolaise et burundaise mènent des opérations conjointes dans l’Est, et elles ont de bonnes relations. Chaque fois qu’il y a un incident, les Congolais ratissent de leur côté de la frontière et nous faisons de même du nôtre. J’insiste : le Burundi ne mène pas d’incursion sur le territoire congolais, mais nous menons ensemble des opérations conjointes pour sécuriser nos frontières communes. Le principe, dans ces cas-là, c’est que l’ennemi de votre ennemi devient votre ami.

La normalisation des relations avec le Rwanda peut-elle se passer du retour des « putschistes » que vous réclamez ?

C’est tout un processus que de normaliser les relations entre deux États. D’abord, nos forces de défense se sont parlé à la frontière pour s’assurer que personne n’allait attaquer. J’ai aussi envoyé mon ministre des Affaires étrangères au Rwanda pour amorcer un processus de dialogue. Des juristes rwandais et burundais ont pu se voir pour étudier le mécanisme de rapatriement des criminels qui sont au Rwanda. Chacun a reçu les émissaires de l’autre. Tout cela montre qu’il y a de l’espoir.

Nos ministres des Affaires étrangères vont prochainement se rencontrer pour achever ce processus. Le rapatriement reste un sujet, mais qui dépasse le seul cas des putschistes et concerne en fait tous les réfugiés.

Début septembre, vous disiez vous méfier d’un coup d’État. Vous avez dans la foulée limogé votre Premier ministre, Alain-Guillaume Bunyoni. L’accusez-vous d’avoir voulu déstabiliser le régime ?

Si Alain-Guillaume Bunyoni a été choisi comme Premier ministre au début de la législature, c’est parce qu’il y avait un plan pour essayer de stabiliser la société après les élections. Désormais, on est passé à une autre étape et l’on cherche donc les hommes qu’il faut. C’est pour cela qu’on réorganise les choses. Ce n’est pas dû à un risque de déstabilisation et je peux vous affirmer qu’aujourd’hui, il n’y a pas de signe de fissure au sommet de l’État. Notre ennemi commun, c’est la pauvreté. Si un leader ne s’inscrit pas dans cette dynamique, il est remplacé par un autre, c’est tout.À LIREBurundi : l’UE lève les sanctions contre Gervais Ndirakobuca, le Premier ministre d’Évariste Ndayishimiye

Comment réagissez-vous à son placement sous sanctions américaines le 9 décembre ?

Je n’ai pas été averti, on ne m’a même pas envoyé une note préalable. J’ai juste vu la décision tomber. Que faire quand les décisions sont prises de manière unilatérale ?

Après, quand le Burundi a été placé sous sanctions, on a patienté et elles ont fini par être levées.

Pourquoi l’aide européenne tarde-t-elle à être débloquée ?

Nous sommes en discussion avec l’Union européenne [UE]. La situation économique mondiale a été ébranlée par la pandémie de Covid et par la guerre en Ukraine. Les bailleurs doivent repenser leur politique d’appui et c’est en dialoguant que nous pourrons déterminer ensemble les secteurs dans lesquels nous avons besoin du soutien de l’UE.

Le Conseil des droits de l’homme continue de mettre en garde contre « l’impunité sélective » au Burundi. Êtes-vous prêt, pour lever les doutes, à collaborer avec le rapporteur de la Commission des droits de l’homme de l’ONU­ ?

Il n’y a pas d’impunité au Burundi. Pour tout crime, il y a des poursuites, que vous soyez membre du gouvernement ou non. Nous n’avons rien à cacher. Le problème, c’est qu’il semble que l’on veuille travailler sur le passé. Le passé avait ses lacunes, et tout ce qui a été fait à l’époque l’a été de manière unilatérale. Le gouvernement actuel n’y a pas été associé.À LIREBurundi : Évariste Ndayishimiye va-t-il rompre avec la méthode Nkurunziza ?

Nous sommes prêts à discuter avec le Conseil des droits de l’homme. Nous analyserons ensemble la situation des droits de l’homme au Burundi et nous pourrons réfléchir à la manière de coopérer. Alors nous n’aurons plus de divergences.

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