RDC : l’obsession anti-Kabila de Jean-Pierre Bemba

Le ministre des Transports s’en est violemment pris à l’ancien président, installé depuis fin mai à Goma, ville sous le contrôle du M23. Ce faisant, il cherche à se replacer au centre du débat et à prouver sa fidélité à Félix Tshisekedi.

Jean-Pierre Bemba, vice-Premier ministre de la RDC, s’adresse aux partisans de l’Union sacrée, réunis au stade des Martyrs à Kinshasa, le 29 avril 2023. © ARSENE MPIANA/AFP

Ses allégations sont graves mais Jean-Pierre Bemba assume : « J’accuse M. Hippolyte Kanambe, alias Joseph Kabila, Katumbi Moïse Soriano et certains acteurs dirigeants de la Cenco [la Conférence épiscopale nationale du Congo] d’être les auteurs d’une tentative de déstabilisation de l’État, et également d’atteinte à la sûreté de l’État en voulant éliminer le chef de l’État. »

Intervenant ce 9 juin sur les ondes de la radio Top Congo, le vice-Premier ministre de RDC chargé des Transports n’a pas pris de pincettes, contestant jusqu’à la nationalité congolaise de l’ancien président. « Joseph Kabila n’est pas fils de Laurent-Désiré Kabila, a-t-il asséné. C’est un agent et soldat rwandais. Jaynet [Kabila] n’est pas non plus sa jumelle, elle serait la sœur du père biologique de Joseph Kabila. La RDC a payé 66 millions de dollars chaque mois pendant 18 ans de Kabila au Rwanda pour motif de contribution pour avoir aidé à chasser Mobutu. »

Ferdinand Kambere, secrétaire permanent adjoint du Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD, de Joseph Kabila), a immédiatement réagi en dénonçant un discours incitant « à la haine tribale et à la violence contre des compatriotes bien définis ». L’ancienne sénatrice Francine Muyumba, réputée proche de Joseph Kabila, a elle aussi fait part de son indignation. « C’est désormais clair : ceux qui œuvrent à la balkanisation du Congo ne se cachent plus », a-t-elle déclaré. Et de lancer à l’endroit de Jean-Pierre Bemba : « Si c’est l’option que vous avez choisie, sachez qu’elle est aussi dangereuse qu’irresponsable. »

S’en prendre à Kabila est le fruit d’une stratégie mûrement réfléchie. C’est une question de survie.(Yvon BuyaSpécialiste de la violence politique en RDC)

L’argumentaire repris par le ministre des Transports est ancien. Il n’a jamais été étayé mais alimente depuis longtemps le discours des détracteurs de l’ancien président, au pouvoir de 2001 à 2019. L’arrivée de l’intéressé à Goma, fin mai, alors que la ville est sous le contrôle des rebelles du M23, a considérablement crispé le débat politique – et conforté dans leurs certitudes ceux qui, à Kinshasa, étaient depuis des mois convaincus qu’il était de mèche avec les rebelles. Accusé de connivence avec l’ennemi pour déstabiliser Félix Tshisekedi, il a vu le Sénat lever son immunité parlementaire à la demande de la justice militaire qui veut le poursuivre pour « trahison, crime de guerre et crime contre l’humanité et participation à un mouvement insurrectionnel ».

Cela suffit-il à expliquer la verdeur des déclarations de Jean-Pierre Bemba ? Le gouvernement congolais n’est-il pas, depuis plusieurs semaines, engagé dans des discussions directes avec une délégation du M23 à Doha ? « En séparant les Congolais, en les dressant les uns contre les autres par ses incitations permanentes à la haine et à la violence, le ministre Jean-Pierre Bemba conduit le pays à sa destruction », regrette l’opposant Claudel Lubaya. Sans doute cherche-t-il surtout à jouer sa propre partition.

Ministre de la Défense nationale jusqu’au remaniement de mai 2024, le patron du Mouvement de libération du Congo (MLC) occupe désormais un portefeuille moins politique, et peine à exister sur le devant de la scène alors que le bras de fer entre Kinshasa et les rebelles, soutenus par le Rwanda, polarise le débat. « Il n’est pas exclu que Jean-Pierre Bemba adopte cette posture pour montrer au chef de l’État qu’il est son meilleur atout contre ceux qui menacent son fauteuil, à commencer par Joseph Kabila. Pour montrer qu’il peut dire des choses que d’autres ne peuvent pas », avance Yvon Muya, chercheur et spécialiste de la violence politique en RDC.

Les relations entre Bemba et Joseph Kabila sont notoirement mauvaises. Ancien vice-président lors de la transition entre 2003 et 2006, les deux hommes se sont ensuite affrontés dans les urnes lors de la présidentielle de 2006, et le bras de fer n’a pas tourné en faveur du candidat du MLC. « Au-delà des calculs politiques, Jean-Pierre Bemba craint vraiment que l’ex-président revienne aux affaires, reprend Yvon Buya. Pour lui, ce serait un scénario catastrophe. Peut-être même qu’il serait contraint à l’exil. Alors s’en prendre à Kabila est le fruit d’une stratégie mûrement réfléchie. En somme, c’est une question de survie. »

Sur Top Congo, Jean-Pierre Bemba a été généreux dans ses attaques, il n’a oublié personne. Il a ainsi accusé Moïse Katumbi, dont il conteste la nationalité, d’être « obnubilé » par l’ambition de devenir président de la République. Il affirme que des caches d’armes ont été découvertes dans la propriété privée de l’ancien gouverneur du Katanga, à Mulonde. Pourtant, les autorités ne l’ont jamais annoncé alors même que les lieux avaient été perquisitionnés en octobre dernier. Depuis cet épisode, Moïse Katumbi n’a plus remis les pieds en RDC. Il a eu des contacts ces derniers mois avec Joseph Kabila, qui était autrefois son ennemi juré.

La Cenco en prend pour son grade

Le clergé catholique n’a pas non plus été épargné. Jean-Pierre Bemba accuse les représentants de la Cenco de vouloir organiser un dialogue pour précipiter le départ de Félix Tshisekedi. Voici deux mois qu’ils attendent d’être reçus par Félix Tshisekedi pour lui soumettre le rapport de la tournée qui les a conduits dans la sous-région, et jusqu’en Europe et à Washington. Si elle suscite la méfiance de certains caciques du camp présidentiel, la démarche des Églises catholique et protestante a reçu le soutien de l’opposition.

Le 5 juin, lorsqu’il a rencontré Félix Tshisekedi, Martin Fayulu a demandé à son interlocuteur d’accepter de rencontrer les religieux. En s’en prenant à ceux qu’il qualifie de « politiciens en robe », Jean-Pierre Bemba cherche-t-il à l’en dissuader ? « Les déclarations de Bemba sont faites dans le but de court-circuiter le dialogue national », répond Prince Epenge, porte-parole de la coalition d’opposition Lamuka.

By Habari

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