La découverte d’un écrivain flamand : des Congolais dans la résistance !
Le journaliste flamand Kristof Bohez et son amie et coautrice Eva Kamanda ont découvert une œuvre du peintre bruxellois Henri Logelain représentant l’arrière-grand-père de la jeune femme, le fondateur d’une famille qui ignorait tout de lui et qui fut résistant à Bruxelles.


Journaliste au service MondePar Colette BraeckmanPublié le 7/01/2023 à 00:00 Temps de lecture: 5 min
Alors que, la commission parlementaire aidant, on croyait tout savoir des rapports entre Belges et Congolais durant les 80 ans de la colonisation et les 60 ans qui ont suivi, un journaliste flamand, Kristof Bohez, a fait une découverte incroyable sous l’impulsion de son amie et coautrice Eva Kamanda (1). Cette dernière découvrit un jour, dans un album intitulé Les africanistes, peintres voyageurs, la reproduction d’un tableau datant de 1936. Œuvre du peintre bruxellois Henri Logelain, il était simplement intitulé Portrait de François Kamanda. Un homme au regard grave, qui n’était autre que l’arrière-grand-père de la jeune femme, le fondateur d’une famille qui ignorait tout de lui ! Aux cimaises du Musée de Tervuren se trouvait le tableau original, mais sans autre explication. Métisse elle-même, désireuse de retrouver l’origine d’une famille mixte installée en Belgique depuis les années 30, la jeune fille et son ami journaliste entreprirent une longue quête avec l’assistance de la fille de François Kamanda et grand-mère d’Eva, « mamy Annie », qui avait précieusement conservé quelques documents familiaux de même que la grand-tante, Francine Kamanda. Soutenus aussi par l’Association des métis de Belgique, les deux enquêteurs tentèrent, lentement, avec précaution, de lever un coin du voile.
Au fil des investigations, il apparaît peu à peu que François Kamanda, originaire de Kabinda, un village situé entre le Kasaï et le Katanga, avait été bel et bien été baptisé par les missionnaires de son village. Mais pour comprendre pourquoi il était arrivé en Belgique, l’arrière-petite-fille et son ami durent consulter les archives du Royaume et celles de l’Office des étrangers. Là, ils finirent par découvrir que François Kamanda devait avoir 21 ans lorsqu’il fut emmené en Belgique par un certain Henri De Raeck. Comme il était en principe interdit aux Belges de ramener des Congolais en Belgique, les deux enquêteurs conclurent assez vite que le « patron » devait être un homme jouissant d’une certaine influence.
C’était bien vu : De Raeck et son épouse, rentrés d’Afrique, s’installèrent avenue Beau Séjour, dans un quartier cossu d’Uccle et celui qui avait été procureur du Roi dans plusieurs villes du Congo, puis directeur du Touring Club de Belgique, avait obtenu l’autorisation d’emmener son domestique.
Les enquêteurs ont tenté de découvrir les circonstances dans lesquelles le peintre Henri Logelain fit le portrait du domestique de son ami De Raeck. L’artiste était lui aussi un homme bien né, frère de Robert Logelain, avocat à la cour d’appel de Bruxelles. Au fil des recherches apparaît une petite maison située rue de l’Etang à Etterbeek, où les plus âgés des voisins se souviennent encore de François Kamanda, devenu le premier coiffeur congolais de Bruxelles.
En lien avec la résistance
Les deux jeunes gens finissent par découvrir que les quelques dizaines de Congolais qui vivaient à Bruxelles lorsqu’éclata la Seconde Guerre mondiale n’étaient pas indifférents à l’actualité locale : ils fréquentaient l’Union des Congolais de Belgique et plusieurs d’entre eux, dont Kamanda et son ami Bataboudila, l’un des premiers infirmiers congolais en Belgique, furent mis en contact avec les réseaux de résistance à l’occupant allemand, dont l’« armée secrète ». L’avocat Henri Longelain, frère du peintre, avait fondé La Libre Belgique clandestine, ce qui le mena à être arrêté par la Gestapo et emmené au camp de Sachenhausen et il est certain que des Congolais de Bruxelles participèrent à la distribution du journal interdit.
Kristof Brohez explique très bien comment la Gestapo, qui traquait et déportait les Juifs ainsi que les Belges suspectés d’aider la résistance, ne s’intéressa guère aux rares Congolais vivant en Belgique, les considérant peut-être comme des sous-hommes, des colonisés, qui ne méritaient guère d’attention. Passant en dessous des radars, ces derniers rendirent donc des services à la résistance, sans être repérés ou inquiétés.
Lorsque la Belgique fêta la libération, les résistants congolais, une fois de plus, restèrent à l’écart des projecteurs : pas de reconnaissance, pas de décoration, pas de pension… Pas plus de récompense que leurs compatriotes qui avaient combattu dans la Force publique et stoppé l’avance de l’Axe en Afrique ou qui, dans les mines du Katanga, avaient sorti de terre l’uranium qui permit de fabriquer la bombe atomique…
Lorsque Eva et son compagnon consultèrent les archives de la Seconde Guerre mondiale, ils rentrèrent les mains vides : dans la Belgique de l’époque, les Congolais, fussent-ils des résistants, des héros de l’ombre, n’existaient tout simplement pas.
François Kamanda, qui avait épousé une Belge, fonda une famille nombreuse, mais il ne put garder son salon de coiffure car le conseiller fourni par De Raeck avait oublié de prolonger son bail. L’idée de lui venir en aide n’effleura aucun de ses « patrons », héros face aux Allemands mais colonialistes quand même… Lorsque disparut son premier « maître », Henri De Raeck, qui l’avait fait venir en Europe et le présenta aux frères Logelain – le peintre et le résistant –, les Belges qui assistaient aux funérailles de l’ancien procureur s’étonnèrent de la présence d’un Congolais à la cérémonie, mais il ne se trouva personne pour leur en expliquer les raisons…