En RDC, deux ministres de Félix Tshisekedi font des déclarations « racistes »

Tour à tour, Jean-Lucien Bussa Tongba et Didier Budimbu ont tenu des propos xénophobes. Les proches de Moïse Katumbi comme ceux de Jean-Pierre Bemba ont vivement réagi. La société civile s’inquiète de ce genre de discours à un an de la présidentielle.

13 janvier 2023 à 16:19

Par Anna Sylvestre-Treiner

Mis à jour le 13 janvier 2023 à 16:19

Jean-Lucien Bussa Tongba et Didier Budimbu sont accusés de racisme par une partie de la classe politique congolaise. © Montage JA : Johnny RAMAZANI / CreativeCommons ; DR

Mardi 10 janvier, Jean-Lucien Bussa Tongba est dans sa région natale, à Budjala, dans le Sud-Ubangi, lorsqu’il se laisse aller à des déclarations identitaires. « Tout Congolais dont le père n’est pas congolais est notre ennemi », dit le ministre du Commerce extérieur devant des sympathisants. « Fatshi [Félix Tshisekedi], 100% Congolais. Son papa et sa maman sont des enfants du pays », ajoute-t-il.

« Il est fou »

Les propos, rapidement diffusés sur les réseaux sociaux, font immédiatement réagir dans la classe politique, notamment au sein du Mouvement de libération du Congo (MLC). Le parti de Jean-Pierre Bemba y voit une attaque contre le père de ce dernier, Jeannot Saolona Bemba, ancien patron des patrons congolais, qui eut un père belge. Une offense d’autant plus insupportable pour le leader politique qu’elle est proférée sur les terres de sa famille : dans la région, les Bemba règnent en maîtres. À Gemena, le siège du Courant des démocrates rénovateurs (Cder) du ministre est saccagé, et dès le mercredi, le ministre est contraint de partir en catamini pour regagner Kinshasa.À LIRERDC : Félix Tshisekedi ou la solitude du pouvoir

« Il est fou de tenir des propos pareils. Il s’attaque à Jeannot Bemba, un monument, alors que lui n’est rien », s’énerve un membre de l’entourage de Jean-Pierre Bemba – toujours allié à Félix Tshisekedi. « Il fait cela pour subsister politiquement dans la région, mais il signe là la fin de sa carrière politique », prédit-il, qualifiant l’homme de « traître ».

Bemba fils et Jean-Lucien Bussa se connaissent bien. Ils ne sont pas seulement originaires de la même région, ils ont combattu main dans la main. Au début des années 2000, Bussa était en effet membre du MLC et il fut le conseiller de Bemba lorsque ce dernier occupait la vice-présidence du pays. Il quitte le MLC en 2006 pour rentrer au gouvernement de Joseph Kabila puis, en 2020, rejoint l’Union sacrée de Félix Tshisekedi.

Devant l’ampleur de la polémique, Bussa pourrait en tout cas jouer sa place au gouvernement. Un remaniement doit intervenir prochainement, après le départ de trois ministres restés fidèles à Moïse Katumbi.

Un régime « raciste », selon Kamitatu

Alors que l’ancien gouverneur du Katanga a annoncé mi-décembre sa candidature à la présidentielle du 20 décembre 2023 et, par conséquent, la rupture de son union avec Félix Tshisekedi, ses proches s’inquiètent de la montée de ce genre de discours.

LE SILENCE DE FÉLIX TSHISEKEDI EST COUPABLE

Ces jours-ci, un autre ministre, Didier Budimbu, en charge des Hydrocarbures, a lui aussi tenu des propos controversés. Il a assimilé les « métis » à des « chauve-souris ». « Nous sommes face à un régime raciste », s’inquiète Olivier Kamitatu, le directeur de cabinet et porte-parole de Moïse Katumbi. « Des ministres tiennent des propos pareils et, au sommet de l’État, il n’y a pas un mot de condamnation. Le silence de Félix Tshisekedi est coupable », estime-t-il, ajoutant que « le fait que cette petite musique assourdissante apparaisse en période pré-électorale n’a rien de fortuit ».À LIREMoïse Katumbi : « Ma candidature à la présidentielle de 2023 en RDC est définitive »

Moïse Katumbi reste sous la menace d’une éventuelle adoption de la loi Tshiani, qui l’exclurait de la course à la magistrature suprême. Celle-ci prônerait que les candidats à la présidentielle soient nés de père et de mère congolais, ce qui n’est pas le cas du président d’Ensemble, dont le père est grec.

Inquiétudes de la Monusco

À moins d’un an de la présidentielle et alors même que le conflit avec le Rwanda dans l’Est avait déjà ressuscité des discours xénophobes depuis plusieurs mois, ce durcissement inquiète au-delà de la sphère politique.

L’association congolaise pour l’accès à la justice a condamné « sans réserve les propos incendiaires et divisionnistes de membres du gouvernement ». Même la Mission des Nations unies en RDC a réagi, via son bureau des droits de l’homme, en exprimant « son inquiétude » face à une « rhétorique inflammatoire ».

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