La RDC peut-elle devenir un géant des hydrocarbures ?
À la fin de juillet 2022, Félix Tshisekedi a lancé des appels d’offres pour 27 blocs pétroliers et 3 blocs gaziers. Objectif : porter à 40 % la part du secteur dans les recettes de l’État pour faire carburer l’économie aux énergies fossiles et se défaire de la dépendance aux mines.
17 janvier 2023 à 08:15
Par Maher Hajbi
Mis à jour le 17 janvier 2023 à 09:46

« Nous ne devrions plus nous contenter de célébrer indéfiniment le potentiel en ressources naturelles dont est doté notre pays. Il nous revient de l’exploiter. » Le 28 juillet 2022, le président congolais, Félix Tshisekedi, lançait des appels d’offres pour l’exploration et la future exploitation de 30 blocs, 3 gaziers et 27 pétroliers – au lieu de 16 initialement prévus –, dont deux ont été restitués en février dernier par Ventora Development, l’une des sociétés de l’homme d’affaires israélien Dan Gertler.
Dans la cour des grands ?
La plupart de ces projets se situant en pleine forêt tropicale ils suscitent les réticences de la part de l’Occident et l’opposition des ONG environnementales. Mais l’exécutif congolais souligne que le pays a besoin « autant d’oxygène que de pain », comme l’a rappelé Ève Bazaïba Masudi, la vice-Première ministre congolaise, ministre de l’Environnement et du Développement durable, dans une interview à Jeune Afrique en novembre dernier. À LIREEve Bazaïba Masudi : « La RDC a du pétrole sous les pieds, pourquoi ne pas l’exploiter ? »
Depuis lors, Kinshasa, largement dépendante de l’extraction de ses minerais, met les bouchées doubles pour sortir du tout minier (secteur qui représente environ 95 % de ses exportations), en misant sur le pétrole et le gaz. Et les représentants de la RDC ont multiplié les déplacements – aux États-Unis, en Suisse, au Nigeria, en Égypte, ou encore aux Émirats arabes unis – pour promouvoir la richesse des 30 blocs et inciter les investisseurs à les explorer.
CES BLOCS POURRAIENT PRODUIRE 22 MILLIARDS DE BARILS DE PÉTROLE ET 66 MILLIARDS DE M³ DE GAZ PAR AN
Didier Budimbu, le ministre congolais des Hydrocarbures, estime que la RDC pourrait devenir « l’un des géants des hydrocarbures en Afrique » et juge « inacceptable qu’un secteur aussi lucratif, à même de jouer un rôle prépondérant dans l’économie du pays, ne soit exploité qu’au faible taux de 4,5 % de son potentiel ». L’objectif de Kinshasa est donc de transformer ce potentiel en locomotive économique pour développer le pays, aider les 70 % de Congolais vivant sous le seuil de pauvreté et réduire les importations d’hydrocarbures – devenues d’autant plus complexes et onéreuses depuis le début de la guerre en Ukraine. À LIRERDC – Pétrole : « Nous voulons transformer notre potentiel en richesse »
Sur le papier, les autorités estiment que ces blocs pourraient produire jusqu’à 22 milliards de barils de pétrole, 66 milliards de mètres cubes de gaz naturel et générer plus de 30 milliards de dollars (27,9 milliards d’euros) par an. Leur future exploitation, par contrat de partage de production, devrait permettre de porter à 40 % la contribution du secteur aux recettes de l’État, contre seulement 6 % actuellement.
Une ambition « exagérée »
Est-ce réaliste ? Spécialiste de l’industrie pétrolière, Francis Perrin, directeur de recherche à l’Institut des relations internationales et stratégiques (Iris, à Paris) et chercheur associé au Policy Center for the New South (Rabat), explique à Jeune Afrique que ces chiffres « ne sont pas fiables et ne peuvent pas être considérés comme crédibles ». Il estime que l’ambition de la RDC d’intégrer le groupe des premiers producteurs africains est, quant à elle, « exagérée » à ce stade. À LIRERDC : Eni, TotalEnergies, Exxon… Les majors prêtes à livrer bataille pour le pétrole congolais
La raison ? Le peu d’explorations qu’il y a eu jusqu’à présent dans ce pays extrêmement vaste et l’absence de découvertes majeures de réserves pétro-gazières. « Ces données ont simplement pour but d’inciter les majors à participer à cet appel d’offres », poursuit l’expert de l’industrie pétrolière, pour qui le processus d’attribution des droits d’exploration et d’exploitation des hydrocarbures est parsemé d’embûches.
VOIR DE PARFAITS INCONNUS DÉBARQUER À UN APPEL D’OFFRES N’EST PAS BON SIGNE
Alors que le dépôt des candidatures pour les 27 blocs pétroliers doit s’achever le 29 janvier, une dizaine de sociétés et consortiums ont postulé aux appels d’offres pour les 3 blocs de gaz méthane dans le lac Kivu qui, eux, étaient clos à la mi-octobre 2022. Un bémol souligné par Francis Perrin : « Les candidats présentent peu de références sur le marché. Et voir de parfaits inconnus débarquer à un appel d’offres n’est pas bon signe. »
Sous pression
Présentée comme « un pays solution à la crise climatique », la RDC – qui abrite 60 % des forêts tropicales du bassin du Congo, soit l’un des plus importants puits à carbone au monde – fait face à la forte opposition des organisations de protection de l’environnement. Rainforest Foundation, Greenpeace, Extinction Rebellion, ainsi que le réseau pour la Conservation et la réhabilitation des écosystèmes forestiers (Cref) s’activent pour barrer la route à ces projets.
Au cœur de la discorde, 9 blocs situés dans des zones forestières indispensables à la lutte contre le réchauffement climatique, dont 3 chevaucheraient les tourbières de la cuvette centrale, selon Bart Crezee et Simon Lewis, deux chercheurs de l’université de Leeds (au Royaume-Uni). Les ONG dénoncent « un désastre absolu pour le climat, la biodiversité et les populations locales ». À LIRECrédits carbone : droit à polluer ou levier de lutte contre le changement climatique ?
Entre les exigences toujours plus élevées de lutte contre les changements climatiques et la nécessité de mener des politiques économiques ambitieuses, Kinshasa alterne le chaud et le froid. D’un côté, le ministre des Hydrocarbures, Didier Budimbu, affirme refuser « le diktat » d’une ONG. De l’autre, le président Tshisekedi, déterminé à garantir la réussite du processus, joue la carte de l’apaisement en promettant la protection de l’environnement, de la faune et de la flore au cours des futures activités d’exploration et d’exploitation.
Selon Francis Perrin, « il est parfaitement légitime pour les pays africains de vouloir explorer le potentiel de leur sous-sol ». Par ailleurs, avec 30 blocs mis sur le marché, les compagnies ont le choix d’opter pour des gisements qui ne posent pas de problèmes environnementaux particuliers afin d’éviter toute controverse.
Quitte ou double
Le potentiel est-il suffisant pour susciter l’appétit des majors ? Le directeur de recherche à l’Iris rappelle que trois éléments clés seront pris en compte par les groupes pétroliers avant de prendre la décision d’avancer leurs pions : l’existence de ressources fossiles, la stabilité politique et l’attractivité économique du pays, qui passe par un code pétrolier compétitif.
À l’heure actuelle, le peu d’exploration qu’il y a eu et l’escalade militaire dans l’est du pays ne sont pas des atouts sur lesquels la RDC peut s’appuyer. Pourtant, Didier Budimbu veut y croire : avec le potentiel estimé en hydrocarbures et l’allégement des mesures fiscales et douanières, « ce nouveau cycle d’appels d’offres fonctionnera car la volonté politique est forte, contrairement aux régimes passés ». À LIRERDC : l’exploitation pétrolière, opportunité économique ou désastre écologique ?
Selon le ministre congolais des Hydrocarbures, des « grands » du secteur ont manifesté un intérêt pour l’acquisition des blocs mis aux enchères, parmi lesquels TotalEnergies, ExxonMobil et ENI. Toutefois ce dernier affirme le contraire à Jeune Afrique, expliquant qu’il ne souhaite pas participer à cette opération qui « ne fait pas partie de ses priorités actuelles ».
Bien qu’il reconnaisse que le lancement des appels d’offres constitue « une avancée importante par rapport aux précédents gouvernements », Francis Perrin tempère : « La priorité des pétroliers pourrait se trouver ailleurs en Afrique, là où des découvertes tangibles sont annoncées. » En tout état de cause pour l’expert, il faudra désormais attendre le résultat des appels d’offres, « voire le printemps 2023, pour la signature des contrats ».