POLITIQUE

À l’OIF, Louise Mushikiwabo et le Canada en conflit ouvert

La décision de la secrétaire générale de ne pas reconduire Geoffroi Montpetit comme administrateur de l’organisation francophone a provoqué un regain de tension avec Ottawa, qui vient de décider de revoir sa contribution financière à la baisse.

7 avril 2023 à 14:17

Par Olivier Caslin

Mis à jour le 7 avril 2023 à 14:17

La secrétaire générale de la francophonie, Louise Louise Mushikiwabo, le 19 novembre 2022 à Djerba. Secretary General of Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) Louise Mushikiwabo (C) attends the first working session of the 18th Francophone countries Summit in Djerba on November 19, 2022. © LUDOVIC MARIN/POOL/AFP

La non-reconduction, au début de mars, de Geoffroi Montpetit au poste d’administrateur semble avoir envenimé les relations entre l’Organisation internationale de la Francophonie et le Canada. Dernier épisode en date, la lettre, datée du 2 avril, dans laquelle Mélanie Joly, la ministre fédérale des Affaires étrangères, annonce à Louise Mushikiwabo, la secrétaire générale de l’OIF, la volonté d’Ottawa de réduire de 3 millions de dollars canadiens (2,04 millions d’euros) sa contribution financière à l’organisation « pour au moins une année ».À LIREÀ l’OIF, Louise Mushikiwabo décrète l’état d’urgence financier

La cheffe de la diplomatie canadienne justifie cette décision – inédite dans l’histoire de l’OIF – par la parution d’un sondage interne sur le climat de travail au sein de l’organisation et qui, selon elle, révèlerait des « faits troublants », notamment en matière de harcèlement moral et sexuel, « sur lesquels le Canada a une tolérance zéro ».

« Pétage de plombs »

Cette consultation, qui a été commandée à la fin de 2022 par Geoffroi Montpetit avec l’aval de Louise Mushikiwabo, et pour laquelle près des deux tiers des salariés de l’OIF ont été interrogés, a vu ses résultats dévoiler quelques jours seulement avant la fin du contrat du numéro 2 de l’organisation, le 10 mars.

Montpetit, qui était déjà au courant de son départ, aurait préféré envoyer les résultats collectés directement à Ottawa, plutôt que sur le bureau de sa supérieure. La presse canadienne s’est emparée de l’affaire et la polémique est restée circonscrite outre-Atlantique, avant que Mélanie Joly n’envoie sa lettre à Paris. Une démarche qualifiée de « pétage de plomb » par plusieurs responsables de l’OIF et un certain nombre d’ambassadeurs de ses pays membres. Du côté du secrétariat général, seule la méthode a surpris. « Dès qu’il a été décidé, en décembre 2022, de ne pas conserver Geoffroi Montpetit, le Canada a plusieurs fois menacé Louise Mushikiwabo de représailles », assure un membre du cabinet de celle-ci. La secrétaire générale a d’ailleurs repris ce terme dans sa réponse à Mélanie Joly, rédigée le 6 avril.À LIRELouise Mushikiwabo (OIF) : « Personne ne me dicte ma conduite »

Lors du Conseil permanent de la francophonie (CPF) du 21 mars, devant confirmer la nomination de la Québécoise Caroline St-Hilaire au poste d’administratrice, la sherpa envoyée par le gouvernement canadien, Isabelle Hudon, a publiquement interpellé la secrétaire générale sur les résultats du sondage. Selon une source canadienne, cette dernière « a évacué le sujet en remettant en cause la méthodologie, ce qui n’est vraiment pas rassurant ».

« Cette consultation a été menée auprès de personnes qui travaillaient pour l’OIF depuis parfois vingt ans, ces problèmes n’existent donc pas depuis 2019 et l’arrivée de Louise Mushikiwabo à la tête de l’organisation, qu’elle cherche justement à transformer », défend Oria Vande Weghe, la porte-parole de l’OIF.

Sur ce point aussi, les décisions de la secrétaire générale agacent Ottawa. Dans sa lettre, Mélanie Joly regrette ainsi que la secrétaire générale ait « profité des deux semaines de flottement qui ont précédé l’entrée en fonction de Caroline St-Hilaire pour lui retirer le choix des représentations à l’international ». Une décision qui a en réalité été prise par la Rwandaise dès 2019, et qui n’avait, jusqu’alors, pas provoqué l’ire canadienne.

Double règlement de comptes ?

« L’argumentation canadienne est incohérente », juge un membre de la direction de l’OIF, dénonçant également l’attitude d’Ottawa, qui plutôt que de saisir les instances existantes au sein de l’organisation pour demander une enquête, « brandit tout de suite la sanction ». Caroline de St-Hilaire a donc vu son pays gréver son budget de 3 millions de dollars canadiens, deux jours seulement avant son arrivée officielle à Paris, le 4 avril. Beaucoup d’observateurs estiment d’ailleurs en interne que, derrière le règlement de comptes entre le Canada et le secrétariat général de l’OIF, se cacherait aussi un différend entre Ottawa et Québec.À LIREÀ l’OIF, Louise Mushikiwabo choisit sa numéro deux

Si la contribution totale du Canada se chiffre à 15 millions de dollars canadiens chaque année, ces 3 millions correspondent à un versement supplémentaire et volontaire décaissé par Ottawa pour financer des projets de développement dans les pays membres. « Il sera reversé à d’autres opérateurs et institutions engagés auprès des populations francophones, assure la ministre dans son courrier. En espérant voir des changements tangibles dans les prochaines semaines et prochains mois ».

Dans sa propre lettre, Louise Mushikiwabo tient à rassurer la ministre fédérale sur ce point. Après avoir longuement mis le gouvernement canadien devant ses propres contradictions, elle conclut en assurant qu’elle allait poursuivre « les avancées en matière de transformation de la gestion de l’organisation », qui lui avaient valu d’être félicitée lors de la Conférence ministérielle de Djerba en novembre, et « à laquelle [la ministre avait] pris part ».

By Habari

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