POLITIQUE
À Lubumbashi, fief de Kabila et Katumbi, la violence est-elle manipulée ?
À huit mois des élections générales en RDC, la dégradation de la situation sécuritaire dans le chef-lieu du Haut-Katanga inquiète autant qu’elle interroge.
19 avril 2023 à 13:08
Mis à jour le 19 avril 2023 à 14:07

Ce 15 avril, c’est un tableau très sombre que dresse Fulgence Muteba Mugalu, l’archevêque de Lubumbashi. « À cause de l’insécurité et des tueries aveugles, notre ville tend à devenir l’épicentre de la violence, une cité de sang, une société de la mort, où les habitants font l’amère expérience d’être abandonnés à eux-mêmes […]. On tue sauvagement, on cambriole, on attaque sans vergogne, on arrache de l’argent et des biens, on viole impitoyablement et ainsi de suite. »À LIRERDC : le Katanga, pris en tenaille entre Kabila et Tshisekedi
Le prélat exagère-t-il ? Le 23 mars, un commando du régiment 3307 de la deuxième zone de défense des Forces armées de RDC (FARDC) a fait une descente dans un lieu où, chaque semaine, des jeunes du parti Union nationale des fédéralistes du Congo (Unafec) ont coutume de se retrouver. L’endroit est situé non loin du pont Naviundu, lequel enjambe la rivière du même nom qui sépare les communes Kampemba et Annexe. Et rapidement, la situation dégénère.
Rapport confidentiel
Dans un rapport établi par la société civile du Haut-Katanga et transmis au président Félix Tshisekedi, plusieurs sources évoquent un véritable « massacre » dont les victimes appartiennent à un parti membre de l’Union sacrée. Ledit rapport, qui n’a pas été rendu public mais que nous avons pu consulter, fait état de plus de 47 victimes, certaines touchées par des « balles tirées sans sommation » et d’autres décédées « par noyade, provoquée par la panique elle-même causée par les crépitements des balles ».
Un bilan qui dépasse de loin celui dont ont fait état les autorités provinciales – huit morts dont un par balle – et qui rejoint celui qu’endosse Mgr Fulgence Muteba Mugalu. Lors d’une messe en la mémoire des victimes, l’archevêque a énuméré les noms de 45 disparus, puis mis en garde contre un « désastre dont personne ne pourrait avoir le contrôle. »À LIREKatumbi, Fayulu, Matata… Les opposants à Tshisekedi en huis clos à Lubumbashi
En février dernier, lui-même a « reçu la visite » d’un commando qui a tenté de s’introduire dans sa résidence de l’archevêché. « Assurément, comme une marmite sur le feu qui bout, le Katanga est sous le choc […] ? La tension est vive. Il faut être aveugle pour ne pas s’en rendre compte. »
Les autorités partagent-elles son inquiétude ? Le procès des assassins présumés des jeunes de l’Unafec s’est ouvert dès le 7 avril à Lubumbashi. Douze des familles se sont constituées parties civiles. Mais plusieurs représentants de la société civile ont déjà expliqué ne rien en attendre, accusant l’Agence nationale de renseignements (ANR) de chercher à soustraire à la justice le principal suspect – un certain Doudou Ntumba, identifié comme agent de police judiciaire affecté au bureau de surveillance au moment des faits.
Insécurité permanente
Cette poussée de violence n’est pas sans précédent dans le Haut-Katanga. À Lubumbashi, deuxième plus grande ville du pays, l’insécurité est permanente : des corps sans vie y sont régulièrement retrouvés, et il n’est pas rare que des hommes armés fassent irruption au domicile de certains des habitants de la ville. Alors que le gouverneur de la province, Jacques Kyabula Katwe, y voit une manœuvre destinée à l’affaiblir, à Kinshasa, des sources proches du président dénoncent une « main noire » qui chercherait à rendre le Haut-Katanga incontrôlable.À LIRENoël Tshiani, l’homme de la loi sur la « congolité » en RDC
Ce regain de violence qui survient à huis mois des élections générales dans une province réputée acquise à Moïse Katumbi, candidat déclaré à la prochaine présidentielle, autant qu’à l’ancien président Joseph Kabila, n’est en tout cas pas anodin. D’autant que la proposition de loi Tshiani, qui veut réserver certaines fonctions aux seuls Congolais nés de père et de mère congolais, a ravivé des discours nauséabonds, aux forts relents raciaux et tribaux, et pourrait hypothéquer les ambitions de Moïse Katumbi.
Dans l’entourage de l’opposant, la menace est prise au sérieux. « Les jeunes Katangais sont là », a prévenu l’un des proches de l’intéressé, Christian Mwando, le 8 avril dernier lors d’un déplacement à Kalemie. « Beaucoup m’ont appelé en me disant que si Katumbi n’est pas candidat, ils sont décidés à utiliser le ciseau au Katanga. »
Menace de sécession
Les ciseaux qu’agite cet ancien ministre qui a claqué la porte du gouvernement en décembre dernier, c’est la menace d’une nouvelle sécession, comme dans les années 1960, si le gouvernement congolais décidait de laisser prospérer la loi Tshiani au Parlement.
Ces mots ont suscité un tollé dans l’opinion, mais l’indignation n’a pas fait taire les discours séparatistes. Pour ne rien arranger, Nsingi Pululu, le député qui porte la proposition de loi controversée à l’Assemblée nationale, a récemment déclaré dans que les Katangais étaient à la base des problèmes de la RDC.À LIRERDC : à qui profitera la réconciliation des Katangais ?
Dans l’entourage de Joseph Kabila, on dénonce aussi à demi-mot une manœuvre politique dans l’insécurité qui prévaut à Lubumbashi. « Depuis 2021, il s’y observe, sous l’œil complaisant des autorités, des cas d’insécurité caractérisée, des vols avec effraction, des enlèvements, des assassinats ciblés, des kidnappings d’enfants et de femmes, et tout cela frise un terrorisme d’État », assène Felix Momat Kitenge, un cadre du Front commun pour le Congo (FCC).
Au final, tous s’accusent mutuellement de chercher à instaurer le chaos pour des raisons politiques inavouées. Est-ce avéré ? Difficile de répondre à cette question, mais les soupçons ont la vie dure et la situation menace de dégénérer à l’approche des élections. Mais Fulgence Muteba Mugalu prévient : « on aurait tort de banaliser [ce qui se passe dans le Haut-Katanga], comme si la vie ne comptait pas. Il faut arrêter l’insécurité, les tueries et la haine. Absolument. »