Les bonnes affaires de Philippe de Moerloose avec le gouvernement Tshisekedi

Signalement antiblanchiment, psychodrame interne dans une banque panafricaine, véhicules coûteux… Enquête sur le business à neuf chiffres du Belge Philippe de Moerloose avec la RD Congo. Un business qui résiste aux services de conformité, aux enquêtes judiciaires ou au changement de régime Kabila-Tshisekedi. 

Le Groupe Volvo «a pris les mesures appropriées pour enquêter» sur un contrat de vente de bus par l’intermédiaire d’une société du Belge Philippe de Moerloose à la RD Congo.
Le Groupe Volvo «a pris les mesures appropriées pour enquêter» sur un contrat de vente de bus par l’intermédiaire d’une société du Belge Philippe de Moerloose à la RD Congo. – D.R.
Louis Colart

Enquête – Journaliste au service SociétéPar Louis Colart et Kasper Goethals («De Standaard»), Yann Philippin («Mediapart»)Publié le 15/04/2023 à 06:00 Temps de lecture: 5 min

Le visage conquérant du président congolais Félix Tshisekedi orne le flanc de dizaines de bus alignés en face du campus de l’Institut supérieur du commerce (ISC) de Kinshasa. Depuis sa tribune, le chef de l’Etat contemple le spectacle au milieu d’un parterre de politiques et de responsables académiques triés sur le volet. Ce 24 février 2023, la télévision retransmet en intégralité cette cérémonie de mise en service des bus du programme « Trans-Academia », destinés au transport des 25.000 étudiants locaux. Sur les bus Volvo, on lit : « Don du président de la République ». Pour couvrir les cris enthousiasmés des étudiants parqués à distance raisonnable de la tribune, le directeur de l’ISC fait part, à pleins poumons, de son « immense gratitude à son Excellence Monsieur Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo ».

En 2019, le gouvernement du président Tshisekedi avait décidé d’investir massivement dans Transco, le service de transport en commun public de la République démocratique du Congo (RDC). Le lot de 100 bus « Trans-Academia » est issu de cette commande plus large de 440 bus Volvo flambant neufs.

Quelques-uns des 100 bus «donnés» par le président Tshisekedi pour les étudiants de l’ISC.
Quelques-uns des 100 bus «donnés» par le président Tshisekedi pour les étudiants de l’ISC. – Présidence RDC.

Sans doute pour ne pas gâcher la fête, le président congolais a omis, dans son discours, de préciser l’origine de ce « don ». Et pour cause. Selon nos informations, les bus ont été achetés par l’Etat congolais à l’entrepreneur belge Philippe de Moerloose, visé par une enquête de la justice belge pour « corruption d’agents publics étrangers », ouverte suite à nos révélations publiées en décembre 2021 dans le cadre de l’opération « Congo Hold-up ».

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Cette enquête réalisée avec les partenaires de l’European investigative collaborations (EIC) avait démontré que Philippe de Moerloose avait, sous la présidence de Joseph Kabila (2001-2019), amassé une véritable fortune grâce à des contrats obtenus sans appel d’offres avec la RDC, pour un total de 742,9 millions de dollars, sur la vente de matériels lourds (tracteurs, camions, engins de chantier…), avec des marges bénéficiaires stratosphériques – les matériels étaient vendus jusqu’à sept fois leur prix d’achat.

De nouveaux documents confidentiels issus de la banque togolaise Ecobank obtenus par Le SoirDe Standaard et  Mediapart montrent que les contrats de plusieurs millions de dollars avec l’Etat congolais se sont poursuivis malgré le départ du président Kabila. Le gouvernement Tshisekedi a également acquis des véhicules de transport à la société du Belge. Les Volvo B270F – des bus rudimentaires de 12,6 mètres de long et de trois mètres de haut – ont été achetés pour 72,8 millions de dollars (65,9 millions d’euros au taux actuel). Soit 165.000 dollars l’unité, frais de livraison et service après-vente inclus.

Volvo enquête

Les documents que nous avons pu consulter ne permettent pas de savoir à quel prix SMT Africa a acquis ces bus destinés à l’Etat congolais. Ce tarif était-il conforme aux prix de marché ? Et pourquoi Philippe de Moerloose a-t-il été de nouveau choisi malgré les tarifs énormes qu’il pratiquait par le passé ? L’homme d’affaires a refusé de répondre de manière substantielle à nos questions (lire ci-dessous). Le porte-parole du gouvernement Tshisekedi n’a pas répondu à nos sollicitations. Mais le Groupe Volvo a tenu à réagir, indiquant qu’il était « au courant des allégations mentionnées » dans nos questions. Le Groupe Volvo « a pris les mesures appropriées pour enquêter. Nous prenons la conformité très au sérieux et suivons une politique anticorruption stricte. Dans le cadre de notre modèle commercial, nous vendons à nos revendeurs agréés qui vendent ensuite aux clients finaux, ce qui signifie que nous avons une visibilité limitée en ce qui concerne les prix des clients finaux. Cela dit, nous travaillons en permanence avec tous nos concessionnaires pour communiquer les attentes du groupe Volvo et pour soutenir leur travail dans l’amélioration de leurs programmes de conformité », conclut la marque suédoise.

Dans une réponse antérieure à nos révélations, Philippe de Moerloose avait nié toutes les allégations de corruption ou de marges bénéficiaires inhabituelles. L’année dernière, des enquêteurs de l’Office central pour la répression de la corruption (OCRC) ont perquisitionné six adresses liées à M. de Moerloose dans le cadre d’un dossier du parquet fédéral pour « corruption d’agents publics étrangers ».

« Secret de l’instruction »

Alors que l’argent pour les bus Volvo commençait déjà à arriver sur le compte d’EcoBank, les millions des contrats antérieurs de l’ère Kabila étaient toujours en train d’affluer. Pour deux contrats avec le ministère de l’Agriculture, conclus en 2018 et 2019, juste avant le départ de l’ancien président, l’Etat congolais doit continuer à débourser des millions  chaque mois jusqu’en mars 2025. Les comptes appartiennent à des sociétés détenues par de Moerloose à l’île Maurice. Les états financiers de ces sociétés montrent que Philippe de Moerloose a réalisé plus de 40 millions de dollars de bénéfices sur les deux contrats de 139 millions. Le taux d’imposition sur ces contrats, à Maurice, était de 8,7 %. Ce deal à 139 millions intéresse particulièrement la justice belge.

Philippe de Moerloose conteste toujours toutes les révélations publiées dans le cadre de « Congo Hold-up », pointant des articles qui ont « sans ambages violé [sa] présomption d’innocence et ne comportaient pas l’ensemble des réponses qui avaient été formulées ». Pour cette raison, le capitaine d’entreprises ne souhaite plus répondre à nos nouvelles questions. « En effet, il m’est impératif maintenant de ne pas violer le secret de l’instruction. Pour être précis, je vous confirme que je réponds à l’ensemble des questions directement aux enquêteurs et au magistrat instructeur. »

By Habari

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