ÉCONOMIE

En RDC, la course contre la montre pour l’électrification

Près de dix ans après avoir libéralisé le secteur, le pays continue d’afficher un des taux les plus bas du continent. Alors que les partenariats public-privé se multiplient, les obstacles sont encore nombreux.

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27 juin 2023 à 08:13

Par Bilal Mousjid

Mis à jour le 27 juin 2023 à 08:13

Photo aérienne de la centrale hydroélectrique du parc national des Virunga à Matebe, dans le territoire de Rutshuru, au nord de Goma, dans l’est de la RDC, le 1er avril 2022. © ALEXIS HUGUET/AFP

Deuxième plus grand pays d’Afrique, la République démocratique du Congo (RDC) affiche un des taux d’électrification les plus bas du continent : 15 % à l’échelle nationale avec de fortes disparités entre les villes (35 %), les zones rurales (1 %) et les zones périurbaines (moins de 5 %).

Pourtant cet immense territoire – 4,5 fois la France – représente à lui seul 8 % du potentiel hydroélectrique mondial, une source d’énergie qui constitue 95 % du mix électrique du pays. Abritant le plus grand fleuve du continent et le deuxième du monde après l’Amazonie en débit interannuel moyen, la RDC pâtit toutefois d’une faible capacité installée (moins de 3 000 mégawatts, dont la moitié est inexploitée par défaut de maintenance), et de l’absence de réseau de distribution intégré à l’échelle nationale.À LIRERDC, Maroc, Kenya… L’indépendance énergétique de l’Afrique, chimère ou réalité ?

Pour autant, le pays dirigé par Félix Tshisekedi ne baisse pas les bras. D’ici à 2021, le gouvernement affiche même l’ambition de porter le taux d’électrification à 30 %. Un objectif qui « nécessitera forcément de décupler les efforts en direction des zones rurales et périurbaines qui abritent d’importantes poches de populations sans accès à l’électricité », note l’Agence nationale de l’électrification et des services énergétiques en milieux rural et périurbain (Anser) dans un document consulté par Jeune Afrique.

Solutions réalistes

« Pendant longtemps, le pays a focalisé sa politique énergétique sur les grands barrages, comme Inga, qui nécessitent beaucoup de financements et un grand marché car la production prévue [plus de 40 000 MW] ne peut pas être consommée en RDC », explique le directeur général de l’Anser Idesbald Chinamula. Annoncé en 2014 par la Banque mondiale, qui a suspendu deux ans plus tard son financement du projet, le barrage géant d’Inga III semble avoir été classé aux oubliettes au profit d’autres solutions plus « réalistes ».À LIREBarrage Inga III : la RDC signe un accord exclusif avec deux groupes chinois et espagnol

Parmi elles, le Fonds Mwinda basé sur un mécanisme de subventions : créé en 2020 pour contribuer à connecter deux millions de nouveaux ménages et de « favoriser l’accès à des solutions de cuisson propre », il a reçu une contribution de la Banque mondiale de 63 millions de dollars, dont les premiers décaissements sont prévus, selon nos informations, pour cette année.

LA POPULATION GARDE DU SOLAIRE UNE IMAGE NÉGATIVE, ASSOCIÉE À QUELQUE CHOSE QUI NE MARCHE PAS

En plus d’avoir alloué, en 2023, près de 150 millions d’euros au programme d’électrification par le biais de mini-réseaux, le gouvernement a également doté l’Anser d’un budget d’investissement (13 millions d’euros) destiné à financer une dizaine de projets de mini-réseaux de source solaire-photovoltaïque et hydroélectrique qui devraient être livrés à partir du mois de juillet.À LIRECOP27 – L’hydrogène vert en Afrique : opportunités et risques

« Il nous faut des solutions décentralisées avec des petites technologies et une approche locale », commente Idesbald Chinamula qui dit lutter contre la « vieille école » pour introduire le solaire et la biomasse dans le bouquet électrique du pays. « La population garde du solaire une image négative, associée à quelque chose qui ne marche pas. Pour elle, il n’y a que l’hydroélectricité qui compte, car c’est avec ça qu’on fait la cuisine, qu’on fait tourner les restaurants… Je souffrais beaucoup pour faire passer dans le bouquet le solaire et la biomasse avec de l’hydroélectricité », poursuit l’ancien coordonnateur du pilier croissance inclusive et développement durable pour le PNUD.

« Risque pays trop élevé »

Ces ambitions se heurtent toutefois à une difficulté d’accès au financement. Depuis la promulgation, en 2014, d’une loi mettant fin au monopole de la Société nationale de l’électricité (Snel), la RDC mise sur des partenariats public-privé (PPP) qui tardent cependant à se matérialiser. Bien que plusieurs entreprises privées soient déjà engagées dans des projets énergétiques, le « risque pays » demeure « perçu comme trop élevé par les entreprises », ce qui « inhibe l’engagement des opérateurs privés en dépit du cadre libéralisé », indique une note du service économique de l’ambassade de France à Kinshasa datée de novembre 2019.À LIRERDC : quand l’électricité attire les entrepreneurs congolais

Pour autant, l’Anser se félicite de « l’engouement des opérateurs investis dans la fourniture des énergies renouvelables et décentralisées sur le marché congolais ». L’agence en veut pour preuve le nombre d’entreprises enregistrées à l’Association congolaise des énergies renouvelables et décentralisées, passé de « 21 à 43 » en 2022.

Développement galopant des villes

Ce qui est certain, c’est que les PPP sont désormais au cœur de la stratégie du gouvernement. « Nous avons libéralisé le secteur car l’État s’est rendu compte qu’il ne pouvait pas financer tout seul tous les investissements. D’autant plus que les besoins sont de plus en plus importants, et que la population augmente rapidement avec un développement galopant des villes qui dépasse les prévisions… », détaille le DG de l’Anser.

CELA ENGAGE DES COÛTS TRÈS IMPORTANTS DE SE FRAYER DES CHEMINS

« En Europe, l’État réalise l’aménagement pour préparer des zones d’habitation. En RDC, c’est le contraire : les infrastructures vont là où sont les communautés installées un peu partout, dans des quartiers dépourvus d’installations. Suivre les populations pour les alimenter en électricité, cela engage des coûts très importants de se frayer des chemins. La libéralisation a ouvert la voie aux investissements privés, qui sont en train de se réaliser grâce à certains leviers comme la fiscalité et l’environnement », conclut-il.

Est-ce suffisant pour atteindre l’objectif de 30 % à l’horizon de 2025 ? En attendant, la Snel continue de susciter la colère de la population. Après avoir été interpellé le 10 avril par 51 députés, Fabrice Lusinde a été suspendu de son poste de directeur général de la compagnie nationale avant d’être réhabilité par un arrêt ministériel daté du 22 juin.

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