Procès de François Beya : va-t-on juger le fantôme de « Fantomas » ?
Un an après avoir bénéficié d’une liberté provisoire assortie d’une autorisation d’aller se faire soigner à l’étranger, l’ancien conseiller spécial en matière de sécurité du président congolais Félix Tshisekedi n’est toujours pas rentré. Et son procès a repris le 9 août à la Haute Cour militaire.
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11 août 2023 à 12:37
Par Socrate Nsimba
Mis à jour le 13 août 2023 à 16:34

Ce mercredi 9 août, l’actualité congolaise était une nouvelle fois judiciaire. Le procès de François Beya, ancien conseiller spécial de Félix Tshisekedi, a en effet repris en l’absence du principal intéressé, toujours en exil en France, officiellement pour recevoir des soins médicaux. Mais l’ancien sécurocrate du président était au cœur des débats. Ses co-accusés – le colonel David Cikapa, son secrétaire particulier, Guy Vanda, mais aussi le brigadier Tonton Twadi Sekele, le commissaire supérieur principal Lily Tambwe Mauwa et le lieutenant-colonel Pierre Kalenga Kalenga – ont ainsi demandé une libération provisoire, requête à laquelle la cour a promis de répondre dans les prochains jours.
« Il est injuste de garder les présumés complices en détention, alors que vous avez accordé la liberté provisoire au principal accusé [François Beya], qui continue à se faire soigner à l’étranger », a plaidé devant la Haute Cour militaire l’un des avocats de Lily Thambwe. Le 19 août 2022, soit trois jours après avoir lui-même obtenu une libération provisoire, François Beya a en effet quitté le pays à bord d’un Falcon 900 affrété par le président de la République du Congo, Denis Sassou Nguesso, dont il est proche. Sur la base d’un rapport des experts médicaux sollicités par la Cour militaire, il allait alors officiellement recevoir des soins à l’étranger.À LIREAu tribunal, Kabund garde toute sa virulence contre Tshisekedi
L’avion de « Fantomas », comme il est surnommé, avait alors pris la direction de la France, où il avait été admis à l’Hôpital européen Georges-Pompidou. Mais, alors que la durée de cette visite médicale était estimée au départ à 45 jours, voilà une année que François Beya n’a pas regagné la RDC. Alors que la cour – dans son ancienne composition, modifiée depuis à la demande de la défense — avait décidé de le juger en son absence, elle insiste aujourd’hui pour statuer sur son cas en sa présence. Mais les avocats de François Beya soutiennent que son état de santé ne lui permet pas de rentrer au pays. « La loi a prévu des mécanismes qui lui permettraient d’être représenté par ses conseils », a souligné Me Jeannot Bukoko, l’un de ses avocats.
Et ce n’est que l’un des multiples freins dans l’avancée du dossier : des exceptions d’inconstitutionnalité aux multiples demandes de mise en liberté provisoire, en passant par les récusations de juges, ce procès débuté le 3 juin 2022 ne progresse pas. Alors, à qui profitent toutes ces prolongations ? Une mise en liberté provisoire des co-accusés de François Beya – si elle était accordée – devrait encore retarder l’issue de cette affaire.
Un calendrier judiciaire très politique
Hasard du calendrier ou manœuvre politique à l’approche des élections de décembre et au lendemain d’un remaniement dans les services de sécurité ? En quelques semaines, tous les dossiers judiciaires impliquant les anciens bras droits du président Tshisekedi ont été réactivés. Lundi 7 août, le procès de l’ancien homme fort et responsable de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS, parti au pouvoir), Jean-Marc Kabund, accusé notamment « d’outrage au chef de l’État et de propagation des faux bruits», s’est ouvert à la Cour de cassation. L’ancien premier vice-président de l’Assemblée nationale croupit en prison depuis une année, malgré une assignation à résidence surveillée qui n’a jamais été exécutée.
Le 22 juillet dernier, c’était au tour de Fortunat Biselele, l’ancien tout-puissant conseiller spécial du chef de l’État, de bénéficier d’une libération provisoire décidée par le tribunal de grande instance de Kinshasa-Gombe. « Bifort» a été arrêté depuis janvier par les services de renseignement, puis inculpé pour « trahison, atteinte à la sûreté de l’État et propagation de faux bruits ». Ironie du sort : François Beya et Fortunat Biselele – le second étant soupçonné d’avoir contribué à la chute du premier – pourraient se trouver un ennemi commun, en la personne de Jean-Hervé Mbelu Biosha.À LIREComment Fortunat Biselele tente de renouer avec Félix Tshisekedi
Désormais ancien administrateur général de l’Agence nationale de renseignement (ANR), remplacé le 1 août dernier par Daniel Lusadisu Kiambi, ce dernier a en effet été à la manœuvre dans les dossiers judiciaires des deux hommes. « Je me considère comme étant son prisonnier personnel », a d’ailleurs lancé François Beya dans l’une de ses auditions à l’ANR, que Jeune Afrique avait rapportées. Limogé, Jean-Hervé Mbelu Biosha pourrait aujourd’hui payer cette implication. Il lui serait reproché une mauvaise gestion de ces deux affaires éminemment politiques.