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Denis Mukwege, une candidature à haut risque à la présidence de la RDC

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hier à 10:16 – mise à jour il y a 9 heures•4 min
Par Benoît Feyt
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C’est la fin d’un long suspense. Le Dr Denis Mukwege, 68 ans, Prix Nobel de la paix 2018, est bien candidat à la prochaine élection présidentielle qui devrait se tenir le 20 décembre prochain en République démocratique du Congo. Il l’a annoncé cette après-midi lors d’une conférence de presse à Kinshasa. La rumeur circulait avec insistance depuis plus d’un an mais l’intéressé n’avait jusqu’ici donné aucune indication claire au sujet de ses intentions.
« Le moment propice, c’est maintenant. Ma seule motivation est de sauver notre patrie, de redresser notre pays et de relever la dignité de notre peuple. Nous ne pouvons pas attendre pour agir […], c’est pourquoi je suis prêt et que j’y vais maintenant », a-t-il déclaré devant une salle comble de sympathisants à Kinshasa.
Une candidature soutenue par la société civile
Cette candidature a été soigneusement préparée ces derniers mois par « l’Alliance des Congolais pour la refondation de la nation » (ACRN), une plateforme rassemblant plusieurs intellectuels mobilisés en faveur de la candidature du prix Nobel aux élections. Il y a deux semaines des membres de la société civile (associations de femmes, organisations locales, syndicats) lui ont remis un chèque de 160 millions de Francs congolais (approximativement 60.000 $) à son hôpital de Bukavu afin qu’il puisse s’acquitter de la caution nécessaire pour pouvoir se présenter à la présidentielle. Un appel auquel l’intéressé a donc décidé de répondre favorablement.
L’homme qui répare les femmes
Médecin gynécologue, diplômé de l’université Libre de Bruxelles (ULB), le Dr Denis Mukwege est le directeur de l’hôpital de Panzi à Bukavu, à l’est du Congo. Une région infestée de groupes armés depuis plus de 25 ans. Il y opère principalement des femmes et des enfants victimes de mutilations sexuelles perpétrées par ces mêmes groupes armés. Une activité qui lui a valu le surnom de « l’homme qui répare les femmes » et pour laquelle il a obtenu le Prix Nobel de la paix en 2018.
Fort de son expérience auprès des victimes de cette guerre qui s’éternise au Congo depuis plus d’un quart de siècle, Denis Mukwege milite inlassablement pour que les responsables des violences commises à l’encontre de la population civile soient traduits en justice. Le cinéaste belge, Thierry Michel, en a fait le personnage principal de son film documentaire « L’Empire du silence » qui dénonce l’impunité dont bénéficient les criminels de guerre au Congo.
Engagement politique
Le médecin donne régulièrement des conférences à travers le monde pour demander à la communauté internationale de s’impliquer afin que le Congo retrouve la paix et que les bourreaux congolais, rwandais et ougandais, notamment, répondent enfin de leurs crimes à l’égard des civils et singulièrement à l’égard des femmes. Pour appuyer son plaidoyer il a décrété le 2 août « journée de commémoration du génocide congolais commis pour des gains économiques ».
Cette date correspond à la deuxième guerre du Congo qui a débuté le 2 août 1998, lorsque le Rwanda et l’Ouganda ont lancé une offensive armée contre la RDC pour tenter de renverser le président Laurent-Désiré Kabila. Une offensive qui a donné naissance à des centaines de groupes armés qui sont toujours actifs aujourd’hui à l’est du Congo et qui se rendent encore régulièrement coupables d’exactions sordides à l’égard des civils.
Dans son plaidoyer contre le « génocide congolais », le Dr Mukwege pointe aujourd’hui du doigt le M23, qui a lancé une offensive sur la province du Nord Kivu en juin 2022 avec le soutien de Kigali, et qui occupe toujours un vaste territoire de cette province frontalière du Rwanda. Mais il s’oppose aussi au déploiement de forces de la Communauté des États d’Afrique centrale, que le président Tshisekedi a appelé à intervenir au Congo pour lutter contre la présence des groupes armés. Un déploiement qui risque de balkaniser le pays, selon Denis Mukwege.
Plus récemment, il s’est ému du massacre d’une cinquantaine de civils par la garde républicaine à Goma. Il a dénoncé l’assassinat de Chérubin Okende, un ex-ministre qui avait rejoint les rangs de l’opposition et qui a disparu sur le parking de la Cour constitutionnelle avant d’être retrouvé mort, peu après, dans son véhicule. Il a aussi critiqué vertement l’arrestation du journaliste Stanis Bujakera qui enquêtait sur cet assassinat.
Une candidature à haut risque
C’est donc dans ce climat politique et sécuritaire particulièrement tendu que le Dr Mukwege a décidé de se lancer dans l’arène politique. Sa candidature est certes souhaitée par ses nombreux soutiens, mais elle inquiète aussi ses proches qui craignent que l’homme ne se retrouve encore plus exposé aux menaces qui pèsent déjà sur sa vie à cause de son activité auprès des victimes de guerre et ses dénonciations régulières de la répression des opposants orchestrée par le régime en place.
Le pari est d’autant plus risqué que les chances de victoire du candidat Mukwege sont minces. Il n’a pas d’appareil de parti pour le soutenir, ses finances sont limitées et – s’il est adulé à Bukavu et relativement célèbre à l’est du pays – il lui manque des relais à l’échelle nationale pour lutter contre la machine électorale du président sortant, Félix Tshisekedi.
Il sera également confronté à d’autres opposants et candidats déclarés à l’élection présidentielle, comme Martin Fayulu, qui prétend toujours être le véritable vainqueur des dernières élections de 2018 ; mais aussi Adolphe Muzito et Augustin Matata Ponyo, deux anciens Premier ministre ; Franck Diongo Shamba, président du Mouvement lumumbiste progressiste ; et enfin Constant Mutamba, qui dirige la Dynamique progressiste de l’opposition.
Il devra probablement aussi composer avec la candidature de Moïse Katumbi, l’ex-gouverneur du Katanga qui pourrait également se déclarer dans les prochains jours.
Une pléthore de candidats qui risque bien de favoriser le président sortant dans un scrutin à un seul tour. À moins que le Prix Nobel de la paix 2018 ne parvienne à rassembler les autres candidats d’opposition derrière lui. Une option qui reste extrêmement hypothétique à ce stade de la campagne.