M23 en RDC : Kinshasa pousse à nouveau la force régionale vers la sortie

Alors que les combats entre les rebelles du M23, les milices d’autodéfense et d’autres groupes armés se poursuivent dans le Nord-Kivu, les autorités congolaises affirment que le mandat de la force est-africaine ne sera pas renouvelé.

Des soldats kényans à l’aéroport de Goma, le 12 novembre 2022. © Augustine Wamenya / Anadolu Agency via AFP
Des soldats kényans à l’aéroport de Goma, le 12 novembre 2022. © Augustine Wamenya / Anadolu Agency via AFP
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  • Romain Gras

Publié le 11 October 2023Lecture : 5 minutes.

La menace n’est pas nouvelle, mais Kinshasa assure que, cette fois, la Force régionale de la Communauté de l’Afrique de l’Est (EACRF) va bel et bien devoir quitter le pays. Le ministre de la Communication, Patrick Muyaya, l’a annoncé en conférence de presse le 9 octobre, réagissant à une question sur le récent déplacement en Tanzanie du vice-Premier ministre chargé de la Défense, Jean-Pierre Bemba, parti assister à une réunion de ses homologues de l’EAC.

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« La force régionale de l’EAC doit quitter la RDC d’ici le 8 décembre parce qu’elle n’a pas été en mesure de résoudre les problèmes, notamment celui du M23, qui bloquent depuis deux mois le processus de pré-cantonnement », a expliqué le porte-parole du gouvernement, annonçant qu’une réunion des chefs d’État de la sous-région devra se tenir pour « statuer sur l’incapacité de la force régionale à résoudre cette question ».

« Cohabitation » avec le M23

Aucune date n’a pour le moment été communiquée, mais cette annonce, formulée à deux mois de l’élection présidentielle, intervient dans un contexte sécuritaire déjà très tendu et marqué par la reprise, ces derniers jours, des affrontements avec le M23 dans les environs de Goma.

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Le mécontentement de Félix Tshisekedi à l’égard de la force est-africaine n’est pas nouveau. Voilà plusieurs mois que le président congolais estime que les troupes déployées par l’EAC ne remplissent pas leur mission et qu’elles devraient intervenir militairement face au M23.  En mai dernier, il avait même dénoncé une « cohabitation » entre les troupes de l’EACRF et les rebelles. Il a déjà, à plusieurs reprises, agité la menace d’un départ de ces contingents sans que cela ne soit suivi d’effet.

Malgré ces critiques, le mandat de la force a une nouvelle fois été renouvelé le 5 septembre dernier, pour une durée de trois mois – une décision prise en marge d’un sommet qui se tenait à Nairobi, où Félix Tshisekedi s’était fait représenter par son Premier ministre, Sama Lukonde Kyenge. À l’époque, cela avait suscité des crispations au sein de la présidence congolaise, où certains proches collaborateurs du chef de l’État estimaient que le leader du gouvernement n’aurait pas dû accepter un renouvellement du mandat sans qu’un bilan de l’EACRF ne soit réalisé.

« Jusqu’à ce que la paix soit rétablie »

« Fin août, nous avions dit à nos partenaires que l’EACRF avait un mois pour ouvrir par la force l’axe entre Rumangabo et Goma afin de procéder à l’acheminement du matériel destiné à la réhabilitation du site de pré-cantonnement pour le M23. Rien n’a été fait », détaille aujourd’hui un conseiller de Félix Tshisekedi, qui assure lui aussi que le mandat ne sera pas renouvelé.

Mais près d’un an après l’entrée sur le territoire congolais des premières troupes est-africaines, les pays membres ne semblent pas tous partager ce constat d’échec, ni être disposés à faire marche arrière. En visite à Kinshasa en août, le président burundais, Évariste Ndayishimiye, avait estimé que ce n’était pas le moment de renvoyer la force régionale. Accusé par la RDC de soutenir le M23 (des accusations également formulées par le groupe d’experts de l’ONU et que le Rwanda dément), Paul Kagame estime de son côté que cette force « fait un excellent travail pour calmer les choses ».

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Présent au côté de Jean-Pierre Bemba lors de la réunion des ministres de la Défense, son homologue kényan Aden Duale a affirmé sur X (anciennement Twitter) qu’à « la lumière des progrès réalisés par l’EACRF », une prolongation de sa présence « jusqu’à ce que la paix et la stabilité soient pleinement rétablies » avait été proposée. Demande à laquelle Kinshasa affirme adresser une fin de non-retour.

Le Burundi maintenu ?

Reste que ce non-renouvellement, s’il venait à être confirmé, soulèverait plusieurs questions. Tout d’abord les différents contingents déployés pourraient ne pas connaître le même sort puisque Kinshasa n’entretient pas la même proximité avec tous les pays contributeurs et que certains ont des troupes déployées à titre bilatéral ou ont conclu un accord de défense avec les autorités congolaises.

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C’est le cas du Burundi, dont l’entourage du président Tshisekedi ne cache pas qu’il est aujourd’hui le seul pays membre qui donne satisfaction à Kinshasa. « Dans le contexte actuel, les Burundais sont nos seuls alliés », assure un collaborateur du chef de l’État. Ce discours intervient dans un contexte de rapprochement entre le président congolais et Évariste Ndayishimiye. En août, ils ont signé un accord de défense dont les termes exacts ne sont pas connus.

Les troupes burundaises pourraient-elles être maintenues malgré un départ de la force régional ? Cette hypothèse n’est pas écartée par certains proches du président. « S’ils venaient à rester, ça ne serait pas avec le blason de l’EAC mais sous le drapeau burundais », explique un conseiller de Tshisekedi, sans toutefois confirmer cette option. Ces derniers jours, les rebelles du M23 ont accusé les troupes burundaises de prendre part aux combats, poussant ces dernières à réagir dans un communiqué. Le porte-parole de l’armée burundaise affirme que son contingent se contente d’accomplir « sa mission conformément au cadre légal régissant l’EACRF ».

La force de la SADC après celle de l’EAC ?

L’autre question que l’hypothèse du retrait de la force régionale soulève, c’est celle du calendrier de déploiement d’une autre initiative militaire sous-régionale, celle de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC). Décidée le 8 mai dernier lors d’un sommet de la « troïka » de la SADC, cette initiative, difficilement conciliable avec le maintien sur le terrain de la force est-africaine, tarde à se mettre en place. Un temps envisagé pour la fin de septembre, le déploiement de la force de la SADC (SAMIDRC) a été mis en suspens avec le dernier renouvellement de l’EACRF.

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Kinshasa continue de pousser pour que cette force puisse intervenir le plus rapidement possible, sans qu’un calendrier précis ne soit défini. Ce dossier a d’ailleurs été évoqué lors d’une visite de l’ex-président tanzanien Jakaya Kikwete à Lubumbashi, le 2 octobre. Ce dernier était à la tête de la Tanzanie lorsque celle-ci avait participé à la création de la brigade d’intervention de la Monusco, en 2013, lors de la précédente offensive du M23.

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