Noël Tshiani, poil à gratter de Moïse Katumbi
Connu pour être l’homme de la loi sur la « congolité » en RDC, Noël Tshiani a déposé un recours devant la Cour constitutionnelle pour faire invalider le dossier de Moïse Katumbi, candidat à la présidentielle face à Félix Tshisekedi.

- Jeune Afrique
Publié le 27 octobre 2023Lecture : 4 minutes.
Noël Tshiani va-t-il parvenir à mettre son grain de sel dans l’élection présidentielle ? Si la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) a validé, le 19 octobre, les dossiers des 24 candidats à la magistrature suprême, l’homme de la loi sur la « congolité » en RDC n’a pas dit son dernier mot.
Encore la nationalité
Candidat, lui aussi (il l’avait déjà été en 2018), il a déposé dès le lendemain un recours contre Moïse Katumbi auprès de la Cour constitutionnelle. Et c’est ce vendredi 27 octobre que cette instance, seule habilitée à valider la liste définitive des candidats, doit commencer à examiner les différentes requêtes qui ont été introduites.
Les arguments de Noël Tshiani ne sont pas nouveaux. Il entend faire valoir le fait que l’ancien gouverneur du Katanga aurait détenu la nationalité italienne jusqu’en 2017, alors que son certificat de nationalité congolaise date de 2015. Or dans son article 10, insiste Noël Tshiani, la Constitution congolaise indique que « la nationalité congolaise est une et exclusive », et qu’elle « ne peut être détenue concurremment avec une autre ».A lire :
Noël Tshiani, l’homme de la loi sur la « congolité » en RDC
Pour appuyer ses dires, Noël Tshiani annexe dans sa requête un article publié sur le site de Jeune Afrique le 22 mars 2018. Citant la mairie de San Vito dei Normanni, le texte affirmait que « Moïse Katumbi d’Agnano » avait bel et bien acquis la nationalité italienne le 3 octobre 2000, avant d’y renoncer le 13 janvier 2017.
Pas dans les registres
Cette information avait été en partie démentie quatre mois plus tard par le maire de cette municipalité, Domenico Conte. Dans une correspondance adressée le 16 juillet 2018 à l’avocat français de Moïse Katumbi, Me Dupont-Moretti (devenu depuis ministre français de la Justice), Domenico Conte écrivait : « Nous ne pouvons fournir aucune information quant à la nationalité de M. Moïse Katumbi Chapwe, en ce que celui-ci n’est pas inscrit (et ne l’a jamais été) au registre de l’état civil et/ou au registre de la population des citoyens italiens de la ville de San Vito dei Normanni. »
À l’époque, Moïse Katumbi vit en tout cas en exil. Il a maille à partir avec le pouvoir de Joseph Kabila qu’il accuse de multiplier les subterfuges pour l’empêcher de déposer sa candidature à la présidentielle de décembre 2018. Car outre la question de son « italianité présumée », il est poursuivi dans deux dossiers judiciaires en RDC : l’une est relative au recrutement présumé de mercenaires ; l’autre à une affaire de spoliation d’une parcelle pour laquelle il sera condamné à trois ans de prison.A lire :
Les intrigants silences de Joseph Kabila
Alexis Thambwe Mwamba, ancien ministre de la Justice, prend aujourd’hui la défense de Moïse Katumbi. « Je n’avais aucune preuve [qu’il] était italien. Il y a eu des dénonciations qui ont été réfutées par l’avocat de Moïse Katumbi, Me Éric Dupond-Moretti, qui a écrit à la commune de San Vito dei Normanni […], a-t-il déclaré sur les antennes de RFI. Ce débat est une distraction. Il faut laisser la candidature de Katumbi et il ne faut pas embraser le pays. »
Ce n’est pas la première fois que Noël Tshiani tente de mettre des bâtons dans les roues de l’ancien gouverneur. Depuis le mois de juillet 2021, il est en effet porteur d’un projet de loi controversé sur la nationalité, qui limite l’accès aux plus hautes fonctions (dont la présidence de la République) aux seuls Congolais nés de mère et de père congolais.
En sous-main pour le pouvoir ?
Au mois d’août 2021, le bureau d’études de l’Assemblée nationale juge que le texte est en contradiction avec les articles 10 et 72 de la Constitution, qui consacrent l’exclusivité de la nationalité congolaise et énumèrent des conditions d’éligibilité à la présidentielle ; il n’est donc pas soumis aux députés. Mais curieusement, il a été inscrit au calendrier de la session du mois de mars dernier et de nouveau au calendrier de la session en cours. Les chances qu’il soit examiné paraissent très faibles, mais si la loi devait être votée, elle écarterait Moïse Katumbi de la course à la présidentielle, puisqu’il est né d’un père grec et d’une mère congolaise.
Noël Tshiani agit-il en sous-main pour le compte de certains caciques du pouvoir dans le but d’empêcher la candidature de Moïse Katumbi ? Contacté par Jeune Afrique, il a refusé de répondre à nos questions, nous accusant d’avoir « à plusieurs reprises déformé ses propos ».A lire :
En RDC, deux cadres de l’UDPS pour diriger la campagne de Félix Tshisekedi
Lorsque nous lui avions posé une question similaire, au mois d’avril, il nous avait toutefois répondu : « On me prête des intentions qui sont fausses. Je ne suis pas manipulable. » En 2018, il n’avait obtenu que 23 548 voix, soit 0,13 % des suffrages. Moïse Katumbi, faute d’avoir pu rentrer à temps en RDC, n’avait pas pu se présenter.
Noël Tshiani ne s’est-il de nouveau porté candidat que pour contrer les ambitions de Moïse Katumbi ? Selon la loi électorale, seul un candidat ou son parti ou regroupement politique peuvent déposer une requête devant la Cour constitutionnelle. Contacté par Jeune Afrique, Olivier Kamitatu, porte-parole de Moïse Katumbi, dit préférer en rire et ne pas souhaiter « faire de commentaires pour l’instant ».
Un recours contre… Tshisekedi
À noter qu’un certain Junior Tshivuadi Mansanga, qui se présente comme un ancien employé de l’une des entreprises de Moïse Katumbi, a également contesté la candidature de ce dernier devant la Cour constitutionnelle l’accusant de « corruption », de « détournements », de « faux en écritures » ou encore de « défaut de nationalité congolaise ». Mais la démarche ne répond pas aux critères définis par la loi électorale et a peu de chances d’aboutir.A lire :
Eddy Kapend prend du galon et rebondit… au Katanga
Pour sa part, Seth Kikuni, candidat à la présidentielle, a également demandé l’invalidation de la candidature du président sortant pour… défaut de nom. « Tshisekedi Tshilombo Félix proclamé président de la République par un arrêt de la Cour constitutionnelle est différent de Tshisekedi Tshilombo Félix-Antoine », explique-t-il sur X (anciennement Twitter). Là encore, et même si le recours a été déposé dans les formes, il a très peu de chances de prospérer.
C’est le 18 novembre, à la veille du lancement de la campagne électorale, que sera publiée la liste définitive des candidats. La Cour constitutionnelle devra donc trancher d’ici là.