Dans l’est de la RDC, comment et pourquoi les hostilités ont repris

Depuis début octobre, des combats opposent à nouveau les rebelles du M23 à des groupes armés soutenus par les FARDC. Le gouvernement congolais accuse le Rwanda « d’une nouvelle intrusion » sur son territoire.

Des habitants de Bambo, à 60 kilomètres au nord de Goma, fuient lors de l’attaque de la ville par le M23, le 26 octobre 2023. © ALEXIS HUGUET/AFP
Des habitants de Bambo, à 60 kilomètres au nord de Goma, fuient lors de l’attaque de la ville par le M23, le 26 octobre 2023. © ALEXIS HUGUET/AFP
  • Vincent Duhem

Publié le 1 novembre 2023Lecture : 5 minutes.

Sur cette étroite piste du territoire de Rutshuru, au nord de Goma, des centaines de personnes se fraient un chemin au cœur de la dense végétation. Ils portent leur vie à bout de bras, vêtements, nourriture, matelas. Ces familles fuient une chose : la guerre. Pour les populations de l’est de la RDC, l’histoire est un éternel recommencement.

Après plusieurs mois d’un fragile cessez-le-feu entre l’armée congolaise et les rebelles du M23, les combats ont repris sur ces terres vallonnées. Depuis le début du mois d’octobre, ces affrontements opposent officiellement le M23 a une coalition de groupes armés soutenus par les forces armées congolaises (FARDC).

Tout commence aux premières lueurs du dimanche 1er octobre lorsque ces milices d’auto-défense attaquent les positions du M23 aux nord de Goma sur l’axe qui mène à la ville de Kitshanga, dans le Masisi. Plusieurs groupes sont à la manœuvre : l’Alliance des patriotes pour un Congo libre et souverain (APCLS) – l’un des principaux groupes Maï-Maï de l’est de la RDC, dirigé par le général autoproclamé Janvier Karairi -, la coalition Abazungu et la faction Nduma défense du Congo-Rénové (NDC-R) de Guidon Shimiray Mwissa.

Ces groupes ont décidé de mettre leurs différends de côté pour combattre le M23, avec le soutien tacite du gouvernement congolais.A lire : 

M23, FARDC, milices… Regain de tensions autour de Goma

Leur offensive surprend. Elle ne doit pourtant rien au hasard. Le 23 septembre, des représentants de cette coalition ont été reçus par Peter Cirimwami Nkuba, le nouveau gouverneur du Nord-Kivu. Officiellement, il s’agit de les sensibiliser au Programme de désarmement, démobilisation, réinsertion communautaire et stabilisation (P-DDRCS). Officieusement, les conditions de leur engagement au front sont évoquées. « Un moyen pour le gouvernement de contourner le cessez-le-feu tout en obtenant une victoire contre le M23 », estime un diplomate européen en poste à Kinshasa.

L’Est, un enjeu électoral

« Il y avait une réflexion depuis longtemps quant à l’opportunité de lancer une opération avant les élections. Félix Tshisekedi voulait une victoire pré-électorale. Une victoire totale contre le M23 jusqu’à Bunagana. Il y croyait vraiment », poursuit une source sécuritaire congolaise.

Le gouvernement a toujours nié avoir engagé son armée dans ses opérations. Mais, de sources concordantes, des unités des FARDC ont bien participé à certains combats. Selon les informations de Jeune Afriquedes unités spéciales de la Garde républicaine (GR) ont même perdu plusieurs éléments.

Cette première phase s’avère être un succès. Les groupes armés reprennent plusieurs positions rebelles et parviennent même à s’emparer de la ville de Kitshanga, où environ 500 soldats congolais arrivent dans la foulée. Le retour de l’administration est immédiatement envisagé. Le 12 octobre, le président Tshisekedi annonce la levée partielle de l’état de siège dans le Nord-Kivu. Il fait également part de sa volonté de reprendre le processus électoral dans ces zones où la situation sécuritaire n’a pas encore permis l’enrôlement.

« Une débandade »

Mais sur le terrain, la dynamique se grippe rapidement. Après Kitshanga, les groupes armés soutenus par les FARDC font cap plus à l’est, dans le territoire du Rutshuru, en direction des localités de Bwiza et Tongo. Cette dernière est considérée comme une des bases importantes du M23 dans le Nord-Kivu. En nombre, les rebelles repoussent les groupes armés jusqu’à Kitshanga. Ils parviennent même à reprendre la ville le 21 octobre.

« Une débandade », de l’aveu d’un soldat congolais. Les unités de l’armée fuient au nord et au sud de la ville. Des soldats n’ont d’autres choix que de se cacher chez l’habitant ou dans la base du contingent burundais de la force régionale de l’EAC. Selon des comptes rendus des FARDC consultés par Jeune Afrique, plusieurs dizaines de soldats ont été tués dans ces combats.A lire : 

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Comment expliquer un tel renversement du rapport de force ? Il y a d’abord un élément de stratégie. Car comme ce fut le cas lors de la prise de Goma en novembre 2012 ou à Bunagana il y a un an, le M23 s’est volontairement replié pour se regrouper et frapper encore plus fort l’armée. « La chaîne logistique n’avait pas été prévue pour une offensive aussi longue. Les groupes armés, comme les FARDC, manquaient de munitions », précise une source sécuritaire sous-régionale.

Incursion rwandaise ?

Les autorités congolaises affirment de leur côté que les M23 ont reçu un renfort conséquent de troupes rwandaises. L’armée affirme que 300 membres de l’armée rwandaise sont venus prêter main forte au M23.

Le gouvernement a notamment rendu public plusieurs clichés pris par des drones de la Monusco montrant des colonnes traversant la frontière avec le Rwanda en direction du front.

Après analyses, ces images, que Jeune Afrique a pu consulter, ont été transmises aux autorités par la mission onusienne qui estime qui il s’agit bien de renforts rwandais. Plusieurs sources sécuritaires estiment toutefois qu’il n’y a pas encore assez de preuves matérielles pour assurer que ces soldats sont bien des RDF et Kigali dément, depuis le début, toute implication directe de ses troupes dans le conflit.

Le soutien actif du Rwanda aux rebelles du M23 a néanmoins été documenté à plusieurs reprises par les expert de l’ONU.

Côté FARDC, la contre-offensive du M23 a laissé des traces. « Le moral de la troupe est assez bas. Il y a une incompréhension vis-à-vis de la stratégie », confie un militaire congolais. La collaboration entre l’armée et les milices d’auto-défense a également mis mal à l’aise les sociétés de sécurité privées – l’une française, l’autre roumaine – qui collaborent avec les FARDC.A lire : 

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Face à l’échec de l’offensive des groupes armés, les autorités congolaises comptent-elles revoir leurs ambitions ? Félix Tshisekedi compte-t-il toujours obtenir une victoire de prestige avant les élections ? « Pour le moment, il y a une volonté de figer les positions en attendant la montée en puissance des FARDC », explique une source militaire.

Forts de leurs dernières victoires, les rebelles du M23 pourraient de leur côté être tentés de forcer le gouvernement congolais à négocier après l’élection, ce que Kinshasa a toujours refusé.

En attendant, les populations civiles paient encore le prix fort. Lors de l’offensive des wazalendo, des dizaines de villages ont été brûlés. Les comptes-rendus de l’armée congolaise attestent de leur côté de plusieurs dizaines de civils tués par le M23.

Quant au nombre de déplacés, il s’accroît de jour en jour. Lundi 30 octobre, l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) a annoncé dans un communiqué que 6,9 millions de personnes étaient actuellement déplacées à l’intérieur du pays.

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