Le « retrait accéléré » de la Monusco sur la table du Conseil de sécurité

Poussée vers la sortie par Kinshasa, la mission onusienne vit probablement son dernier processus électoral en RDC. Le Conseil de sécurité de l’ONU doit se pencher, le 11 décembre, sur le plan de désengagement qu’elle a signé avec le gouvernement et que Jeune Afrique a pu consulter.

Casque bleu de la Monusco à Sake, dans l’est de la RDC, le 6 novembre 2023. © Photo by Glody MURHABAZI / AFP
Casque bleu de la Monusco à Sake, dans l’est de la RDC, le 6 novembre 2023. © Photo by Glody MURHABAZI / AFP
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Publié le 11 décembre 2023Lecture : 6 minutes.

Le 14 novembre, lors de son dernier discours sur l’État de la nation, Félix Tshisekedi s’interrompt brièvement pour laisser résonner une salve d’applaudissements. Le chef de l’État congolais vient d’évoquer le thème de la sécurité et, justement, l’avenir de la Monusco, la mission onusienne de maintien de la paix en RDC, fait partie des sujets brûlants de la fin de son mandat présidentiel.

« Après plus de deux décennies de présence de la Monusco sur notre territoire, il est temps de prendre notre destin en main et de devenir le principal acteur de notre propre sécurité », répète-t-il sous les hourras de l’assemblée, alors que les caméras de la télévision nationale s’attardent sur Bintou Keïta, la patronne de la mission, présente ce jour-là au Palais du peuple.

« Cette fois, c’est la bonne »

Alors que son quinquennat arrive à son terme, le chef de l’État sait que le sujet est porteur dans l’opinion, surtout en cette période préélectorale. Après avoir longtemps essuyé les critiques des gouvernements de Kabila puis de Tshisekedi, la Monusco, présente en RDC depuis 1999, se sait poussée vers la sortie.A lire : 

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Le 22 novembre dernier, elle a signé avec les autorités congolaises une note sur son retrait « accéléré, progressif, ordonné et responsable ». Fruit du travail d’une cellule que codirigent Bintou Keïta et Christophe Lutundula, le ministre des Affaires étrangères, ce plan devait être évoqué, le 11 décembre, lors d’une réunion du Conseil de sécurité de l’ONU. Ses membres se sont engagés à se prononcer sur l’avenir de la mission « avant la fin de l’année 2023 ». « Cette fois, c’est la bonne, reconnaît un membre de longue date de la Monusco. Un retour en arrière est impossible. »

« La Monusco est la bienvenue »

En 2019, l’arrivée au pouvoir de Félix Tshisekedi avait pourtant offert à la Monusco un répit salvateur. À l’époque, le président congolais, dont l’élection était fortement contestée, se montrait bien disposé à l’égard de la mission, qui n’avait pas fait partie des critiques les plus virulents du scrutin. « La Monusco est la bienvenue en RDC », expliquait-il encore à Jeune Afrique en juin 2021.A lire : 

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Mais, au fil du temps, l’image de la mission ne s’est pas améliorée, et une partie de l’opinion estime aujourd’hui que la Monusco a failli dans sa mission de protection des civils. Elle a par ailleurs subi plusieurs coupes budgétaires. Dès 2019, dans son analyse stratégique, le diplomate tunisien Youssef Mahmoud préconisait « un plan de retrait échelonné, progressif et exhaustif pour les trois prochaines années ». Une feuille de route prévoyant un retrait étalé entre 2021 à 2024 est élaborée deux ans plus tard, en septembre 2021.

« Le conflit avec le M23 a marqué un tournant »

Mais les événements se précipitent. En juillet 2022, des manifestations d’une ampleur inédite ciblent la Monusco. Entre 2019 et 2021, la mission avait certes déjà été confrontée à plusieurs mouvements de protestation dus à la persistance des massacres perpétrés par les Forces démocratiques alliées (ADF). Mais, avec la résurgence, en novembre 2021, de la rébellion du M23, accusée d’être soutenue par Kigali, la situation se dégrade fortement. Les autorités durcissent le ton vis-à-vis de la Monusco jusqu’à ce que, en août 2022, Félix Tshisekedi réclame une révision du calendrier. « Le conflit avec le M23 a marqué un tournant », explique une source onusienne à Kinshasa.

Conduites sous l’égide du Premier ministre, Jean Michel Sama Lukonde Kyenge, les discussions sont d’abord poussives. Un rapport du secrétariat général de l’ONU, remis le 2 août 2023 et proposant des « options pour reconfigurer la mission » ainsi qu’une déclaration au vitriol de Christophe Lutundula un mois plus tard, changent la donne. Selon Kinshasa, la Monusco est désormais davantage « un problème à résoudre qu’une solution à la crise ».

Le Sud-Kivu, province test

Les pourparlers entre les autorités et la mission aboutissent à l’élaboration d’un nouveau chronogramme et d’une note de retrait accéléré, qui fixe plusieurs priorités : une réforme du secteur de la sécurité, l’adoption d’un Programme de désarmement, de démobilisation et de relèvement communautaire et de stabilisation (PDDRCS), ou encore la restauration de l’autorité de l’État.

Ce document de 10 pages, que Jeune Afrique a pu consulter et qui doit encore être soumis à l’approbation du Conseil de sécurité, présente les grands axes et les modalités du retrait des Casques bleus et des membres de la police onusienne. Il explique que, dans le cadre de ce départ, qui doit commencer « avant la fin de 2023 », la Monusco procédera à un « transfert échelonné des responsabilités de protection des civils » aux forces de sécurité congolaises.

Pour la Monusco, le départ du Sud-Kivu, du Nord-Kivu et de l’Ituri – les trois régions où elle est encore active – s’annonce délicat. Et, puisque c’est par le Sud-Kivu qu’elle doit commencer (« le retrait complet des militaires et des policiers » du Sud-Kivu est prévu « d’ici au 30 avril [2024] »), la séquence aura valeur de test.

Le M23 proche de Goma

Du bon déroulement de ces opérations pourrait en effet dépendre la suite du processus. Car si le plan négocié prévoit que les Casques bleus se retireront du Nord-Kivu « à partir du second semestre 2024 », avant que l’Ituri ne soit à son tour concerné, le calendrier des dernières étapes est susceptible d’évoluer.

« Le déploiement effectif des forces de sécurité et de défense congolaises guidera l’ensemble du processus et influencera le chronogramme », précise le plan de désengagement, qui stipule que le départ [de la Monusco] du Nord-Kivu et de l’Ituri « pourrait être modifié pour répondre aux préoccupations sécuritaires les plus urgentes ». Ce plan de désengagement doit en principe faire l’objet d’une évaluation – et d’une éventuelle révision de certaines de ses dispositions – tous les trois mois.

Malgré l’instauration de l’état de siège, en mai 2021, malgré le déploiement de la force régionale est-africaine face au M23, malgré l’Opération Shujaa déployée contre les ADF et malgré la présence de la brigade d’intervention de l’ONU, la situation sécuritaire ne s’est nullement améliorée, dans l’est de la RDC. Elle s’est même plutôt dégradée, à l’approche de l’élection présidentielle du 20 décembre. Au Nord-Kivu, les habitants de deux territoires sur six seront dans l’impossibilité de voter, et le M23 se rapproche à nouveau de Goma.

Sur le terrain, la Monusco maintient actuellement un discret soutien opérationnel aux FARDC, comme lors des combats qui ont eu lieu près de Sake la semaine du 4 au 10 décembre. Elle fournit aussi de l’aide à la commission électorale pour l’acheminement des machines à voter.

Casse-tête au Conseil de sécurité

Au Conseil de sécurité, l’idée d’un retrait total des Casques bleus suscite donc beaucoup d’inquiétude. « Les États-Unis sont franchement préoccupés de voir que les FARDC et les forces de la région ne sont pas prêtes à assurer la sécurité de la population », a résumé Linda Thomas-Greenfield, l’ambassadrice des États-Unis auprès des Nations unies, le 28 septembre.

Alors que le Royaume-Uni se dit prêt à envisager « une réduction » du nombre des Casques bleus « conformément aux souhaits du gouvernement congolais », Christophe Lutundula considère, pour sa part, qu’une reconfiguration de la mission – une « Monusco bis », selon ses termes – « serait une faute ». La France, qui est le porte-plume des résolutions onusiennes sur la RDC, a, elle, appelé le Conseil de sécurité à prendre en compte « les demandes concrètes et réalistes des autorités congolaises ».A lire : 

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Le passage de la théorie à la pratique pourrait donc se révéler risqué. « Aujourd’hui, on veut surtout éviter un scénario à la malienne, dans lequel l’ONU se retrouverait poussée vers la sortie de manière précipitée, explique un haut cadre de la Monusco. Il faut éviter de donner l’impression que l’on n’écoute pas, et de faire des gestes qui laisseraient penser que l’on a vocation à s’éterniser. »

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