En RDC, après la critique d’un « chaos électoral », quelle stratégie pour l’opposition ?

Alors que la commission électorale a commencé à annoncer les premières tendances, les adversaires de Félix Tshisekedi se cherchent une stratégie. Certains opposants, dont Fayulu et Mukwege, ont annoncé la tenue d’une première manifestation le 27 décembre.

De g. à dr. : Moïse Katumbi, Denis Mukwege, Martin Fayulu, Delly Sesanga, Matata Ponyo Mapon. © Montage JA : Vincent Fournier/JA; Bruno Lévy/JA; Vincent Fournier/JA; Gwenn Dubourthoumieu/JA
De g. à dr. : Moïse Katumbi, Denis Mukwege, Martin Fayulu, Delly Sesanga, Matata Ponyo Mapon. © Montage JA : Vincent Fournier/JA; Bruno Lévy/JA; Vincent Fournier/JA; Gwenn Dubourthoumieu/JA
DSC_4972 copie

Publié le 23 décembre 2023Lecture : 5 minutes.

Le mercredi 20 décembre, les témoins et observateurs ont veillé jusque tard dans les bureaux de vote. Dans les couloirs de l’Athénée de la Gombe, l’un des centres de vote de Kinshasa, les opérations de dépouillement se poursuivaient encore jeudi après-midi, sous le regard d’une poignée de citoyens, épuisés mais toujours concentrés sur chaque geste des agents de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni).A lire : 

Les Églises, vigies sous pression de la présidentielle en RDC

Après avoir prolongé d’un jour les opérations électorales dans les bureaux qui n’avaient pu ouvrir le 20 décembre, la Ceni a annoncé dans la soirée du lendemain qu’elle mettait officiellement un terme au vote. « Aucun bureau de vote et de dépouillement ne sera autorisé à fonctionner au-delà du 21 décembre », a-t-elle précisé dans un communiqué, appelant aussi « au calme et à la sérénité » avant la publication des résultats.

Sous pression depuis l’ouverture des bureaux le 20 décembre, la commission électorale a donc décidé de refermer la phase du vote. Un large flou subsiste néanmoins sur l’ampleur des problèmes logistiques constatés pendant les opérations de vote, alors que des bureaux n’ont ouvert que le vendredi 22 décembre dans certaines localités. Si le gouvernement salue un processus « paisible », ces nombreux couacs logistiques suscitent déjà une contestation unanime de l’opposition.

« 97 % des bureaux ouverts »

Mercredi soir, Denis Kadima, le président de la Ceni, avait pourtant affirmé que « pas moins de 70 % des électeurs » avaient pu se rendre aux urnes mercredi, sans donner plus de précisions. Il avait également salué « l’enthousiasme » des Congolais, venus nombreux glisser leur bulletin dans l’urne. Le lendemain, Didi Manara, le premier vice-président de la Ceni, avait lui estimé à « plus ou moins 97 % » la proportion des bureaux de vote ayant pu ouvrir. « Atteindre ce score est déjà un miracle », avait-il ajouté.A lire : 

En RDC, un jour de vote sans fin mais non sans risques

La Ceni semble désormais déterminée, malgré le flou et la poursuite des opérations dans certains bureaux, à avancer le plus rapidement possible vers la conclusion du processus. Le 22 décembre, elle a commencé à diffuser ses premiers résultats. « La Ceni se devait de boucler ses opérations le 21 décembre pour passer à l’étape suivante et tenter de contenir la contestation », explique une source diplomatique.

Car l’optimisme affiché par la commission et les autorités congolaises tranche avec le discours de l’opposition, déjà très critique du processus. À la sortie de son bureau de vote, Martin Fayulu, candidat à la magistrature suprême, a dénoncé dès le 20 décembre un « chaos électoral planifié par Denis Kadima ».

« Réorganiser l’élection »

Également en lice pour la présidentielle, Denis Mukwege a quant à lui évoqué de nombreuses « irrégularités ». Le soir même, les deux hommes ont, en compagnie de trois autres opposants, signé une déclaration commune pour appeler à une réorganisation de ces « élections ratées », avec une Ceni remaniée, à une date qui sera fixée ultérieurement.A lire : 

Moïse Katumbi : « Félix Tshisekedi, c’est le candidat le plus faible aujourd’hui »

Jeudi, ce sont Moïse Katumbi et les candidats qui l’ont rejoint pendant la campagne (Matata Ponyo Mapon, Delly Sesanga, Seth Kikuni et Franck Diongo) qui ont à leur tour publié un communiqué. Dénonçant une « entreprise de fraude orchestrée par le pouvoir en place », le camp de l’ancien gouverneur du Katanga a appelé à la « mobilisation générale » en affirmant que les « résultats tels que collectés à travers le pays » et compilés dans leurs propres centres de surveillance plaçaient Moïse Katumbi en tête.

Tout aussi critique, le Front commun pour le Congo (FCC) de l’ancien président Joseph Kabila, seul poids lourd à avoir boycotté le scrutin, a appelé les Congolais « à se prendre en charge » et à se mobiliser pour « mettre fin à ce régime ».

Deux stratégies irréconciliables ?

Peu surprenante, cette contestation semble donc s’organiser pour le moment autour de deux pôles. D’un côté, ceux qui réclament purement et simplement l’annulation du vote ; de l’autre, ceux qui, tout en étant critiques vis-à-vis d’un processus qu’ils qualifient de « frauduleux », revendiquent aussi à demi-mot la victoire de leur chef de file.

« Martin Fayulu joue la carte de la crédibilité du scrutin pour tenter de pousser le pouvoir à dialoguer, tandis que les autres, tout en ayant les mêmes motivations, se prévalent d’autres éléments pour revendiquer la victoire », résume un diplomate.A lire : 

Comment le pouvoir a changé Félix Tshisekedi

Au sein des différents camps, les discussions se poursuivaient encore ce samedi pour statuer sur la suite à donner à cette séquence. Dans l’entourage de Moïse Katumbi, certains assurent soutenir « tous les formats d’action visant à contester les résultats », sans donner plus de précisions. « Les recours par voie légale sont exclus », affirme pour sa part l’un des alliés de Katumbi, qui estime que la Cour constitutionnelle est inféodée au pouvoir.

Discours plus ou moins radical

Certains de nos interlocuteurs assurent néanmoins que des axes de rapprochement sont possibles entre les différents camps de l’opposition. « Félix Tshisekedi ne représente plus que lui-même aujourd’hui, nous pouvons nous entendre sur une base commune », lance l’un d’eux.

Une convergence des vues serait-elle encore possible ? Martin Fayulu et Moïse Katumbi, alliés lors de la précédente élection en 2018, ont depuis pris des routes différentes. La tension est montée entre les deux hommes au cours de la campagne, Fayulu ayant accusé Moïse Katumbi d’avoir voulu s’imposer comme le candidat commun de l’opposition. Malgré tout, des canaux de discussions subsistent.

Selon nos informations, certains candidats échangeaient encore ces derniers jours, par l’intermédiaire de leurs lieutenants, sur une déclaration commune sur « l’irrecevabilité des résultats ». Mais ces tractations sont pour le moment délicates. En attendant, Martin Fayulu, Denis Mukwege et trois autres candidats ont annoncé qu’ils souhaitaient organiser une marche le 27 décembre pour protester contre les « irrégularités » du scrutin.A lire : 

Félix Tshisekedi : ministres influents, conseillers de l’ombre… Les stratèges du président-candidat

Dans la période toujours indécise qui précède l’annonce des résultats, ces doutes inquiètent les chancelleries. Redoutant une contestation violente, elles ont tenté de faire passer des messages auprès de l’opposition ces derniers jours. Le 23 décembre, treize chancelleries ont appelé les parties prenantes à « faire preuve de retenue ». Et, en privé, certains opposants ne cachent pas leur frustration face à ce qu’ils qualifient de « realpolitik ».

La capacité de mobilisation de l’opposition demeure incertaine. Les missions d’observation internationales présentaient ce vendredi leurs rapports préliminaires. Quoiqu’extrêmement prudents, ils ont unanimement souligné des problèmes logistiques majeurs et un manque de confiance envers la Ceni, tout en saluant le déroulement relativement paisible des opérations.

Et les religieux ?

Mais que dira la mission menée conjointement par la Conférence épiscopale nationale du Congo (Cenco) et l’Église du Christ au Congo (ECC) ? Elles ont annoncé avoir déployé plus de 25 000 observateurs sur le terrain, mais elles refusent à ce stade de se prononcer. « Nous n’avons pas encore vidé le débat sur l’intégrité du processus », déclarait Eric Senga, le porte-parole de l’ECC, le 21 décembre.

Les Églises se sont pour l’instant contenté de plusieurs rapports d’incidents transmis par leurs observateurs. Elles savent le poids de leur parole, particulièrement auprès de l’opposition. « Ce qu’ils vont dire comptera évidemment pour la suite de la mobilisation », conclut un allié de Katumbi.

En attendant, les autorités, elles, se félicitent de la tenue, « à la date prévue », de ces élections. Sur France 24, le ministre de la Communication, Patrick Muyaya, a estimé « que c’est un faux-fuyant de dire qu’on doit refaire des élections parce qu’il y a eu des problèmes inhérents à l’étendue du pays ».

By admin

S’abonner
Notification pour
guest

0 Comments
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x