Stratégie militaire du M23, soutien du Rwanda, rôle du Burundi… Ce qu’il faut retenir du rapport de l’ONU  

Dans leur rapport rendu public le 3 janvier, les experts onusiens reviennent en détail sur la crise dans l’Est congolais. Réaffirmant que le Rwanda soutient les rebelles du M23, ils évoquent aussi la coopération entre les armées congolaise et burundaise et l’appui logistique des FARDC aux groupes armés. 

Des soldats des Forces de défense du Rwanda (RDF) à l’aéroport de Kanombe, à Kigali, le 10 juillet 2021. © Simon Wohlfahrt/AFP
Des soldats des Forces de défense du Rwanda (RDF) à l’aéroport de Kanombe, à Kigali, le 10 juillet 2021. © Simon Wohlfahrt/AFP
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Publié le 3 janvier 2024Lecture : 6 minutes.

Pour la troisième fois en un peu plus d’un an, le groupe d’experts de l’ONU affirme que le Rwanda soutient les rebelles du M23. Dans son dernier rapport, que Jeune Afrique a pu consulter, ses membres disent disposer de preuves « d’interventions directes et de renforts de troupes [assurés] par les Forces de défense du Rwanda (RDF) » dans les territoires de Masisi, Rutshuru et Nyiaragongo. Des zones de l’est de la RDC où des soldats rwandais « provenant de cinq bataillons différents ont été déployés depuis le début du mois d’octobre ».  

M23 formés au Rwanda

« Les RDF et le M23 ont été soutenus par plusieurs équipes d’appui au combat et de reconnaissance totalisant 250 anciens combattants des FDLR [Forces démocratiques de libération du Rwanda] et opérant sous le commandement du Département du renseignement de la défense du Rwanda (DID) », est-il expliqué dans le document, qui mentionne « plusieurs dizaines » de vies perdues dans les rangs de l’armée rwandaise et des soldats évacués par la route au Rwanda. Les experts affirment également que des éléments du M23 ont reçu une formation à l’académie militaire de Gako, au Rwanda, entre mai et juin 2023.

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Le gouvernement congolais a évoqué à plusieurs reprises ce soutien présumé. Fin octobre, Kinshasa a même rendu publiques des images prises par des drones de la Monusco attestant de la présence de RDF marchant de Kalengera vers Tongo à travers le parc national des Virunga. Dans ce nouveau rapport, l’ONU dévoile à son tour une série de clichés montrant des RDF dans le Nord-Kivu, près de Kibumba et de Kilolirwe.

Pour l’état-major congolais, ce soutien rwandais explique en partie les revers enregistrés depuis plusieurs mois face au M23, après les premiers succès de l’offensive lancée par des groupes armés ou « wazalendos », soutenus par l’armée, début octobre 2023. Néanmoins, Kigali maintient que « le Rwanda ne soutient pas le M23 et n’a pas de troupes en RDC ». 

Peter Cirimwami et les wazalendos

Le panel onusien poursuit en affirmant que le gouvernement congolais a « contribué à la création des Volontaires pour la défense de la patrie (VDP) » dans le but de « détourner les accusations de préparation d’actions offensives en violation du cessez-le-feu entre les FARDC et le M23 ». Il cite aussi le rôle que joue, selon lui, le général Peter Cirimwami dans la coordination des wazalendos et des FDLR.

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Nommé gouverneur intérimaire de la province du Nord-Kivu en septembre dernier, Cirimwami a participé à plusieurs réunions les 22 et 23 septembre à Goma avec les représentants des groupes agissant sous la bannière des wazalendos. Ces derniers étaient logés en ville dans des établissements protégés par des soldats des FARDC. L’armée congolaise a également transporté par voie aérienne certains de ces chefs de groupes armés. 

Nouvelle stratégie

Officiellement, ces réunions avaient pour but de sensibiliser les participants au Programme de désarmement, démobilisation, relèvement communautaire et stabilisation (PDDRCS). « De facto, [l’une de ces réunions] s’est concentrée sur l’élaboration d’une stratégie opérationnelle conjointe FARDC-wazalendos pour lutter contre le M23 et les RDF », notent toutefois les auteurs du rapport, qui précisent que « des zones d’opération » ont été définies. Elles sont au nombre de cinq, chacune étant pilotée par un leader de groupe armé – dont des personnalités sous sanctions internationales, comme Guidon Shimiray Mwisa, chef du NDC-Rénové.  

Une semaine après cette réunion, les VDP ont lancé une offensive contre les positions du M23. Des opérations « coordonnées par le bureau du gouverneur militaire du Nord-Kivu », assurent les experts onusiens, qui précisent que l’armée congolaise « a fourni des armes, de la logistique et de l’argent aux dirigeants et aux combattants des VDP ». Selon eux, l’utilisation des Volontaires comme proxy était « soutenue par les plus hauts responsables de l’armée afin de garantir une victoire militaire avant l’élection présidentielle ». « Au moment de la rédaction du rapport, toutes les parties au conflit avaient violé l’accord de cessez-le-feu, qui est entré en vigueur en mars 2023 », constate le panel.

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Interrogé sur la coopération entre les FARDC et les VDP, Cirimwami a affirmé aux experts onusiens que l’implication des wazalendos ou VDP « n’était pas une initiative du gouvernement mais avait été déclenchée par les provocations du M23 ».

Le rapport donne en outre quelques indices sur la stratégie militaire du M23, dont la finalité demeure inconnue. Selon les experts de l’ONU, avant le lancement de l’offensive des wazalendos en octobre, les rebelles avaient l’ambition de s’emparer de l’aéroport de Kavumu (Sud-Kivu) et des villes de Goma et de Bukavu.  

Le M23 avait au préalable organisé un « cours de remise à niveau » militaire de trois mois, début mai, à Tshanzu, dans le Nord-Kivu. À cette occasion, ses hommes ont également été formés au combat en zone urbaine. Une équipe spécialisée dans les techniques d’infiltration avait même été mise en place, dirigée par le « major » Mirindi et le « colonel » Zaïrois Ngabo, mais tous deux ont été tués au combat à Kilolirwe, courant octobre. Malgré ces pertes, le M23 est parvenu à renforcer ses positions dans le Nord-Kivu.  

Coopération RDC-Burundi : des zones d’ombre

L’autre nouvelle donnée explorée par le panel onusien est la coopération militaire entre la RDC et le Burundi. Depuis plusieurs mois, le M23 accuse les Forces nationales de défense du Burundi (FNDB), qui déploient des contingents pour le compte de la force régionale de la Communauté de l’Afrique de l’Est (EAC), de prendre part aux combats aux côtés de l’armée congolaise. L’armée burundaise a contesté à plusieurs reprises ces accusations, tout en soulignant qu’elle se tenait prête à prendre « des mesures nécessaires en cas d’agression ».  

Reste que le rôle de Gitega demeure trouble, notamment depuis la signature, en août dernier, d’un accord visant à renforcer la coopération militaire entre la RDC et le Burundi. Cet accord prévoit notamment que les parties « s’engagent à poursuivre et à intensifier leurs opérations militaires conjointes pour combattre toute forme d’agression sur le territoire de l’une ou l’autre partie ». « En cas de menace directe ou d’agression armée contre l’une des parties, celles-ci s’engagent à fournir une assistance à l’autre partie. »

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Très dures à l’égard de la force de l’EAC, qu’elles ont accusé d’inefficacité et poussé vers la sortie, les autorités congolaises ont jusque-là épargné leurs critiques au Burundi. Plusieurs officiels congolais ont aussi confirmé que, malgré le départ de la force, des contingents burundais allaient demeurer sur le terrain. 

Selon le rapport du groupe d’experts de l’ONU, 1 070 soldats des FNDB portant des uniformes des FARDC ont été « secrètement déployés » depuis le début d’octobre 2023 le long de la route qui relie Sake et Kitchanga, et ce, « en dehors du cadre de la Force régionale de la Communauté de l’Afrique de l’Est ».

Arrivés progressivement à partir du 21 septembre dernier dans un Iliouchine de l’armée congolaise, certains de ces contingents ont pris part – aux côtés des FARDC et des wazalendos – à des combats contre le M23. Entre le 21 et le 24 septembre, cet avion de l’armée congolaise a effectué cinq vols entre le Burundi et la ville de Goma, alors que l’EACRF confirme de son côté que les troupes burundaises qui la composent ont été acheminées par l’armée kényane à partir de début mars et qu’aucun autre contingent burundais n’a rejoint la force régionale après le 16 mars. 

L’état-major et le gouvernement burundais ont nié auprès du panel onusien tout déploiement de FNDB en dehors du cadre de la force régionale. Le ministre congolais de la Défense, Jean-Pierre Bemba, ainsi que le gouverneur militaire Peter Cirimwami ont, quant à eux, assuré ne pas être au courant d’une coopération bilatérale avec l’armée burundaise dans le « Petit Nord ». Pourtant, selon les éléments des experts, le général Cirimwami « a ordonné et commandé le déploiement des FNDB sur instruction de sa hiérarchie militaire ». 

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