RDC : Félix Tshisekedi ou la solitude du pouvoir
23 mars 2022 à 09:48Par Romain GrasMis à jour le 23 mars 2022 à 09:48

Le chef de l’État s’est défait de certaines des personnalités les plus influentes de son entourage, à commencer par celles qui jouaient les intermédiaires entre lui et son prédécesseur, Joseph Kabila. Désormais seul aux commandes, Tshisekedi saura-t-il convaincre les Congolais en 2023 ?
La fête aura tourné court. Le 5 février, à Addis-Abeba, Félix Tshisekedi achève son mandat à la tête de l’Union africaine (UA). Une fois le flambeau transmis à Macky Sall, son homologue sénégalais, il doit se rendre au dîner offert par le Premier ministre éthiopien, Abiy Ahmed. Mais, ce jour-là, le chef de l’État congolais n’a pas la tête aux mondanités.
Depuis le début de l’après-midi, les téléphones de ses proches ne cessent de sonner. François Beya, son conseiller spécial en matière de sécurité, a été arrêté à son domicile par des agents des services de renseignement. L’intouchable « Fantômas », ex-patron de la Direction générale de migration (qui servait de principal intermédiaire entre le président et son prédécesseur, Joseph Kabila), est officieusement soupçonné d’atteinte à la sûreté de l’État. Mais nul, à part Félix Tshisekedi, ne semble connaître la véritable raison de cette interpellation inattendue.
Évasif et distant
Dans les salons de l’UA, le président se montre évasif et distant. À peine glisse-t-il aux émissaires de certains de ses pairs inquiets qu’il les tiendra informés. Denise Nyakeru Tshisekedi, qui se trouve au même moment en Europe, peine elle aussi à obtenir des réponses de la part des conseillers de son époux.À LIRERDC : le récit de la disgrâce de François Beya, le « monsieur sécurité » de Félix Tshisekedi
Même Jean-Hervé Mbelu, le patron de l’Agence nationale de renseignements (ANR), dont les services ont pourtant conduit l’opération, semble ne pas connaître tous les tenants et aboutissants de l’affaire. Et, alors que Félix Tshisekedi devait quitter la capitale éthiopienne le 6 février, après la cérémonie de clôture du sommet, l’appareil présidentiel, immatriculé DRC 001, décolle de l’aéroport Bole à la hâte, la veille à 23h39, pour se poser au milieu de la nuit à Kinshasa.
AVANT BEYA, D’AUTRES CACIQUES DU RÉGIME ONT FAIT L’OBJET D’UNE BRUTALE DISGRÂCE
Près de deux mois plus tard, l’affaire piétine. Suspecté par certains d’avoir trop souvent défendu les intérêts de Joseph Kabila – voire d’avoir comploté avec certains de ses proches en vue de déstabiliser son successeur –, accusé par d’autres de protéger des hommes d’affaires sous sanctions ou encore d’avoir failli à sa mission, François Beya n’a pas recouvré sa liberté de mouvement.
Comment expliquer que ce « sécurocrate » chevronné, à qui Félix Tshisekedi avait confié tant de prérogatives depuis le début de son mandat, soit du jour au lendemain tombé en disgrâce ? N’avait-il pas eu son mot à dire sur des nominations clés comme sur des dossiers politico-judiciaires sensibles ? « Il ne faut pas confondre ce que le président a fait à une époque par nécessité et ce qu’il fait aujourd’hui par stratégie », affirme l’un de ses proches.À LIRERDC : pourquoi l’affaire Beya est dans l’impasse
Au-delà d’un dossier dont le fond apparaît chaque jour plus nébuleux, cet épisode confirme le désir d’émancipation de Félix Tshisekedi et de son cercle proche. François Beya était en effet l’un des derniers piliers du début du quinquennat, avec lequel le président continuait de composer. L’une des ultimes courroies de transmission qui le reliaient à son prédécesseur, malgré les tensions que sa présence suscitait au sein d’un cabinet où plusieurs conseillers lui étaient hostiles.
« Opposant farouche »
Avant lui, d’autres caciques du régime ont fait les frais d’une brutale disgrâce. Condamné en appel à treize ans de prison pour détournement de fonds et corruption, Vital Kamerhe, premier allié de Tshisekedi au moment de sa course à la présidence, était un directeur de cabinet omniprésent, décrié par plusieurs proches du chef de l’État.
Architecte de l’ombre de l’Union sacrée, personnage aussi utile qu’encombrant, Jean-Marc Kabund a payé, lui, ses ambitions supposées en même temps que ses relations délétères avec une partie de la famille du président. À certains de ses interlocuteurs, qui continuent d’échanger avec lui par téléphone, l’ancien patron de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS) se présente désormais comme un « opposant farouche » au chef de l’État. « Avec la mise à l’écart de François Beya, laquelle succède à celle de Kabila, de Kamerhe et de Kabund, le président s’est affranchi de ceux qui l’ont fait roi », résume un diplomate en poste à Kinshasa.
KATUMBI HÉSITE, LE FCC PEINE À SE RECONSTRUIRE, ET FAYULU CONTESTE EN DEHORS DES INSTITUTIONS
Ces derniers mois, Tshisekedi a mis la touche finale à ce grand ménage. Exit Inzun Kakiak, ancien adjoint du redouté Kalev Mutond, dont la loyauté a toujours fait débat dans l’entourage du président : Jean-Hervé Mbelu a pris les rênes de l’ANR. L’insubmersible Albert Yuma, patron de la Gécamines et réputé proche de Kabila, a lui aussi laissé son fauteuil à l’un de ses principaux détracteurs au sein de l’entreprise minière : Alphonse Kaputo Kalubi.
Ces changements, destinés à casser l’image de président sous tutelle que Tshisekedi a longtemps incarnée après son élection contestée, ont permis au chef de l’État d’endosser les habits du (seul) décisionnaire.
Précipitation
En lice pour un second mandat, accusé d’avoir imposé des proches au sein de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) et de la Cour constitutionnelle, organes clés de l’organisation des scrutins de 2023, Tshisekedi a pour avantage d’être confronté à une opposition éparpillée : Moïse Katumbi tergiverse, le Front commun pour le Congo (FCC de Kabila) se reconstruit péniblement et Martin Fayulu conteste en dehors des institutions. Il n’en devra pas moins assumer son bilan, et le défendre.À LIRERDC : ni allié ni opposant, Moïse Katumbi a du mal à choisir son camp
Car Tshisekedi a parfois péché par précipitation, voire par impréparation. Le programme des cent jours, première mesure phare posée dans le domaine des infrastructures, s’est soldé, un an après son annonce, par un retentissant procès pour détournement de fonds. Le décret sur l’état de siège, dont plusieurs rapports ont critiqué le manque de planification, ou encore l’opération conjointe menée avec l’Ouganda dans l’Est ont eu des résultats mitigés. « Nous avons récupéré un pays à genoux, le président ne peut pas se voir reprocher d’avoir multiplié les initiatives, plaide un membre de son entourage. Il donne l’impulsion, mais il faut que la machine suive. »
Bons et mauvais points
Alors, à qui la faute ? Dans son traditionnel discours sur l’état de la nation, prononcé devant le Parlement le 13 décembre dernier, Félix Tshisekedi a donné quelques éléments de réponse. S’il a salué les succès diplomatiques obtenus durant son mandat à la tête de l’UA, la reprise de la coopération avec le FMI et le travail de l’Inspection générale des finances (IGF, qui dépend du Palais) dans la lutte contre la corruption, il n’a pas manqué de tancer ses ministres et les institutions responsables, selon lui, du retard pris par les réformes.
« Le gouvernement a pris un train de mesures en faveur de la population, mais celles-ci restent insuffisantes. Je [lui] demande donc d’accélérer la mise en œuvre de projets à impacts rapides et visibles », a-t-il lancé, soulignant le « manque de coordination » qui entrave certains projets.
LE REMANIEMENT PARAÎT MOINS IMMINENT QU’ON NE L’A CRU
Que fallait-il attendre de cet exercice de distribution des bons et des mauvais points ? L’allocution présidentielle a surtout révélé la précarité de l’équipe de Sama Lukonde Kyenge, Premier ministre depuis avril 2021. L’idée d’un remaniement est d’ailleurs revenue avec insistance au cours des semaines qui ont suivi le discours du chef de l’État. Mais, aujourd’hui, ce chamboulement paraît moins imminent qu’on ne l’a cru. Selon l’un des proches du président, il ne serait même plus à l’ordre du jour, « du moins pas pour les six prochains mois ».
« Cabinet de confrontation »
En revanche, les équipes de la présidence – « le vrai centre d’impulsion du pouvoir », insiste un diplomate – ne sont pas à l’abri. À plusieurs reprises, le gouvernement s’est heurté au cabinet, notamment dans la gestion de certains dossiers. En août dernier, c’est ainsi à Guylain Nyembo, le directeur dudit cabinet, que l’animation d’une commission chargée d’évaluer les retombées du projet de Tenke Fungurume Mining (TFM) a été confiée, sans que l’exécutif y ait été associé.
AU SEIN DU CABINET PRÉSIDENTIEL, PLÉTHORIQUE, IL Y A UNE COMPÉTITION SUR CHAQUE DOSSIER
« Le cabinet tel qu’il existe aujourd’hui a été conçu comme une structure capable de s’opposer au gouvernement pro-Kabila de Sylvestre Ilunga Ilunkamba, explique une source au Palais. Le problème, c’est qu’il est resté dans cette logique, même après la rupture entre Tshisekedi et Kabila et le changement de majorité. Et puis, il est pléthorique [plus d’une centaines de conseillers au début du mandat et ce chiffre ne cesse de gonfler], et il y a une compétition sur chaque dossier. »
Voici plusieurs mois qu’une réflexion est engagée pour « rationaliser » le fonctionnement du cabinet présidentiel. Selon l’une de nos sources, son remaniement aurait dû être annoncé le 15 mars, mais il a été retardé par les affaires Kabund et Beya, ainsi que par les soins médicaux que Félix Tshisekedi a reçus en Belgique en mars.
Loyauté
Difficile, pour l’heure, de savoir quels seront les contours de la future équipe et de deviner qui fera les frais d’un tel bouleversement. « L’important, pour le président, sera de disposer de personnalités qui lui doivent leur poste et dont il est assuré de la loyauté », explique un membre du cabinet.
La tâche s’annonce ardue. Au sein de cette présidence obèse se côtoient en effet différents cercles d’influence : les fidèles de la première heure, les camarades d’exil, des technocrates, des pasteurs et des proches de la famille. Même la première dame y a ses relais.
Félix Tshisekedi a beau avoir les pleins pouvoirs, il aborde la dernière ligne droite de son mandat avec précaution, sans doute conscient que les échéances électorales vont progressivement envahir les débats et qu’à cette occasion les ambitions se dévoileront.