POLITIQUE
RDC-Rwanda : les détails de la future visite du secrétaire d’État américain Antony Blinken
Selon les informations de Jeune Afrique, l’envoyé de Joe Biden doit se rendre en RDC et au Rwanda. Voici ce qu’il faut savoir sur ce déplacement hautement
27 juillet 2022 à 18:47
Par Julian Pecquet et Romain Gras
Mis à jour le 27 juillet 2022 à 22:44

Trois ans et demi après l’arrivée au pouvoir de Félix Tshisekedi, et alors que ce dernier a considérablement resserré les liens entre la RDC et les États-Unis, le secrétaire d’État américain Antony Blinken doit se rendre pour la première fois à Kinshasa. Selon plusieurs sources, américaines et congolaises, le patron de la diplomatie américaine est attendu dans la première quinzaine du mois d’août. Si cette visite reste dépendante du « contexte international », précise-t-on à Washington, en référence à la guerre en Ukraine, les dates des 9 et 10 août ont été évoquées. Ce déplacement devrait s’effectuer dans le cadre d’une tournée qui doit également mener Blinken au Rwanda. Contactées, les autorités rwandaises n’ont pas répondu à nos sollicitations.
Diplomates et lobbyistes à la manœuvre
En discussion depuis plusieurs semaines, la préparation de la visite en RDC s’est accélérée il y a deux mois, à l’occasion de celle aux États-Unis du ministre congolais des Affaires étrangères, Christophe Lutundula. Ce dernier s’était entretenu avec son homologue américain le 1er juin. À la manœuvre côté congolais pour l’organisation de ce voyage figure aussi le mandataire spécial du président, Serge Tshibangu, qui occupe aujourd’hui une place centrale dans le dispositif diplomatique de Félix Tshisekedi.À LIRERDC : Mike Hammer et les États-Unis, des partenaires très particuliers
Si le programme exact de ce voyage est encore l’objet de derniers ajustements, celui-ci s’inscrit dans un contexte sécuritaire et sous-régional tendu. La crise liée à la résurgence du M23 sera au menu des discussions. Kinshasa accuse en effet depuis plusieurs mois le Rwanda de soutenir les rebelles qui combattent l’armée congolaise dans l’est du Congo. Pour appuyer son plaidoyer, la RDC a multiplié les efforts auprès de Washington, via ses diplomates et les lobbyistes qu’elle a engagés outre-Atlantique, pour obtenir une condamnation de ce soutien présumé du Rwanda. Cette question avait déjà été mise sur la table à l’occasion de la dernière visite aux États-Unis de Christophe Lutundula. Quelques jours plus tard, le 14 juin, l’ambassade américaine en RDC s’était dite « extrêmement préoccupée » par la « présence signalée » de troupes rwandaises sur le territoire congolais.
Depuis, le Congrès américain a également durci le ton vis-à-vis de Kigali. Le 20 juillet, le président de la commission des Affaires étrangères du Sénat, le démocrate Robert Menendez a écrit à Antony Blinken pour lui faire part de ses préoccupations « concernant le mépris permanent du gouvernement rwandais pour les droits démocratiques et les droits de l’homme, et la nécessité d’une politique américaine plus efficace ». L’institution s’est montrée de plus en plus critique à l’égard du Rwanda à la suite de l’arrestation, en 2020, de Paul Rusesabagina, résident permanent américain du Texas. En mai, le département d’État américain a officiellement estimé que l’opposant, condamné pour terrorisme, était « injustement détenu » à Kigali. Cette décision signifie que l’envoyé spécial du président américain pour les affaires d’otages, Roger Carstens, suit désormais cette affaire.
Perte de vitesse américaine
Prenant acte des accusations selon lesquelles le Rwanda s’en prendrait aux dissidents à l’étranger, ainsi que des allégations de soutien aux rebelles congolais, Robert Menendez a annoncé qu’il mettrait en suspens toute assistance sécuritaire à Kigali, à commencer par un soutien de plusieurs millions de dollars aux forces de maintien de la paix rwandaises. Les États-Unis sont le plus grand donateur bilatéral du pays, avec 145 millions de dollars (142,6 millions d’euros) d’aide proposée pour l’année fiscale 2023.
« Les États-Unis ne peuvent pas soutenir les contributions rwandaises au maintien de la paix dans certaines parties de l’Afrique tout en regardant ailleurs, alors que le Rwanda fomente la rébellion et la violence dans d’autres parties du continent », a écrit Menendez dans sa lettre à Antony Blinken. « J’ai hâte de travailler avec vous pour que la politique américaine reflète les valeurs des États-Unis et de l’administration Biden. » Plusieurs sources américaines estiment que son déplacement intervient par ailleurs dans un contexte de « vide diplomatique » dans la région, Washington craignant que la crise dans l’est du Congo ne devienne incontrôlable. Le Kenya et l’Angola jouent les médiateurs entre la RDC et le Rwanda, mais les deux pays seront accaparés, en août, par la tenue de leurs élections présidentielles respectives.À LIRERDC : force régionale, M23… Les coulisses du huis clos tendu de Nairobi
Les États-Unis sont également en perte de vitesse sur le terrain. Le département d’État est sans envoyé spécial pour la région des Grands Lacs depuis l’administration de Donald Trump et la fin du mandat de J. Peter Pham, tandis que le dernier ambassadeur américain au Rwanda a quitté son poste fin janvier. Le dernier ambassadeur américain en RDC, Mike Hammer, est devenu en juin l’envoyé spécial des États-Unis pour la Corne de l’Afrique. Sa remplaçante, Lucy Tamlyn, actuellement chargée d’affaires intérimaire au Soudan, attend encore que sa nomination soit confirmée par le Sénat.
Minerais stratégiques
La question sécuritaire ne sera pas le seul dossier au programme du déplacement d’Antony Blinken. En RDC, le diplomate américain, parfait francophone, viendra également parler du secteur minier et du projet Mineral Security Partnership. Annoncée en juin par le sous-secrétaire à la Croissance économique, à l’Énergie et à l’Environnement, Jose W. Fernandez, cette initiative vise, selon le département d’État américain, « à canaliser les investissements des gouvernements et du secteur privé dans des opportunités stratégiques qui respectent les normes environnementales, sociales et de gouvernance les plus élevées ». Plusieurs pays se sont associés à ce projet, dont l’Australie, le Canada, la Finlande, la France, l’Allemagne, le Japon, la Corée du Sud, la Suède et le Royaume-Uni.
Si le domaine minier congolais reste largement dominé par la Chine, les États-Unis ont, depuis l’arrivée au pouvoir de Félix Tshisekedi, poussé pour obtenir une redistribution des cartes dans le secteur. En mai 2021, le président congolais avait notamment appelé à revisiter les contrats signés sous l’ère de son prédécesseur, Joseph Kabila et appuyé l’idée d’un grand état des lieux du secteur minier. Cette initiative, soutenue par Washington, a notamment abouti à un rapport au vitriol de l’Inspection générale des finances sur la gestion de la Gécamines ces dix dernières années.À LIRERDC : les zones d’ombre de l’accord avec Dan Gertler
En parallèle, les administrations de Joe Biden et de Félix Tshisekedi ont été en proie à des tensions en début d’année dans le secteur minier. En cause, la signature, en février dernier, d’un accord entre le gouvernement congolais et le milliardaire israélien Dan Gertler, accusé de corruption par Washington, et donc sous sanction du Trésor américain depuis 2017.
Ce deal, qui contient encore plusieurs zones d’ombres, prévoit la restitution par le magnat de divers actifs miniers et pétroliers en échange, notamment, de l’abandon d’une procédure d’arbitrage et d’un engagement – sans garantie de succès – de Kinshasa à plaider pour la levée des sanctions dont Gertler fait l’objet. Les autorités américaines se sont montrées réticentes à la finalisation de l’accord, dont elles ont régulièrement demandé une copie aux autorités congolaises.