RDC : face au M23, des jeunes «volontaires» au soutien de l’armée régulière
Près d’un mois après l’appel du président congolais à la «mobilisation» face à l’avancée des rebelles du Mouvement du 23 mars, près de 20 000 volontaires auraient été recrutés. Des initiatives diplomatiques tentent d’enrayer l’engrenage de violence.
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par Paul Lorgerie, correspondant à Kinshasa (RDC)
publié le 30 novembre 2022 à 10h00
La veste en tweed de Joël Habamungu dénote avec les treillis qui l’entourent. Lui aussi espère en porter un bientôt, une arme à la main, pour défendre sa patrie. Agé de 25 ans, l’idée de s’engager auprès des forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) lui trottait depuis quelque temps dans la tête. Il n’attendait qu’un signe. Peut-être était-ce celui du président de la République, Félix Tshisekedi qui, le 3 novembre, appelait les «jeunes qui en ont la vocation à s’enrôler massivement dans nos forces armées» pour se défendre de «l’envahisseur».
Assis devant les portes du commandement de la 34e région militaire du Nord-Kivu, Joël, Olivier, Stanislas, Emmanuel et 200 autres jeunes attendent que leur nom soit appelé. «Je n’avais jamais vu cela, confie le colonel Faustin Ndakala, en charge du recrutement dans la province. A l’heure actuelle, j’en ai sélectionné 3822.» Selon l’état-major, le 21 novembre, près de 20 000 recrutés à travers le pays étaient dispersés dans les cinq centres d’instruction réquisitionnés pour l’occasion. Face à l’urgence de la situation, à un an d’une élection présidentielle fixée au 20 décembre 2023, le président de la République a décidé de consacrer plus de 10% du budget 2023 à la défense.
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En juin, le groupe politico-armé du Mouvement du 23 mars (M23), fondé en 2012 sur les cendres d’une rébellion tutsie déçue par le non-respect d’un accord de démobilisation signé au printemps 2009, a pris la localité de Bunagana, poste-frontière entre le Rwanda et la RDC. Depuis, ses éléments grignotent des parcelles de territoire congolais au nom de la protection de sa communauté. Un scénario connu. Il y a dix ans jour pour jour, ils prenaient la ville de Goma, chef-lieu de la province, avant d’être défaits par l’armée congolaise appuyée par les casques bleus.
Joël a entendu parler de ces histoires depuis sa ville d’origine, Minova, qui se jette dans le lac Kivu face au Rwanda voisin, accusé par Kinshasa d’avoir participé à la résurgence du M23. Ce que nie le président rwandais, Paul Kagame, qui affirme que le Congo abrite d’anciens génocidaires hutus regroupés au sein des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR). M23, FDLR, Codeco… Qu’importe le nom, «l’hôpital dans lequel je fais le ménage reçoit régulièrement des personnes s’étant fait tirer dessus par les groupes armés», explique le jeune homme.
Enrôlement de rebelles
Des initiatives diplomatiques sont pourtant bien en cours pour calmer les esprits. A Luanda, par exemple, où le président angolais, Joao Lourenço, a négocié le 23 novembre un cessez-le-feu entre le Rwanda et le Congo. Le M23, qui n’était pas convié – le gouvernement congolais refusant de négocier tant que les rebelles ne se sont pas retirés des zones occupées –, a communiqué qu’il acceptait la trêve «telle que recommandée par les chefs d’Etat» sans que les armes se taisent pour autant. A Nairobi aussi, où le M23 n’a également pas été invité, s’est ouvert lundi un troisième cycle de pourparlers entre le gouvernement et les représentants de différents groupes rebelles.
Si le M23 représente l’une des plus grosses épines dans le pied du gouvernement congolais, une centaine de groupes rebelles, qui se battent ou fraternisent au gré des alliances, arpente chaque jour les collines de cette région meurtrie depuis trois décennies. «Et je doute que l’armée congolaise dispose d’une base de données avec le nom de chacun de leurs éléments», tance un bon connaisseur de la zone. Pour Jean-Claude Buuma, les premiers Congolais de l’est à répondre à l’appel du président sont des combattants. «Après tout, ils sont officiellement des citoyens», assure ce chercheur au sein du Cercle national de réflexion sur la jeunesse. S’il n’a pas de preuve formelle de l’enrôlement de rebelles, il est persuadé que les temps de formation, raccourcis par les autorités, prouvent que les recrues savent déjà manier une arme.
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Une certaine réputation colle à la peau de l’armée congolaise depuis le début des années 2000. Afin d’acheter la paix lors de la deuxième guerre qu’a connue le pays entre 1998 et 2003, certains groupes rebelles ont été fondus dans les rangs de la conventionnelle. Des opérations ainsi qualifiées de «brassage». Une pratique en principe abandonnée au début des années 2010, bien qu’un rapport de l’ONG Human Rights Watch révèle que des «unités de l’armée nationale congolaise ont soutenu des groupes armés impliqués dans de graves exactions lors du récent conflit avec les forces rebelles du M23». Si l’accusation a, à demi-mot, été réfutée par le gouvernement congolais, Jean-Claude Buuma affirme que cette collaboration «a été la porte ouverte à l’intégration des groupes armés».
«On ne sait plus qui est qui»
«Il se peut tout à fait qu’une centaine de rebelles soit passée entre les mailles du filet», admet le général Sylvain Ekenge, porte-parole de l’état-major. Comment limiter cette infiltration ? L’enrôlement des jeunes se fait en réalité par le biais d’une lettre de recommandation. «Les chefs communautaires nous donnent des listes», explique le colonel Faustin Ndakala, «et on leur fait confiance, on leur demande de veiller à ce qu’aucun de ces noms ne soit en lien avec un groupe rebelle», renchérit le général Ekenge.
Devant le portail d’un hôtel de Goma, un militaire aviné retient en otage les cartes d’identité de deux hommes aux faux airs de fermier. «C’est normal, il ne fait que son travail», relativise l’un d’eux, Michel (1), chef communautaire de la province. Bottes aux pieds et de la terre encore visible sous les ongles, il était sur la ligne de front aux côtés des FARDC il n’y a pas une heure.
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Lui aussi a envoyé 200 jeunes de sa communauté au commandement de la 34e région militaire. «Surtout ceux qui ont fait des études, pour qu’ils puissent accéder à des postes à responsabilité et donc nous représenter au sein de l’armée», explique l’homme d’une trentaine d’années. Les autres, près de 300, l’ont suivi dans les rangs des «groupes de vigilance», des formations citoyennes informelles censées rapporter tout comportement suspect aux autorités. «Des fonds spéciaux de recherche sont prévus pour les informateurs», confirme le porte-parole de l’armée.
Chaque jour, Michel, Bertrand et une centaine de leurs amis se munissent d’un talkie-walkie et s’infiltrent dans les herbes hautes proches des zones de combats afin de révéler les positions ennemies. Le mois passé, six d’entre eux sont morts sur la ligne de front. «Mais il n’a jamais été question que nous entrions dans un groupe armé, se défend le chef communautaire. Vous savez, reconnaît le militaire, par les temps qui courent, on ne sait plus qui est qui.»