La Russie et l’Ukraine s’invitent aussi sur la scène africaine
A l’heure où chaque camp compte ses armes et les voix sur lesquelles il peut compter à l’ONU, l’Afrique, bien malgré elle, est confrontée à la guerre en Ukraine. Non pas à cause du réchauffement climatique, de la hausse du prix des denrées alimentaires ou de la difficulté d’accès aux fertilisants, mais à cause des votes décomptés à l’Assemblée générale de l’ONU et des craintes occidentales de voir un « nouveau front » s’ouvrir au sud de l’Equateur. Article réservé aux abonnés


Journaliste au service MondePar Colette BraeckmanPublié le 24/02/2023 à 15:57 Temps de lecture: 5 min
C’est le 2 mars 2022, lors du vote à l’Assemblée générale de l’ONU condamnant l’agression russe en Ukraine et exigeant le retrait immédiat des troupes de Poutine, que le décompte des voix a provoqué la surprise : il a révélé que, sur un total de 35 abstentions, 17 étaient africaines et que huit Etats du continent avaient évité de prendre part au scrutin, seule l’Erythrée ayant voté en faveur de Moscou. Depuis lors, l’Union africaine a soigneusement évité de donner la moindre consigne à ses 54 Etats membres, pas plus qu’elle n’a ouvert le débat sur une éventuelle position commune. Jeudi, le résultat du vote sur une nouvelle résolution donnait quasiment le même résultat.
Est-ce à dire que le continent africain ne se sent pas concerné, qu’il choisit la neutralité ou prend garde à ne pas indisposer les puissants protagonistes du conflit ? Certainement pas, même si l’abstention de l’Afrique relativise la portée « mondiale » de cette guerre menée sur le sol européen. En réalité, depuis un an, l’Afrique découvre que si elle est plus courtisée que jamais, les guerres qui la dévastent émeuvent beaucoup moins la planète que le conflit russo-ukrainien. A plusieurs reprises, le secrétaire d’Etat américain Anthony Blinken s’est rendu en Afrique et le ministre russe des Affaires étrangères Lavrov vient de boucler sa deuxième tournée dans les capitales africaines. Mais à chaque fois, les visiteurs entretiennent leurs hôtes du conflit qu’ils mènent plus qu’ils ne s’intéressent aux défis du continent et aux guerres qui le déchirent.
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Echec de la France au Sahel
Par la bande cependant, c’est un « grand jeu » qui se déroule. Alors que Moscou avance ses pions, prenant à revers les anciennes puissances coloniales, l’Union européenne finit elle aussi par se sentir concernée par le rejet de la France dans ses anciennes colonies et par les rumeurs qui font état d’une avancée russe non seulement dans les pays du Sahel mais aussi en Afrique centrale.
Au Mali, où l’opération Barkhane s’est soldée par le retrait des forces françaises, l’échec militaire est cuisant, autant que le rejet de la France par les nouveaux maîtres du Burkina Faso tandis qu’en Centrafrique, le président Touadéra, qui a eu recours aux mercenaires du groupe paramilitaire Wagner, fait figure de précurseur. Malgré les efforts du président Macron qui rencontre la jeunesse et restitue des œuvres d’art, entre autres au Bénin, il est évident qu’une page se tourne et que l’ère post-coloniale semble se terminer.
C’est pourquoi l’Afrique centrale revient au centre du jeu, non seulement parce que ses ressources naturelles sont convoitées, autant par les Etats-Unis que par l’Europe ou la Chine, mais aussi parce qu’elle n’a pas encore choisi son camp et peut même modifier sa position : c’est ainsi que la ministre belge des Affaires étrangères Hadja Lahbib a chaudement félicité le président angolais João Lourenço d’avoir condamné l’intervention russe et cela alors que l’Afrique du Sud, se souvenant de l’appui soviétique à la lutte contre le système d’apartheid, refuse toujours de blâmer Moscou.
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Modification des frontières au Kivu, comme en Ukraine
Ses conséquences humanitaires ayant été longtemps sous-estimées, autant que ses répercussions régionales, la guerre au Nord-Kivu suscite désormais plus de réactions : Josep Borrell, Haut Représentant de l’Union européenne pour les Affaires étrangères, a demandé clairement au Rwanda de cesser de soutenir le M23 et d’« user de toute son influence » sur les rebelles, ce qui représente un délicat euphémisme eu égard aux nombreux rapports et témoignages qui font état de la présence de l’armée rwandaise sur le terrain, toujours démentie par Kigali.
Malgré cette lente évolution de la position européenne, encouragée par la Belgique, Kinshasa dénonce toujours une politique de « deux poids deux mesures » et avance qu’au Kivu comme en Ukraine on assiste à une tentative de modification des frontières par la force.
La réaction européenne s’explique sans doute par les rapports de plus en plus précis d’organisations telles qu’Amnesty ou Human Rights Watch qui décrivent l’exode de 520.000 déplacés, les massacres commis par les rebelles du M23 à Kishishe (131 morts selon la Monusco, 300 selon les autorités congolaises), et, en réaction, la montée de haine ethnique visant les Tutsis congolais accusés de complicité avec le M23 et la prolifération de « groupes d’autodéfense » à base communautaire.
Dans ce contexte de passions exacerbées, la présence russe fait l’objet de nombreuses spéculations : au Sud-Kivu, des sources nous assurent que 80 mercenaires russes seraient arrivés sur le terrain, ayant transité par le Burundi tandis que la photo de l’un des deux Sukhoï-25 de l’armée congolaise, touché par un missile tiré depuis le Rwanda alors qu’il était en phase d’atterrissage à Goma, a été amplement diffusée.
A Kinshasa, le ministre de l’Information Patrick Muyaya a catégoriquement démenti la présence de mercenaires du groupe Wagner : « si des “Blancs” ont été aperçus au Nord-Kivu, il ne s’agit que d’instructeurs. » Le porte-parole du gouvernement a cependant reconnu que son pays « était soumis à de fortes pressions pour qu’il accepte de recourir aux Russes », mais avait toujours refusé. Le président Tshisekedi est probablement peu désireux de trahir ses liens avec l’Europe et les Etats-Unis et, plus sûrement encore, il est conscient des risques qu’entraînerait un éventuel basculement.
En cette année électorale, il doit cependant tenir compte de la pression d’une opinion publique exacerbée qui, amèrement, ne cesse de comparer la mobilisation pour l’Ukraine avec la – relative – indifférence à l’égard du Nord-Kivu et dénonce les risques d’éclatement du pays.