ANALYSE DU CET CONCERNANT LA GUERRE COMMERCIALE SINO-AMÉRICAINE EN RDC
La survie de l’État RDC exige de ses cadres des efforts pour privilégier une vue d’ensemble, plutôt que de se noyer dans les détails, dans l’élaboration des stratégies. En effet, c’est la vue d’ensemble qui nous permet de mieux identifier les opportunités et les risques dans l’environnement international, afin d’élaborer des plans stratégiques ; et ce, tout en minimisant les risques. Opportunités et risques doivent être considérés sur la base des faits, et non pas des sentiments. Une stratégie rationnelle pour le pays est celle qui maximise les opportunités et minimise les risques.
Dans ce problème qui défraie la chronique sur le contrat chinois, il est donc important que nous considérions d’abord la vue d’ensemble. Celle-ci montre que les États-Unis (qui, d’après un communiqué du Département d’État, ont financé les enquêtes du GIF) sont engagés dans une guerre commerciale à outrance contre la Chine, et que les choix des autorités congolaises pour des mesures contre les intérêts chinois créent de très grands risques pour la nation.
Les analyses du CET concluent que l’alignement de la RDC dans une guerre sino-américaine comporte bien plus de risques que d’opportunités. Ces risques découlent de : (1) l’aggravation du régime d’exploitation néocoloniale ; (2) l’instauration d’un système monopolistique en faveur des États-Unis ; et (3) Complot du blocage de la production du Cobalt congolais, comme celui déjà connu au temps de Mobutu.
PROPOS LIMINAIRE
À titre liminaire, nous voudrions rappeler l’origine du désamour de l’occident envers le contrat chinois. Dans son article paru en 2010 dans « Les Temps Modernes » [« Autopsie d’une controverse internationale- le partenariat sino-congolais sous le feu des critiques »], Thierry Vircoulon , un ancien consultant de l’ International Crisis Group pour l’Afrique centrale, avait écrit ce qui suit ::
« Même si l’aide chinoise n’atteindra certainement pas les 20 milliards de dollars initialement envisagés, elle est incomparable et ridiculise purement et simplement les autres donateurs […].
Les puissances occidentales ont eu le sentiment d’avoir été trahies et dupées par Joseph Kabila. Ayant le sentiment d’avoir contribué militairement, financièrement et politiquement au succès de la transition politique [en RDC]. »
En 2007, après la conclusion du contrat, le ministre belge des Affaires étrangères s’était rendu en Chine pour tenter de le faire annuler, mais sans résultat du côté chinois. La FMI et la Banque Mondiale furent pression sur le gouvernement congolais. L’opposition congolaise de l’époque et la société civile [comme d’habitude], furent manipulées pour dénoncer le contrat.
Sur la liste de l’opposition, on retrouve les noms de Jean Pierre Bemba, d’Étienne Tshisekedi [le père du président actuel] et de Nkunda Batware. C’est la déclaration de ce dernier qui révéla le pot aux roses. A ce propos Vircoulon écrivait :
« Le seigneur de guerre Laurent Nkunda appela à la remise en cause du contrat chinois, peu après son offensive victorieuse d’octobre 2008 contre l’armée gouvernementale au Nord-Kivu. La prise de position inattendue d’un seigneur de guerre sur un sujet économique accrut les suspicions de manipulation internationale et replaça ce dossier dans le cadre du bras de fer global sino-américain. »
La partie congolaise céda finalement aux pressions en 2009. Le volet « infrastructure » fut réduit de 50% [de 6 milliards à 3 milliards] après le passage des représentants de FMI et de la Banque mondiale a Kinshasa ; et ce malgré la résistance de la partie chinoise.
« La déclaration conjointe du FMI et de la Banque mondiale, et la renégociation qu’elle a impliquée, démontrent la puissance des institutions financières internationales et leur impact sur la souveraineté des États. Les termes définitifs de l’accord reformulé reflètent parfaitement les suggestions qui ont été faites dans la déclaration commune : supprimer la garantie de l’État dans les investissements miniers, annuler la deuxième phase des projets d’infrastructure et augmenter le degré de concessionnalité des prêts pour la première phase des projets d’infrastructure. » (cf. Marysse, S. and Geenen, S. (2011) « Triangular arm wrestling : analysis and revision of the Sino-Congolese agreements »)
Toutefois, jusqu’ici seulement une portion du reste du capital qui devrait être alloué fut libérée par la partie chinois, en entendant que les Congolais viennent avec des projets bien rédigés supportés par des études de faisabilité. Aujourd’hui les Chinois sont critiqués pour n’avoir pas construit les infrastructures pour lesquelles il n’y avait aucune étude de faisabilité et dont le FMI et la Banque mondiale avaient fait couper le budget. Tout le monde s’intéresse à l’argent chinois ; et ce à commencer par le President Felix Tshisekedi qui a même désigné son fils pour représenter les intérêts congolais auprès de la Sicomines. Selon le fameux Alengete, les Chinois doivent ajouter 17 milliards de dollars compte tenu de la richesse du gisement à exploiter [comme si le pays vendait le gisement !], sinon l’Etat va intervenir. Quelle honte !
NEOCOLONIALISME ECONOMIQUE
Nous encourageons l’augmentation du volume des échanges commerciaux entre la RDC et tous les pays du monde, notamment les États-Unis ; car l’ouverture des Etats au commerce international est un facteur pouvant contribuer à la croissance économique par la création d’emplois de meilleure qualité, la réduction de la pauvreté et l’ouverture de nouvelles perspectives économiques pour le pays. Toutefois, la plupart des auteurs du commerce international rappellent aussi que l’ouverture n’est pas forcément synonyme de croissance avec développement. Certaines ouvertures peuvent déboucher à une exploitation de type néocoloniale qui entraine un blocage de développement.
Ci-dessous le tableau des valeurs de nos importations

Le Tableau ci-dessus montre que les valeurs totales de nos importations pour la période cis-mentionnée sont respectivement ($5,4 milliards) des Etats-Unis et ($6,3 milliards) de la Chine. En examinant les structures des importations on constate que la grande partie de nos importations américaines est constituée de billet de banque et documents [unused stamps]. En revanche les importations en provenance de la Chine sont constituées des produits d’équipement.
Dans le tableau ci-dessous examinons nos exportations vers ces deux pays.

On constate que les Etats-Unis ne constituent pas la principale destination de nos produits. Ci-dessous un tableau illustrant les balances commerciales.

D’une part, nous avons dans nos échanges commerciaux avec les Etats-Unis une balance commerciale toujours déficitaire évaluée à plus de cinq milliards de dollars pour une période de trois ans, mais d’autre part dans nos échanges commerciaux avec la Chine dégagent une balance excédentaire de plus de quinze milliards de dollars !
Il s’agit ici donc dans le commerce international d’un cas de dépendance néocoloniale de la RDC vis-à-vis des Etats-Unis. Dans cette forme de dépendance, l’Etat suzerain siphonne tous les excédents du commerce de l’Etat client pour servir ses propres intérêts. Ce processus de pillage avait déjà été dénoncé par les leaders tiers-mondistes depuis plusieurs décennies.
Cette dépendance néocoloniale dans les échanges commerciaux à des conséquences sur le développement politique des Etats clients. En effet, pour maintenir cette relation de dépendance, l’Etat suzerain impose à la tête de l’Etat-client des élites corrompues, des illettrés [voire des analphabètes] et des institutions faibles. Des organisations de la soi-disant « société civile » sont financées par les pays du centre traditionnel pour entretenir l’instabilité.
Ainsi, toute l’histoire de l’exploitation du Congo par la Belgique se résumait par l’utilisation par la Belgique de la structure asymétrique d’import-export pour bénéficier du commerce extérieur du Congo et affecter ses ressources pour financer l’importation de produits belges par le Congo. Comme nous l’avons déjà dit, cette forme d’exploitation a continué après l’indépendance politique du Congo ; et ce jusqu’aujourd’hui. En plus des Etats-Unis, la Belgique et la France continuent à bénéficier de notre balance commerciale pour cinq cent millions de dollars par an.
Certes, il n’est pas facile de sortir de cette situation, mais cela ne doit pas être considéré comme une fatalité. Par des négociations sincères avec les États-Unis ainsi que la Belgique et la France, l’interdépendance asymétrique peut se transformer en une relation gagnant-gagnant équilibrée. Il est donc important d’avoir une vision d’ensemble sur les échanges commerciaux pour savoir pourquoi le département d’Etat finance le report de GIF contre la Chine.
Certes, Il n’est pas possible ni souhaitable, en fait, que la balance commerciale de la RDC avec tous les autres Etats soit équilibrée à tout prix. Mais quand elle est toujours déficitaire pendant des décennies, il y a un problème qui doit être résolu. En tout cas il faut essayer de réduire le déficit si nécessaire.
Il faut négocier avec les Américains une stratégie pour la production en RDC des biens qui seront exportés vers les USA. Et ceci nécessite de nouveaux investissements.
Le CET fera des propositions à la partie américaine car l’exploitation du type néocolonial ne peut pas continuer indéfiniment en RDC.
INSTAURATION D’UN SYSTEME MONOPOLISTIQUE EN FAVEUR DES ETATS-UNIS
« Nous ne demandons pas au gouvernement congolais de choisir entre les États-Unis et la Chine, mais nous pensons, si je puis dire, que nous avons un meilleur produit [et réclamons] un accès au marché sur une base concurrentielle ».
Toutefois, les propos sur la page de la RDC du site de l’Administration du commerce international du Département du commerce des États-Unis, ne semble pas corroborer la déclaration ci-dessus. En effet, sur cette page il est plutôt question du “virage de la RDC vers les États-Unis et loin de la Chine ». Ce que recherche l’administration américaine est donc l’instauration d’un système monopolistique.
Par ailleurs sur la même page de l’Administration du commerce international il est écrit que ce « virage » vers les Etats-Unis se serait traduit pour la RDC par « l’augmentation du financement du développement international et des opportunités de contrats ». On a peut-être exprimé là des intensions qui attendent leurs matérialisations. Pourtant pour concurrencer les Chinois, les américains devraient investir pour la production.
Nous constatons malheureusement, que depuis plus d’une décennie, les capitaux américains ne sont plus assez investis en RDC. Vous trouverez ci-dessous un graphique des investissements américains par rapport aux investissements chinois en RDC au cours de la période 2019-2021.

En termes d’agrégats pour les années 2019, 2020 et 2021, les investissements américains se sont élevés à 242 millions de dollars sur un total de 4321 millions d’investissement direct étrangers (IDE) ou 5,6% alors que les investissements chinois durant la même période atteignent 2741 millions ou 63,4%.
Qui plus est, pour stimuler l’investissement direct étrangers en provenance des États-Unis , il faut impérativement soigner la note risque-pays évaluée notamment par les agences de notation financière (Standard & Poor’s, Moody’s, Fitch Ratings). La probabilité d’une intervention de l’État ou de l’imposition de restrictions de conversion ou de transfert par le gouvernement ainsi que la violence politique [tous les actes violents ou hostiles destinés à remplacer ou à renverser le gouvernement d’un pays ou à modifier ses politiques] font partie des risques politiques qui repoussent les investissements prives.
Or les démêlés judiciaires entre TMK (Tenke Fungurume, vendu par les Américains aux Chinois en 2016) et la Gécamines, la suspension des exportations et les menaces d’expropriation de Sicomines auront un impact négatif sur la note risque-pays. Le spectre des dépossessions des capitaux étrangers par Mobutu est encore là.
La stratégie du régime de Tshisekédi consistant à harceler les intérêts chinois au nom d’un nationalisme tronqué conduira le pays à un blocage économique pire que celui connu a la suite de zaïrianisation de Mobutu. La RDC ne doit pas être sacrifiée comme l’Ukraine pour plaire aux va-t-en-guerre dans la guerre commerciale sino-américaine. Il est irrationnel qu’un pays qui veut attirer des investisseurs rompe des contrats et menace d’expropriation de capitaux étrangers ; et ce quelle que soit leur nationalité.
C’est compte tenu de ce qui est décrit ci-dessus que le CET dénonce fermement les déclarations non éclairées et irresponsables de l’IGF dans l’affaire Sicomines
PROJET DE REMPLACEMENT DU COBALT CONGOLAIS
Il est vrai que la RDC est dotée de gisements de minerai très demandés dans le domaine des technologies de l’information et de la Télécommunication [notamment le cobalt, germanium et 3T] et qui représentent une richesse potentielle importante. Mais pour exploiter les gisements et transformer les matières premières en richesse réelle, la RDC a besoin d’investissements sous forme de capital financier. Si le cout du capital à investir devient exorbitant à cause du risque-pays, les investisseurs miniers se tourneront aux gisements moins riches des autres pays.

Nous serons à la même situation que celle du Zaïre de Mobutu dans les années 1990, quand les pays occidentaux s’étaient tournés vers le Botwana pour remplacer le Zaire dans la chaine de production du cobalt et de diamant. Pour le moment, les États-Unis ne sont pas intéressés par le cobalt congolais ; ils veulent faire cesser leur dépendance à la Russie et à la Chine sur ce produit stratégique. Pour ce faire ils vont faire interrompre la production du cobalt par les chinois en RDC. Les américains et les belges ont déjà montée des usines de recyclage de Cobal qui vont éliminer le besoin d’une dépendance de cobalt en provenance de la Chine, de la Russie et de la RDC.
Par ailleurs, les autorités congolaises ne sont pas informées des intentions réelles des Américains concernant le cobalt.
En effet, le Financial Times, citant une prévision de Goldman Sachs, avait rapporté en novembre 2021 que les États-Unis et l’Europe pourraient réduire leur dépendance à l’égard de la Chine pour les batteries de véhicules électriques d’ici 2030 grâce à plus de 160 milliards de dollars de nouveaux investissements [pas au Congo !]. Il semble que l’Occident tente de récupérer le terrain en érigeant des obstacles dans la ligne d’approvisionnement de la Chine en provenance d’Afrique.
Ci-dessous, un extrait de la présentation du président de l’Umicore (ancienne Union minière du Haut Katanga) au Sénat américain en 2020. Il parle de recyclage du cobalt pour ne pas importer le cobalt de la RDC via la Chine et la Russie :
« Les déchets industriels de notre pays, les batteries lithium-ion en fin de vie des voitures et pour le stockage d’énergie, l’électronique et les appareils électroniques pourraient fournir des ressources précieuses presque illimitées qui pourraient être recyclées et réinjectées dans l’économie.
Le recyclage des matériaux critiques présents dans ces produits évitera d’avoir à acheter des matériaux extraits dans des régions peu fiables du monde et fournira un flux de ressources locales pour ces matériaux. Par exemple, la Chine et la Russie fournissent près de 70 % des réserves mondiales de raffinage et de production de germanium, tandis que les États-Unis en sont l’un des plus gros consommateurs. Le recyclage du germanium effectué par Umicore à Quapaw, en Oklahoma, contribue à compenser le manque de ressources naturelles pour les applications critiques utilisant le germanium comme les réseaux de fibre optique 5G et les satellites en orbite terrestre basse. En fait, Umicore recycle le germanium pour le ministère américain de la Défense. En outre, plus de 50% de l’approvisionnement mondial primaire en cobalt provient de la République démocratique du Congo (RDC). Les petites mines artisanales locales ont des antécédents de préoccupations en matière de santé et de sécurité humaines et environnementales. […] Cependant, si davantage de batteries lithium-ion, comportant du cobalt, étaient recyclées, la chaîne d’approvisionnement pourrait s’appuyer davantage sur le cobalt durable provenant de sources recyclées plutôt que sur les sources primaires de la RDC. »
La stratégie américaine est donc d’interrompre l’exploitation du cobalt congolais par les Chinois, cobalt qui sera remplacé principalement dans les marchés occidentaux par le cobalt recyclé par Umicore-USA.
Les décisions antagoniques des autorités de Kinshasa contre les intérêts chinois risquent donc de bloquer le développement du pays, car ce ne sont pas les Occidentaux qui vont investir en RDC pour remplacer les capitaux chinois après le départ de ces derniers. Notre Cobalt risque moisir sous le sol.
Conclusion :
Dans cette question du rapport entre opportunités et risques, la voie à privilégier semble claire par rapport aux écueils à éviter, ainsi que nous l’avons montré. Si l’on n’en est pas encore convaincu, l’on se remémorera l’adage suivant : « Un oiseau dans la main vaut mieux que deux sur le buisson. »
Pierre Sula,DBA IT Architect
Coordonnateur du CET