Modification des frontières au Kivu, comme en Ukraine
Ses conséquences humanitaires ayant été longtemps sous-estimées, autant que ses répercussions régionales, la guerre au Nord-Kivu suscite désormais plus de réactions : Josep Borrell, Haut Représentant de l’Union européenne pour les Affaires étrangères, a demandé clairement au Rwanda de cesser de soutenir le M23 et d’« user de toute son influence » sur les rebelles, ce qui représente un délicat euphémisme eu égard aux nombreux rapports et témoignages qui font état de la présence de l’armée rwandaise sur le terrain, toujours démentie par Kigali.
Malgré cette lente évolution de la position européenne, encouragée par la Belgique, Kinshasa dénonce toujours une politique de « deux poids deux mesures » et avance qu’au Kivu comme en Ukraine on assiste à une tentative de modification des frontières par la force.
La réaction européenne s’explique sans doute par les rapports de plus en plus précis d’organisations telles qu’Amnesty ou Human Rights Watch qui décrivent l’exode de 520.000 déplacés, les massacres commis par les rebelles du M23 à Kishishe (131 morts selon la Monusco, 300 selon les autorités congolaises), et, en réaction, la montée de haine ethnique visant les Tutsis congolais accusés de complicité avec le M23 et la prolifération de « groupes d’autodéfense » à base communautaire.
Dans ce contexte de passions exacerbées, la présence russe fait l’objet de nombreuses spéculations : au Sud-Kivu, des sources nous assurent que 80 mercenaires russes seraient arrivés sur le terrain, ayant transité par le Burundi tandis que la photo de l’un des deux Sukhoï-25 de l’armée congolaise, touché par un missile tiré depuis le Rwanda alors qu’il était en phase d’atterrissage à Goma, a été amplement diffusée.
A Kinshasa, le ministre de l’Information Patrick Muyaya a catégoriquement démenti la présence de mercenaires du groupe Wagner : « si des “Blancs” ont été aperçus au Nord-Kivu, il ne s’agit que d’instructeurs. » Le porte-parole du gouvernement a cependant reconnu que son pays « était soumis à de fortes pressions pour qu’il accepte de recourir aux Russes », mais avait toujours refusé. Le président Tshisekedi est probablement peu désireux de trahir ses liens avec l’Europe et les Etats-Unis et, plus sûrement encore, il est conscient des risques qu’entraînerait un éventuel basculement.
En cette année électorale, il doit cependant tenir compte de la pression d’une opinion publique exacerbée qui, amèrement, ne cesse de comparer la mobilisation pour l’Ukraine avec la – relative – indifférence à l’égard du Nord-Kivu et dénonce les risques d’éclatement du pays.