Les rebelles du M23 qui cernent Goma bénéficient aussi de la «Congo fatigue»

Des problèmes d’approvisionnement commencent à se faire sentir à Goma. Le Docteur Mukwege, prix Nobel de la paix, souligne le manque de volonté politique internationale, le manque d’intérêt des médias et le manque d’aide. Article réservé aux abonnés

Chaque jour davantage, l’étau du Mouvement rebelle 23 se resserre autour de Goma et des problèmes d’approvisionnement commencent à se faire sentir. La population fuit.
Chaque jour davantage, l’étau du Mouvement rebelle 23 se resserre autour de Goma et des problèmes d’approvisionnement commencent à se faire sentir. La population fuit. – Reuters.
Colette Braeckman

Journaliste au service MondePar Colette BraeckmanPublié le 27/02/2023 à 20:06 Temps de lecture: 5 min

Sake, Mushaki, Rubaya et son site minier d’où est extrait le coltan du Nord Kivu : chaque jour davantage, l’étau du Mouvement rebelle 23 se resserre autour de Goma et des problèmes d’approvisionnement commencent à se faire sentir. En outre, pour des raisons de sécurité, les vols humanitaires de l’ONU (UNHASS) ont été suspendus, un appareil ayant été visé par des tirs non identifiés.

Si la capitale du Nord Kivu n’est pas encore tombée aux mains des rebelles, c’est sans doute parce que ces derniers, contrôlant désormais l’essentiel des régions minières de la province, laissent le temps faire son œuvre… Chaque jour en effet le nombre de déplacés augmente, les propos se radicalisent et permettent à Kigali de dénoncer les « discours de haine » visant les Tutsis congolais ainsi que les Hema de l’Ituri. Ces pasteurs du « grand nord » sont régulièrement attaqués par une milice ethnique, le CODECO, alliée à des groupes hutus et à des islamistes d’origine ougandaise.

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Alors que s’impose l’évidence d’un soutien venu de Kigali, les admonestations américaines, françaises et européennes adressées au président Kagame se succèdent mais elles ne produisent aucun effet et n’engendrent aucune sanction, au point de donner l’impression d’un double langage. De Bujumbura à Genève en passant par Brazzaville, l’Angola, l’Afrique du Sud sans oublier les Comores, le président Tshisekedi, à bord de l’avion personnel qu’il vient d’acquérir, multiplie cependant les voyages. Il tente de sensibiliser le monde à la situation dramatique de son pays et, à Genève, devant le Conseil des Droits de l’homme, il a même souligné combien cet état de guerre risquait d’hypothéquer les prochaines élections prévues pour fin décembre.

Des « zones tampon » qui inquiètent

Force est de constater que ses déboires se multiplient : son départ étant prévu pour l‘an prochain, la Monusco, présente en RDC depuis deux décennies, a déjà renoncé à intervenir activement, la force de l’EAC (Union est africaine) qui a été invitée par les autorités congolaises elles-mêmes pour aider à repousser les rebelles se comporte de manière étrangement passive. En effet, si les militaires kényans se sont installés dans des zones d’où le M23 a reculé, ils n’ont pas pour autant cédé la place à l’autorité congolaise, créant de fait des « zones tampon » qui renforcent la méfiance des populations.

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Que se passe-t-il ? L’opinion congolaise, souvent encline à dénoncer le complot international, critique aussi l’inefficacité, voire la naïveté et l’inexpérience des dirigeants actuels, tandis que les discours rwandais reviennent sur deux thèmes récurrents : d’une part, les menaces que représenteraient les « Hutus génocidaires » qu’hier encore Kagame sa vantait d’avoir neutralisés et de l’autre ; le tracé des frontières séparant le Rwanda et le Congo. Un tracé opéré au début du siècle dernier lorsque la Société des Nations confia la tutelle du Rwanda à la Belgique.

L’échec de l’état de siège

Deux chercheurs, spécialistes des Grands Lacs, Thierry Vircoulon et Marc-André Lagrange, se sont interrogés pour l’IFRI (Institut français des relations internationales) sur l’impasse que représente la pacification de l’Est du Congo. Ils l’attribuent à l’échec de l’état de siège qui a cédé le pouvoir aux militaires, au déficit de crédibilité du président Tshisekedi arrivé au pouvoir dans des conditions contestées et ils qualifient d’« usine à gaz » les programmes de démobilisation des combattants dont le coordinateur, Tommy Tambwe, est lui-même issu d’un groupe rebelle pro rwandais…

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Dans une longue réflexion sur les causes des échecs successifs, le Docteur Mukwege, prix Nobel de la paix, va plus loin : il rappelle que le Conseil norvégien pour les réfugiés place la situation de la RDC « à la première place du palmarès de la négligence internationale » et il souligne à la fois le manque de volonté politique internationale, le manque d’intérêt des médias et le manque d’aide. C’est ce que Vircoulon résume par le terme « Congo fatigue », soit la lassitude silencieuse mais profonde des acteurs internationaux ! Lors de sa visite à Kinshasa, la ministre belge des affaires étrangères a, elle aussi, exhorté le président Tshisekedi -« il faut que le Congo se ressaisisse »- tandis que l’Union européenne, définissant une nouvelle stratégie pour les Grands Lacs, a privilégié l’aspect économique, le Green Deal, mais renoncé à nommer un envoyé spécial qui suivrait de près la situation.

Complicité ou fatigue ?

Oserions nous rappeler que ce sont les accords de paix conclus en 2002 sous la pression internationale qui ont institutionnalisé l’intégration dans l’armée nationale d’ex-rebelles à la nationalité incertaine et assurés de l’impunité, permis que l’on ferme les yeux sur la prédation des ressources opérée par les voisins, rendu possible ce que Vircoulon appelle « l’apparition d’une kleptocratie qui a transformé l’insécurité en rente économique ».

Certes, le Congo n’est pas l’Ukraine, mais devant l’agression, la crise humanitaire, la ponction de matières premières d’une importance stratégique et les risques d’éclatement de cet immense pays, l’indifférence sinon l’impuissance dont fait preuve le partenaire européen finissent par ressembler davantage à de la complicité qu’à de la fatigue.

By Habari

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