Un homme d’affaires belge soupçonné de vouloir participer à un coup d’Etat au Congo

Un homme d’affaires de Lasne, fournisseur d’armes et longtemps collaborateur des services de renseignement belges, est détenu depuis septembre pour ses relations avec le général congolais John Numbi. Ce dernier est régulièrement soupçonné de vouloir fomenter un coup d’Etat. Article réservé aux abonnés

Depuis des années Lakhanisky entretenait des contacts avec le général congolais John Numbi (ci-dessus), inspecteur général de la police sous la présidence de Joseph Kabila.
Depuis des années Lakhanisky entretenait des contacts avec le général congolais John Numbi (ci-dessus), inspecteur général de la police sous la présidence de Joseph Kabila. – D.R.
Colette Braeckman

Journaliste au service MondePar Colette BraeckmanPublié le 12/03/2023 à 17:16 Temps de lecture: 6 min

Depuis six mois, Thierry Lakhanisky, domicilié à Lasne et spécialiste de la vente de gros hélicoptères de transport, est en détention préventive à la prison de Saint-Gilles. Il a été arrêté pour son implication supposée dans le commerce d’armes de guerre et l’acheminement de matériel militaire vers des pays d’Afrique et du Moyen-Orient placés sous embargo. Mais avant tout, ce sont les relations entre la Belgique et le Congo qui forment le cœur du dossier : depuis des années, Lakhanisky entretenait des contacts avec le général congolais John Numbi, inspecteur général de la police sous la présidence de Joseph Kabila. Le mandat d’arrêt de Lakhanisky fait état de ces liens et il évoque aussi, au conditionnel, « un projet lié à un potentiel coup d’Etat organisé par ledit général, proche du camp Kabila, au Katanga. »

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L’avocat du prévenu, Me Emmanuel De Wagter, a fait savoir « qu’il ne s’agissait pas d’armer des rebelles mais bien de sécuriser un référendum d’initiative populaire au sujet de l’indépendance du Katanga ».

Nul n’a jamais entendu parler de ce projet de référendum, même si l’on sait que les velléités indépendantistes demeurent latentes au Katanga. En revanche, deux sujets sont au centre de cette affaire, initialement révélée par nos confrères de la RTBF : la personnalité du général Numbi et les liens que son homme de confiance Thierry Lakhanisky entretenait depuis un quart de siècle avec les services de renseignement belges, civils puis militaires.

D’origine katangaise, réputé proche du président Kabila, John Numbi est un personnage connu en RDC : visé par un mandat d’arrêt délivré après l’accession au pouvoir de Félix Tshisekedi, il est aujourd’hui réfugié en Zambie ou au Zimbabwe. Cet ancien policier devenu inspecteur général des forces armées est connu comme un tenant de l’irrédentisme katangais, membre du parti UFERI (Union des fédéralistes et des républicains indépendants) : au début des années 90, il organisa l’expulsion de 300.000 Kasaïens vivant au Katanga. Il a également été mis en cause dans l’« affaire Chebeya », ce militant des droits de l’homme assassiné en 2010. Plus récemment, le général Numbi fut soupçonné de soutenir des milices katangaises, les Bakata Katanga, et d’appuyer une éventuelle sécession de la province.

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Quant à Thierry Lakhanisky, il était depuis longtemps en relation avec le général Numbi, devenu un général quatre étoiles. Il était demeuré fidèle au président Joseph Kabila, même après 2019 lorsque ce dernier quitta le pouvoir à la suite d’un accord avec Félix Tshisekedi, accord qui fut renié par la suite.

Les contacts privilégiés que Thierry Lakhanisky entretenait au Congo et dans des pays comme la Libye expliquent pourquoi l’homme d’affaires, qui était également un proche du « clan Reynders », fut longtemps un « honorable correspondant » des services de renseignement belges : après avoir d’abord collaboré avec la Sûreté de l’Etat, il fut introduit par cette dernière auprès du SGRS (service de renseignement militaire).

La société du prévenu, Skytech, menait des opérations humanitaires dans des situations d’urgence et transportait du matériel militaire lourd vers des pays du Moyen-Orient et d’Afrique. Les informations fournies par Lakhanisky permettaient au SGRS de rester à jour sur des sujets sensibles, en particulier la RDC, un pays où la Belgique, soucieuse de « garder son rang » sur le plan international, demeure utile aux partenaires occidentaux en quête d’informations.

On sait par ailleurs que l’homme d’affaires fut, d’une manière ou d’une autre, « rémunéré » pour sa collaboration avec les services belges. Une « rémunération » qui n’était pas nécessairement matérielle, mais pouvait aussi se traduire en termes de contacts et de protection.

La disgrâce de Lakhanisky remonte au début de la guerre en Ukraine, car les fournitures militaires – potentielles – de l’intéressé, parmi lesquelles des hélicoptères MI26, (capables de transporter jusqu’à 120 passagers armés), auraient pu provenir de Russie. Un pays désormais considéré comme hostile dans le contexte international actuel, mais où, vu ses activités, l’homme d’affaires avait gardé de nombreux contacts.

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C’est en février 2022 que Lakhanisky perdit sa licence de commerce international qui comprenait des autorisations d’exportation et sa société Skytech, déjà en difficulté, fit faillite.

Ces déboires n’empêchèrent pas l’homme d’affaires de poursuivre ses contacts avec les renseignements militaires belges. Ces derniers lui confièrent en avril 2022 une clé USB sécurisée qu’il était censé remettre au général Numbi. Cette clé contenait une carte militaire du Katanga, un document d’état-major très précis, réalisé à l’échelle 1 : 25.000 et indiquant sans doute des sites miniers et militaires.

Même si les services de renseignement militaires répètent qu’ils ne s’impliquent jamais dans de quelconques activités visant à la déstabilisation d’un Etat et qu’aucun membre du SGRS n’a été inquiété, les contacts entretenus avec l’homme d’affaires proche de Numbi ont suscité des questions. En RDC en effet, et en particulier au Katanga, le général Numbi demeure une sorte de « statue du Commandeur » : bien qu’il soit poursuivi par la justice et à l’abri dans un autre pays, il est toujours soupçonné de velléités de déstabilisation du régime Tshisekedi. Dans la province du cuivre en effet, le président et son entourage sont accusés de tirer profit des ressources sans rétrocéder suffisamment de bénéfices à une province devenue un Eldorado minier, au prix d’une dégradation rapide de l’environnement.

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C’est le 13 septembre 2022 que Lakhanisky fut arrêté alors qu’il tentait de réhabiliter sa société, la justice le soupçonnant d’avoir tenté d’acheminer du matériel militaire dans des pays sous embargo et surtout de préparer un éventuel coup d’Etat au Katanga.

Selon nos confrères de la RTBF, le PV initial, qui évoquait le fait que Lakhanisky était rémunéré d’une manière ou d’une autre, fut modifié ultérieurement à l’insu de tous car de telles informations étant classifiées, seules les personnes habilitées peuvent y avoir accès.

Une plainte du prévenu pour faux et usage de faux concernant ce procès-verbal modifié en catimini est instruite par un juge d’instruction bruxellois.

Cette affaire a suscité bien des remous dans les milieux belges du renseignement : le 13 septembre, des officiers de police judiciaire ont mené une quinzaine de perquisitions non seulement chez Lakhanisky et son entourage mais aussi dans les bureaux du service général de renseignement et de la sécurité, avec l’appui du service d’enquête Comité R. Onze dossiers classés « secret » et comportant des milliers de documents relatifs à l’homme d’affaires furent alors emportés.

Tout se passe comme si les services de renseignement militaires souhaiteraient faire oublier que, durant des années, ils eurent recours à une source aujourd’hui considérée comme dangereuse, entretenant des liens non seulement avec la Russie mais surtout avec un opposant toujours redouté en RDC.

Au vu de ces informations très sensibles, certaines voix vont jusqu’à se demander « à quel jeu et au profit de qui opèrent les renseignements militaires »…

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By Habari

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