ÉCONOMIE
Pétrole en RDC : cinq questions pour comprendre le casse-tête autour des appels d’offres
Si le président Félix Tshisekedi souhaite que les hydrocarbures jouent le rôle de locomotive économique pour « sortir du tout minier », ses ambitions se heurtent, pour l’instant, à la réticence des majors. Décryptage.
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14 mars 2023 à 10:19
Par Maher Hajbi et Stanis Bujakera Tshiamala
Mis à jour le 14 mars 2023 à 10:19

LE DÉCRYPTAGE DE JA – Avec des terres qui recèleraient près de 22 milliards de barils de pétrole et 66 milliards de mètres cubes de gaz naturel, selon Didier Budimbu, le ministre des Hydrocarbures, les autorités congolaises rêvent de faire de la RDC « l’un des géants des hydrocarbures en Afrique ».
Selon les estimations gouvernementales, la future exploitation de ces ressources – qui ne sont pas encore prouvées par des découvertes majeures – pourrait générer plus de 30 milliards de dollars par an.À LIRERDC : treize candidats pour les blocs gaziers du lac Kivu
Au lancement des appels d’offres pour 30 blocs – 3 gaziers et 27 pétroliers – au lieu de 16 prévus initialement, le ton est rapidement donné. Kinshasa veut accélérer l’exploration et la production du pétrole et du gaz contenus dans ses sols pour diversifier son économie. Toutefois, le processus, contesté par les ONG environnementales, ne semble pas aiguiser l’appétit des majors. Jeune Afrique fait le point sur les enjeux de cette opération qui s’avère plus complexe que prévu.
1 – Pourquoi le processus d’appel d’offres n’est pas un franc succès ?
Annoncés en juillet 2022, les appels d’offres pour les trois blocs gaziers ont été clôturés en octobre dernier, tandis que ceux relatifs aux blocs pétroliers, censés s’achever fin janvier, ont été prolongés. Des treize sociétés ou consortium à avoir déposé des offres pour les trois blocs de gaz méthane dans le lac Kivu, Kinshasa a retenu trois sociétés. Deux américaines, Symbion Power & Red (bloc Makelele) et Winds Exploration and Production LLC (bloc Idjwi), et une canadienne, Alfajiri Energy Corporation (bloc Lwandjofu).À LIREEve Bazaïba Masudi : « La RDC a du pétrole sous les pieds, pourquoi ne pas l’exploiter ? »
Alors que Didier Budimbu se dit confiant quant à l’aboutissement du processus d’appels d’offres, Francis Perrin, directeur de recherche à l’Institut des relations internationales et stratégiques (Iris, à Paris), voit mal les entreprises intéressées par les blocs gaziers être en capacité d’explorer le sous-sol congolais. « Les acteurs qui ont soumissionné pour les blocs gaziers présentent peu de références sur le marché. Et, quand de parfaits inconnus arrivent dans un appel d’offres, ce n’est jamais bon signe pour la suite », explique à JA le spécialiste de l’industrie pétrolière – également chercheur associé au Policy Center for the New South de Rabat.
2 – Quels sont les freins à sa réussite ?
Neuf des trente blocs, situés dans des zones forestières, sont au cœur de la contestation des organisations de protection de l’environnement. Greenpeace, Rainforest Foundation, Extinction Rebellion et Réseau pour la Conservation et la réhabilitation des écosystèmes forestiers (Cref) veulent freiner les ambitions des autorités pour éviter « un désastre pour le climat, la biodiversité et les populations locales ».
De son côté, Francis Perrin pointe du doigt une autre digue : la communication gouvernementale. « Avancer des données peu crédibles (22 milliards de barils de pétrole et 66 milliards de mètres cubes de gaz naturel, ndlr) peut calmer les ardeurs des pétroliers en raison du peu d’explorations qu’il y a eu en RDC », estime le spécialise de l’industrie extractive, qui s’il était spin doctor auprès ministre congolais des Hydrocarbures lui conseillerait « d’opter pour plus de prudence ».À LIRERDC – Pétrole : « Nous voulons transformer notre potentiel en richesse »
Sollicité par JA, Didier Budimbu – par ailleurs mis en cause dans une note d’Oil Change International pour avoir conclu, à Paris, un accord secret concernant l’octroi de certains blocs avec le magnat nigérian Chukwuma Ayodeji Ojuroye et le cabinet de conseil américain GeoSigmoid – s’en défend : « Tout a été fait dans les règles de l’art ».
3 – Jusqu’à quand la procédure d’appel d’offres peut-elle être repoussée ?
Attendu en janvier, puis repoussé à avril, le verdict du processus des appels d’offres pour les 27 blocs pétroliers devrait finalement être rendu en octobre 2023. « Après que l’octroi des permis gaziers a pris du temps pour se finaliser, j’ai jugé bon de donner plus de temps aux sociétés soumissionnaires pour préparer leurs dossier », explique le ministre des Hydrocarbures.À LIRERDC : Eni, TotalEnergies, Exxon… Les majors prêtes à livrer bataille pour le pétrole congolais
« Mon ministère doit également avoir le temps nécessaire pour exécuter les roadshows en vue de promouvoir nos blocs pétroliers », souligne Didier Budimbu, selon lequel « le processus d’attribution de licences d’hydrocarbures prend d’ordinaire entre 12 et 15 mois à partir de son lancement ».
4 – Pourquoi aucune major ne s’est-elle encore positionnée ?
À en croire Didier Budimbu, « TotalÉnergies, ExxonMobil et Eni », mais aussi « de grandes sociétés du continent asiatique » figuraient parmi les pétroliers à avoir manifesté un intérêt pour l’acquisition des blocs mis aux enchères. Cependant, Eni a confié à JA ne pas souhaiter participer à cette opération qui « ne fait pas partie de ses priorités actuelles », tandis qu’aucune major n’a, pour l’heure, soumis d’offres pour l’acquisition des blocs pétroliers en RDC.
Pour Françis Perrin, le terme « intéressé » est « extrêmement vague », et la participation des représentants des groupes pétroliers aux conférences ou aux rencontres directes avec le ministre n’est pas synonyme d’offre concrète. « Les majors peuvent demander des informations supplémentaires sur les blocs sans pour autant aller jusqu’à proposer une offre pour l’acquisition des licences », estime le spécialiste de l’industrie pétrolière.À LIRERDC – Dan Gertler : ce que contient le contrat entre l’État et le magnat israélien
Et si les géants des hydrocarbures boudent, à ce jour, les appels d’offres lancés par la RDC, les raisons sont multiples, à la fois politiques et stratégiques. Selon Perrin, « l’aspect risque politique n’est pas forcément un atout pour la RDC, où le contexte, un peu troublé, peut contribuer à une plus grande prudence de l’industrie pétrolière ». En tout état de cause, et en l’absence de découvertes majeures en RDC, les compagnies pétrolières peuvent investir ailleurs en Afrique, où des ressources pétrogazières réelles ont été déjà identifiées.
5 – Le secteur minier en RDC est-il parvenu à redorer sa réputation ?
En RDC, l’industrie minière – un secteur qui représente environ 95 % des exportations congolaises – est en proie aux pratiques frauduleuses qui pénalisent les recettes de l’État. Un état de fait auquel les autorités congolaises souhaitent remédier. « Notre gouvernement mène une lutte acharnée contre toutes les formes de corruption », affirme Didier Budimbu, qui appelle les opérateurs économiques et les investisseurs potentiels à « se rendre compte que la RDC est en train de changer en ce qui concerne la bonne gouvernance ».
« L’historique de l’industrie minière ne garantit pas la reproduction du même schéma dans le secteur pétrolier, mais c’est un défi auquel le gouvernement doit faire face en RDC », tempère Francis Perrin. Confiant, Didier Budimbu est, quant à lui, convaincu : « le passé préjudiciable du domaine minier ne devrait pas handicaper l’attrait des investisseurs, y compris les majors du secteur des hydrocarbures ».