POLITIQUE
RDC – Denis Kadima : « J’ai hâte d’en finir avec ces élections »
Chef d’orchestre des scrutins censés se tenir le 20 décembre 2023, le patron de la commission électorale assure qu’ils se tiendront dans les délais, et accuse certains de chercher à discréditer le processus.
15 mars 2023 à 15:33
Par Romain Gras – envoyé spécial à Kinshasa
Mis à jour le 15 mars 2023 à 15:33

Installé dans ses locaux du boulevard du 30 Juin, Denis Kadima prend soin d’afficher une certaine décontraction. « Il y de la pression mais on fait avec », glisse-t-il dans un sourire. Sur son bureau, dossiers en pagaille et feuilles volantes racontent à sa place l’urgence du moment.
Ce 10 mars, jour de notre rencontre, le président de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) sait qu’il ne lui reste en théorie qu’une semaine pour finaliser le processus d’enrôlement. Celui-ci accuse déjà du retard, mais pas de quoi inquiéter cet homme qui, depuis sa prise de fonction mouvementée en octobre 2021, porte sur ses épaules la responsabilité du bon déroulement des opérations en cours.À LIRERDC : à quatorze mois des élections, Denis Kadima peut-il encore éviter un glissement ?
Critiqué par l’opposition, qui l’accuse d’avoir été placé à ce poste par Félix Tshisekedi et le soupçonne d’organiser un scrutin tronqué, le patron de la commission électorale continue de promettre des scrutins dans les délais, malgré les couacs que connaît déjà le processus. Il a répondu aux questions de Jeune Afrique.
Jeune Afrique : La période d’enrôlement devait en principe prendre fin le 17 mars. Sur quel retard tablez-vous désormais ?
Denis Kadima : Quand nous établissons un calendrier, nous nous octroyons toujours une marge, ce qui fait que nous pouvons facilement étendre la période d’enrôlement. Quand nous avons fixé un délai de 30 jours par zone d’enrôlement, nous savions que ce ne serait pas suffisant. Mais c’était une façon de mobiliser les gens.
Si vous dites aux gens qu’ils ont 90 jours, ils ne viendront qu’au dernier moment. Nous venons de prolonger de dix jours la période pour la zone numéro 2 et nous devrons prendre une décision pour la partie Est du pays où, compte tenu du contexte, il nous faudra faire preuve d’une certaine souplesse.
Lors de la visite d’Emmanuel Macron, le président Tshisekedi a laissé entendre que le processus électoral pourrait être reporté si le conflit avec le M23 se poursuivait. Partagez-vous cette analyse ?
La Ceni ne peut pas se déployer là où il y a la guerre. Dans un endroit comme l’Ituri, où il y a des attaques mais où les assaillants se retirent ensuite, nous sommes en mesure d’enrôler les gens. Mais au Nord-Kivu, où des territoires entiers échappent au contrôle de l’État, ce n’est pas faisable.
Pour l’instant, nous enrôlons les gens dans des camps de déplacés et nous comptons sur les médiations en cours. Nous espérons que chacun va prendre conscience que nous devons avancer sur le plan démocratique plutôt que sur le plan de la guerre.
Mais si la situation ne s’améliore pas, faudra-t-il poursuivre le processus sans les territoires partiellement sous contrôle du M23 ?
Pour l’instant, je réfléchis à un compromis. En tenant compte du nombre de sièges obtenus dans ces territoires lors des trois précédents processus électoraux, nous pouvons établir une moyenne et réserver, pour ces territoires en guerre, un certain nombre de sièges sur les 500 que compte l’Assemblée nationale. Ainsi, nous pourrions répartir les autres sièges entre les provinces où il n’y a pas de problème et poursuivre le processus, le temps que la situation s’améliore.À LIREÉlections en RDC : Denis Kadima pourra-t-il remplir sa mission ?
Nous ne pouvons pas tomber dans le piège du report intégral. Si la situation ne s’arrange pas d’ici au 20 décembre, il faudra la réévaluer. Mais ce sera une décision politique, la Ceni ne pourra pas se prononcer seule.
Le précédent cycle électoral a coûté plus d’un milliard de dollars. Sur quel budget total tablez-vous cette fois-ci ?
Le budget sera à peu près le même, parce qu’en tant que pays nous n’avons pas tiré les leçons de nos expériences passées. Tant que l’on continuera à concevoir le processus électoral comme un moyen de placer des gens de son obédience politique, nous allons tourner en rond.
Il faudrait aussi réduire la taille de la Ceni. Ce n’est pas un ministère où les gens viennent et nomment 300 conseillers. Il faut aussi changer les choses sur le plan opérationnel et ne pas attendre la dernière année pour obtenir les fonds nécessaires, parce que c’est ainsi que les coûts explosent.
Vous avez plusieurs fois dit ne pas avoir reçu les fonds prévus dans les délais. Comment l’expliquez-vous ?
On me dit que c’est parce que les moyens financiers sont orientés vers l’effort de guerre. Il faut que l’on se souvienne que les élections sont aussi un front sur lequel il ne faut pas perdre. Si nous ratons le délai constitutionnel, les conséquences seront incalculables.
Pour l’heure, le dernier paiement reçu date de septembre 2022. Nous n’avons toujours pas perçu ce qui doit nous être versé pour les mois d’octobre à mars. Pour vous donner une idée, on parle de 60 millions de dollars (56 millions d’euros) par mois, pour les trois derniers mois de l’année. Nous attendons 474 millions pour l’année 2023.
Diriez-vous que le gouvernement fait obstruction ?
Je ne pense pas qu’il s’agisse d’un problème de volonté politique. Après tout, le gouvernement nous a déjà donné près de 500 millions de dollars. Mais je pense qu’il y a parfois une compréhension limitée de la rigueur nécessaire pour l’organisation d’un tel processus.À LIREEn RDC, un processus d’enrôlement semé d’embûches
Je le constate avec le ministère des Finances. Quand ils voient qu’il y a de l’argent sur notre compte, ils nous disent que nous n’avons pas besoin de plus, alors que nous, nous sommes dans une logique de passation de marché. S’ils avaient quelqu’un en interne qui comprend ce que c’est que d’organiser des élections, cela ferait peut-être la différence.
Le fait qu’aucune chancellerie étrangère ne contribue au financement direct de ces élections ne témoigne-t-il pas d’une forme de défiance ?
Les relations ont été compliquées avec la Ceni et cela prendra du temps avant que l’on nous fasse de nouveau confiance, mais nous nous sommes ouverts.
J’ai rencontré beaucoup de diplomates qui ont promis de faire un geste, mais je n’ai jamais eu de retour de façon formelle. Ces dernières semaines, on a développé un projet de 21 millions de dollars avec le PNUD [Programme des nations unies pour le développement] qui concerne les activités de communication. La Monusco nous a aussi aidés dans le cadre du déploiement du matériel dans l’Est.
Un rapport commandé par le PNUD en 2022 a aussi estimé « qu’un glissement du calendrier électoral de plusieurs mois pour des raisons techniques est un scénario désormais probable »…
Au moment où nous parlons, aucun de ces scénarios n’est en train de se concrétiser. Quand j’ai lu ce rapport, je n’y ai pas cru. Nous ne sommes pas dans la logique du glissement. Personnellement, j’ai hâte d’en finir.
Machines volées, corruption, problèmes de matériel… L’enrôlement connaît de nombreux couacs. Que répondez-vous à ceux qui y voient la preuve que le processus n’est pas sous contrôle ?
Pour moi, il s’agit d’une mise en scène visant à discréditer l’ensemble du processus. Nous avons commandé près de 30 000 machines. Les quelques fois où nous en avons perdues, nous avons immédiatement communiqué sur le sujet.À LIRERDC – Martin Fayulu : « Félix Tshisekedi va devoir partir »
Aujourd’hui, certains nous montrent des images de personnes en train de s’enrôler chez un particulier. Ce que l’on imagine, c’est que des gens profitent de la nuit pour voler des kits, les poser chez quelqu’un en faisant semblant d’enrôler les gens avant de publier les images sur les réseaux sociaux. Tout est exagéré dans le but de saper le processus.
Mais le fait que cela puisse arriver pose tout de même question…
Nous pouvons contrôler le processus, mais nous ne pouvons pas contrôler le comportement de tous les agents et policiers sur le terrain, qui peuvent tenter de discréditer le processus électoral parce qu’ils sont politisés. Mais ils n’y parviendront pas.
Le retard du processus d’enrôlement ne met-il pas en péril les opérations de toilettage du fichier ?
Des irrégularités, il y en aura toujours. Contrairement à d’autres pays, ici, lorsque nous enrôlons quelqu’un, on lui donne immédiatement sa carte d’électeur. Les vérifications ne sont faites que dans un second temps. Donc aujourd’hui, nous travaillons pour détecter ceux qui s’enrôlent plus d’une fois, les votants qui se sont enregistrés alors qu’ils sont mineurs… Ce dédoublonnage est indispensable. L’audit du fichier sera l’étape suivante, nous sommes en contact avec l’OIF [l’Organisation internationale de la francophonie] pour le réaliser.
Certains opposants ont aussi dénoncé le fait que certaines provinces, plus petites et moins densément peuplées que d’autres, disposent d’un nombre plus élevé de kits d’enrôlement. Ils estiment que ce déséquilibre profite à des provinces jugées favorables au pouvoir, comme le Kasaï-Oriental. Que répondez-vous ?
Certains veulent faire peur aux gens parce qu’ils sont déjà dans la logique de la contestation des résultats.
Il existe plusieurs critères pour déterminer les lieux où nous allons placer les centres d’inscription. Le Kasaï-Oriental, par exemple, est une province majoritairement rurale. Ils ont beaucoup de centres d’inscription parce que leurs infrastructures ne nous permettent pas de regrouper les gens.À LIRE[Série] Bienvenue au Kasaï, chez les Tshisekedi
À titre de comparaison, le Haut-Katanga a un nombre similaire de centres alors qu’il est beaucoup plus vaste et plus peuplé. Mais cela s’explique par le fait que c’est, après Kinshasa, la province la plus urbanisée du pays. D’ailleurs, c’est aussi celle qui a le plus grand nombre de centres d’inscription à trois kits, ce qui permet d’augmenter la capacité en question.
Je vous le dis, il n’y a rien à craindre. Tant qu’il y aura des gens dans les files d’attente, nous continuerons de les enregistrer.
L’opposition reste sceptique vis-à-vis du processus. Faut-il ouvrir un dialogue avec elle ?
Nous avons déjà un cadre de concertation. Nous avons en RDC près de 800 partis politiques. Osez n’inviter qu’une partie d’entre eux à une concertation et vous verrez la polémique que cela va générer !À LIRELa présidentielle en RDC se joue-t-elle à Washington ?
J’ajoute que le rôle de la Ceni est fondamentalement technique. Il faut que l’on soit prudent lorsque l’on touche à des aspects politiques. J’ai demandé aux dirigeants de l’opposition de venir me voir s’ils avaient des choses précises à me dire et des propositions à formuler. Ma porte reste ouverte.
Mais ce que certains réclament, c’est le remaniement de la Ceni…
Peut-être, mais ce n’est pas à moi qu’il faut demander cela, c’est une prérogative de l’Assemblée nationale.
Certaines études font part d’un risque d’abstention record. Comment y remédier ?
Je pense que les Congolais s’intéressent beaucoup aux élections et, à titre personnel, j’estime que ce type d’analyse