POLITIQUE
Noël Tshiani, l’homme de la loi sur la « congolité » en RDC
Depuis juillet 2021, cet ancien candidat à la présidentielle de 2018 est l’initiateur d’un projet de loi controversé, qui entend limiter l’accès à la magistrature suprême aux candidats nés de père et de mère congolais.
6 avril 2023 à 08:50
Par Vincent Duhem
Mis à jour le 6 avril 2023 à 08:57

Dans l’Ituri, une foule en colère marche d’un pas vif. Des jeunes courent dans le Katanga. À Mbanza-Ngungu, dans le Kongo-Central, des dizaines de personnes de tous âges scandent des slogans assis sur des chaises en plastique bleu. On se mobilise à Bukavu et à Goma, où l’on défile à moto. Ces scènes, qui se déroulent parfois à des milliers de kilomètres les unes des autres, ont toutes le même objectif : dénoncer la proposition de loi Tshiani.À LIREEn RDC, la loi Tshiani se réinvite dans le débat
Le texte fait polémique depuis bientôt deux ans. Il prévoit de limiter l’accès à certains postes à hautes responsabilités aux seuls Congolais nés de père et de mère congolais. Les fonctions concernées vont de la présidence de la République à celle de l’Assemblée nationale et du Sénat, en passant par une série d’autres positions, comme celles de Premier ministre, de président de la Cour constitutionnelle ou même encore de général de l’armée congolaise.
Au calendrier de l’Assemblée
La proposition avait été une première fois déposée à l’Assemblée en juillet 2021. Un mois plus tard, le bureau d’études de l’hémicycle l’avait rejetée, la jugeant en contradiction avec les articles 10 et 72 de la Constitution, qui consacrent l’exclusivité de la nationalité congolaise et énumère des conditions d’éligibilité à la présidentielle. Son instigateur ne s’est pas pour autant découragé, et a vu sa persévérance récompensée. Déposée une seconde fois en mars dernier, la proposition figure désormais au calendrier de la session ordinaire en cours de l’Assemblée nationale.
« Yes, hello. Je me porte comme un charme », lance d’emblée au téléphone l’homme derrière cette loi, apparaissant profiter de ce quart d’heure de gloire. Né dans l’ex-Kasaï oriental, Noël Tshiani a passé la majeure partie de sa vie à l’étranger. Adolescent, il bénéficie d’une bourse du gouvernement et prend la direction de la Belgique, où il étudie à l’université de Liège. Ses études en gestion financière le mènent ensuite en France, à Grenoble et Paris, puis aux États-Unis – d’abord pour y terminer son troisième cycle, puis pour entamer un MBA à New York.À LIRERDC – Loi Tshiani : ce que dit le rapport des juristes de l’Assemblée nationale
Après une brève expérience parisienne, sa carrière débute dans le Financial District, le quartier des affaires de la ville, situé à la pointe sud de Manhattan. Noël Tshiani travaille successivement pour deux banques commerciales – la Republic National Bank of New York et JP Morgan Chase –, avant d’être recruté par la Banque mondiale en 1992 comme spécialiste des questions financières à la division de l’industrie et de l’énergie pour le Sahel. Il travaillera à la section financière de la région Afrique, notamment comme responsable de l’équipe chargée du projet du développement du marché des capitaux en Afrique de l’Ouest, avant d’être nommé représentant résident dans plusieurs pays – au Tchad et au Cap-Vert, entre autres.
Dans le sillage d’Étienne Tshisekedi
À l’approche de la présidentielle initialement prévue en 2016, l’économiste au profil de haut fonctionnaire se rêve en homme providentiel. Il rédige un programme de développement dans lequel il défend notamment l’idée d’un plan Marshall pour la RDC. Les 9 et 10 juin 2016, c’est à Bruxelles que l’opposition congolaise affine sa stratégie. Noël Tshiani est invité à participer à ce conclave par Bruno Tshibala, alors secrétaire général adjoint de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), le parti d’Étienne Tshisekedi.
Tshiani a croisé la route de l’opposant historique il y a plusieurs dizaines d’années. « Pendant mes études à l’étranger, je venais consulter Étienne Tshisekedi à chacun de mes séjours au pays. Et puis, lorsque j’ai commencé à travailler aux États-Unis et qu’il lui arrivait de s’y rendre, je l’accompagnais à ses réunions avec la diaspora et à ses rencontres avec les élus du Sénat », raconte-t-il.
EN 2018, NOËL TSHIANI EST BIEN CANDIDAT, SANS VRAIMENT FAIRE CAMPAGNE
Affaibli, « Monsieur Non » s’éteint le 1 février 2017. Le scrutin présidentiel se tient finalement à la fin de l’année 2018. Noël Tshiani, qui a pris le soin de faire valoir sa retraite anticipée de la Banque mondiale, est bien candidat, sans vraiment faire campagne.
« Les dés étaient pipés »
Comme le veut la loi, Noël Tshiani défend son programme sur le plateau de la télévision nationale pendant 45 minutes. Manque de chance, lors de la diffusion de l’émission enregistrée, Kinshasa est frappé par une vaste coupure de courant.
Certains auraient pu y voir un coup du sort, lui n’est pas loin de parler de complot. « Les dés étaient pipés. Nous étions les dindons de la farce d’une élection dont le résultat avait été scellé dans des accords signés hors du pays », lance-t-il avec assurance. Son score : 0,13 % des suffrages, soit 23 548 voix.À LIRERDC : Félix Tshisekedi, seul contre tous en 2023 ?
Après l’élection, l’économiste rêve d’être nommé à la tête de la Banque centrale du Congo, mais voit sa candidature bloquée. Déjà à la tête d’Agere Global, une société de conseil en investissement et stratégie commerciale installée à New York, il monte une autre holding en RDC, la Copic, un véhicule financier avec lequel il investit dans le secteur bancaire et l’immobilier.
En parallèle, Noël Tshiani continue de graviter autour de Félix Tshisekedi, dont il a assisté à l’investiture, et de certains membres de son entourage proche comme son ancien haut représentant, aujourd’hui décédé, Kitenge Yesu. En septembre 2020, le chef de l’État reçoit une importante délégation afin de préparer la constitution d’une grande plateforme pour regrouper de nouveaux soutiens politiques dans l’optique de la présidentielle prévue à la fin de 2023. Kitenge Yesu est à la manœuvre et Noël Tshiani l’une des personnalités présentes.
Moïse Katumbi visé ?
À l’époque, l’économiste est encore méconnu d’une majorité de la population congolaise. Le dépôt, en juillet 2021 par Nsingi Pululu, membre de l’Union sacrée et transfuge du Front commun pour le Congo (FCC, de Joseph Kabila), de la proposition de loi portant son nom se chargera d’inverser la tendance. Noël Tshiani en est l’initiateur. Dans les semaines précédant son dépôt, il avait rencontré les présidents des deux Chambres – Modeste Bahati Lukwebo au Sénat et Christophe Mboso à l’Assemblée nationale – pour préparer le terrain.À LIREEn RDC, Christophe Mboso bat le rappel des troupes
Très vite, le texte fait polémique, jusqu’à menacer de diviser la majorité présidentielle. Né d’une mère congolaise et d’un père originaire de l’île grecque de Rhodes – alors sous domination italienne –, Moïse Katumbi y voit une manœuvre pour tenter de l’écarter de la course à la présidentielle. Il mobilise ses partisans et charge ses cabinets de lobbying à Washington d’œuvrer pour que les États-Unis se positionnent contre.
Félix Tshisekedi tarde à s’exprimer sur le sujet, avant de se dire opposé au texte dans une interview accordée à VOA Afrique en septembre 2021. Entre temps, la proposition de loi avait finalement été rejetée par le bureau d’études de l’hémicycle.À LIRELa présidentielle en RDC se joue-t-elle à Washington ?
Comment cette proposition de loi a-t-elle alors pu atterrir deux ans plus tard dans le calendrier de la session ordinaire en cours de l’Assemblée nationale ? Moise Katumbi a depuis quitté l’alliance présidentielle. Il n’est plus représenté au gouvernement, et son parti – Ensemble pour la République – a officiellement fait de lui son candidat.
Les raisons qui poussent Noël Tshiani à porter avec autant de vigueur une telle loi demeurent un mystère. Cherche-t-il à exister politiquement ? Vise-t-il Katumbi, qu’il a par le passé accusé de lui avoir volé son programme politique ? Agit-il, comme l’affirment plusieurs sources, pour le compte de certains responsables de l’Union sacrée qui espèrent ainsi voir l’ancien gouverneur du Katanga gaspiller son temps et son énergie contre le projet ?
« Je ne suis pas manipulable »
Le sujet dérange même certains de ses proches et de ses vieux compagnons de route qui, en privé, s’opposent à un texte dont certaines dispositions interdisent même à tout candidat à la présidentielle d’avoir une femme étrangère.
Noël Tshiani, dont les enfants ont la citoyenneté américaine, assume. « On me prête des intentions qui sont fausses. Je ne suis pas manipulable. Lorsque je me suis présentée à la présidentielle de 2016, l’affiche de campagne que j’ai fait confectionner aux États-Unis portait le slogan : 100 % Congolais, loyal à la RDC », raconte-t-il.
CES VINGT DERNIÈRES ANNÉES, NOUS AVONS EU UN PROBLÈME DE LOYAUTÉ EN RDC
Amateur de grosses cylindrées, l’ancien candidat dit vouloir s’inspirer du texte de la Constitution de l’époque Mobutu et voit sa proposition de loi comme « une nouvelle indépendance » pour son pays. « Ces vingt dernières années, nous avons connu un problème de loyauté en RDC. Les FARDC [Forces armées de la RDC] sont infiltrées, des généraux donnent des informations à l’adversaire. » Un discours jugé volontiers populiste qui ne manque pas d’instrumentaliser la situation sécuritaire dans l’Est et surfe sur la montée des discours xénophobes depuis le retour du conflit avec les rebelles du M23.À LIREM23 en RDC : dix choses à savoir sur Sultani Makenga, le fantôme du Kivu
Dénoncée par la communauté internationale – la diplomatie américaine en fait une « ligne rouge » –, l’Église catholique et une bonne partie de la classe politique, la loi « Tshiani » semble avoir peu de chances d’être approuvée. Son initiateur se sera au moins fait un nom.