LE MAL-ÊTRE CONGOLAIS ET LA BALKANISATION

Nous ne sommes pas d’accord avec ceux qui pensent que la situation de notre pays est une fatalité. Bien au contraire, nous pensons qu’il est de notre devoir d’agir dans la bonne direction pour éviter à notre pays la balkanisation.

L’Histoire et la théorie des organisations montrent que les États-nations, comme toute autre organisation humaine, meurent si elles ne réussissent pas à maintenir leur développement en ne guérissant pas de leurs faiblesses. Qui eût cru que l’URSS communiste – jadis l’Etat-nation militairement le plus puissant de la planète – pourrait être balkanisé ? La Russie d’aujourd’hui n’est qu’une partie de la défunte URSS. Par contre, la Chine communiste, qui avait tenu compte de ses faiblesses durant les années 1970 pour les corriger graduellement, est toujours là, aujourd’hui rivalisant avec l’Occident. En tant que nation, il est important que nous sachions avant tout identifier nos forces et atténuer les forces centrifuges.

Bien sûr, nous comprenons que, tout en étant compatriotes d’un même pays, nous pouvons avoir des perceptions différentes sur ce qui s’y déroule, car la perception des mêmes faits dépend de plusieurs facteurs, dont la formation, et l’information en notre possession. C’est pour cette raison que le CET s’efforce toujours de justifier rationnellement sa perception par une information scientifique et digne de foi – pouvant néanmoins être contestée sur des bases également scientifiques.

Ainsi, nous estimons que la majeure partie des obstacles à la stabilisation ainsi qu’au développement de notre pays découlent du processus d’atomisation excessive. Ce processus a commencé avec la traite esclavagiste, a continué pendant la colonisation et s’est poursuivi après la décolonisation. Ce processus d’atomisation entraîne deux maux de sociétés : il s’agit de la sociopathie et de la victimisation. En principe, les individus souffrant de ces maux se retrouvent dans toutes les sociétés mais tout dépend de leurs concentrations.

DE L’ATOMISATION EXCESSIVE

Tous les sociologues qui ont eu à observer notre pays depuis l’époque coloniale ont noté un processus très avancé d’atomisation, que les différents gouvernements post-coloniaux n’ont pas réussi à freiner ou à renverser.

Il est unanimement reconnu que 10 millions d’esclaves africains avaient été réinstallés en Amérique et aux Antilles, dont près de 40 % venaient des régions côtières et du bassin du fleuve Congo, et que, pour 1 esclave arrivé à destination, il y avait au moins 8 victimes (mortes en résistant ou mortes de maladie durant le transfert). Il y aurait ainsi eu près de 33,5 millions de victimes dans le bassin du Congo du 16e au 19e siècle. Pour éviter d’être victimes des razzias organisées par les chasseurs d’esclaves, les Africains de la région du bassin du fleuve Congo éviteront de constituer de grandes agglomérations et de grands bourgs. À la place, ils formeront de petites communautés éparpillées. Mais le processus va continuer avec la colonisation belge.

En 1966, Jean Paul Sartre, dans sa préface à La pensée politique de Patrice Lumumba, avait noté ce qui suit :

« Pendant quatre-vingts ans, la Belgique s’est employée à congoliser le Congo. Et après l’avoir atomisé, elle décide tout à coup de le laisser tomber, sûre que l’absence de cadres et l’émiettement des pouvoirs le mettront à sa merci […] L’indépendance ne sera qu’un mot si l’on ne substitue à cette cohésion par le dehors une totalisation par l’intérieur. »

Par ailleurs, à travers son article « Les obstacles sociologiques au développement du Congo » publié dans la revue Tiers-Monde (en 1967), Paule Bouvier viendra corroborer cette observation en ces termes :

« Du point de vue qui nous occupe [les obstacles au développement], trois caractéristiques essentielles des structures sociales nous semblent jouer un rôle déterminant. Considérée globalement, la société congolaise apparaît en effet comme profondément atomisée, intensément déstructurée, fortement déséquilibrée. »

À leur tour, A. Rabushka et K.A. Shepsle (1978), dans leur théorie classique sur l’instabilité dans les pays en transition vers la démocratie, citent le Zaïre (Congo) avec ses 250 ethnies comme l’exemple le plus extrême  de pays  atomisé.  Ils mentionnent aussi la Yougoslavie, avec ses 26 groupes ethniques [État qui a disparu en 1994], le Soudan avec 56 groupes ethniques [balkanisé depuis 2011] et le Nigeria avec ses 371 groupes ethniques [ qui resiste encore à la balkanisation]. Mais ni l’Inde, avec 2300 groupes ethniques, ni l’Indonésie, avec 1300 groupes ethniques, ne sont sur la liste. Et non seulement ces deux pays n’y figurent pas, mais ils sont devenus des puissances planétaires en quelques décennies depuis leur indépendance respective.

LA SOCIOPATHIE, CONSÉQUENCES ET REMÈDES

Dans une société sociopathe, les individus ont tendance à ne pas prendre en compte la réalité et les besoins des autres. Ils privilégient, de manière exclusive, leurs besoins individuels, leurs propres envies et leurs propres vues. Et ceci se traduit toujours par la difficulté de trouver le consensus. La violence s’exprime sous forme de délinquance, de compétitivité abusive et d’extrémisme.

Selon beaucoup de sociologues, il existe une relation entre l’atomisation excessive et la difficulté du développement politique. Pour Paule Bouvier (dans l’article déjà cité) :

« Dans une population aussi morcelée, où les types d’organisation importés de l’extérieur se sont étalés, éparpillés sans arriver à créer de nouvelles communautés, il est évidemment très difficile de promouvoir des idéaux susceptibles de mobiliser les masses, de trouver des leaders capables de s’imposer sur la totalité du territoire et de se présenter comme l’émanation d’une même volonté ou d’une même aspiration nationale ».

Ceci est dû à l’individualisme forcené. Car avant d’adhérer à un groupe, chaque « acteur se livre à un calcul en termes de coût et bénéfice, il n’a nul intérêt, au sein de groupes de large dimension, à s’engager dans un mouvement collectif ; dans ces conditions, la mobilisation ne peut s’expliquer que sous l’effet d’incitations sélectives » (Pierre Birnbaum, 1978). Autrement dit, beaucoup d’acteurs voudraient créer leur propre parti politique non pas pour servir les masses, mais pour tirer des profits. Dès lors, les actions extrémistes ou irrationnelles de foules sont plus mobilisatrices que les idéaux dont on ne voit pas avec certitudes les profits lointains.

A. Rabushka et K.A. Shepsle (1978)  dans leur classique sur l’instabilité politique déjà évoquée,  parlent d’une société plurielle morcelée  marquée par:

« une pléthore de groupes [ partis], la rareté ou l’absence d’institutions de réconciliation, la pénurie de compétences nécessaires pour former des coalitions nécessaires pour gérer les conflits politiques, l’anarchie éventuelle des conflits non structurés résultant d’une méfiance primordiale […]

Pour combattre la fragmentation, il  suggèrent la  réduire du nombres des partis politiques, la création des institutions représentatives  capables de  réconcilier, développer les coalitions pour gérer les conflits politiques et  non structures [ les conflits  ethniques].

Ainsi l’inde, n’a que  six partis nationaux. Le nombre des partis politique en Inde  est  régulée par le système électoral. Pour être reconnu comme parti national par la commission électorale Indienne, le parti doit être actif pendant cinq ans dans au moins 4 des 29 États et représenter au moins 4 % des suffrages au parlement sous la coalition dans laquelle ses membres ont été élus. Afin de limiter les défections, il existe une loi anti-défection adoptée sous la forme d’un amendement à la Constitution de l’Inde. En vertu de cette loi, lorsqu’un membre d’une des chambres du Parlement ou de l’assemblée d’un État quitte volontairement le parti sous la bannière duquel il a été élu ou vote différemment de la consigne de son parti sans en avoir l’autorisation, il perd son mandat.

Alors qu’ avec  1,3 milliard d’habitants, l’Inde n’a que six partis politique nationaux représenté au parlement , pourquoi la RDC, avec à peine 100 millions d’habitants, devrait-elle avoir une pléthore de près de 1000 partis nationaux ?!

Une régulation  des partis politique par le système électoral similaire au model indien pourrait permettre  à la RDC  de réduire rapidement le nombre de parti politique, de stimuler la recherche  de coalition, et d’arrêter les transhumances  politiques  que nous venons de vivre au pays.

LA VICTIMISATION, CONSÉQUENCES ET REMÈDES

La victimisation est un mal-être dont souffre notre société. Les membres d’une société à prédominance  victimaire ont tendance à rejeter sur autrui la responsabilité de tout ce qui leur arrive et de se considérer toujours comme victimes des actions des autres. Ainsi tout ce qui va mal au Congo serait dû aux actions de ceux qui envient les richesses du pays. Beaucoup d’entre nous se laissent parfois entrainer dans des délires paranoïaques accusant toute  la communauté internationale d’agir contre l’existence de la RDC !  Il est difficile, pour quiconque souffrant de ce mal, de se remettre en question et d’œuvrer pour devenir fort. Néanmoins, avec la bonne information et la détermination, cela n’est pas impossible.

Précisément, on ne cesse de claironner que notre pays est victime de l’exploitation des multinationales, directement ou indirectement, par le biais des pays voisins, et que les pays voisins nous enverraient le surplus de leurs populations.

Dans tout ceci, on ne tient pas compte de la responsabilité des Congolais et de la responsabilité que nous devons exiger de nos dirigeants, qui doivent assumer leurs actes.

A propos des multinationales, même s’il est aussi reconnu que, dans des États très faibles, les multinationales exploitent les faiblesses de ceux-ci pour optimiser leurs profits, dans l’ensemble des pays du monde, il est globalement accepté que les pays en développement bénéficient des investissements des multinationales, qui les aident à réduire la pauvreté, à stimuler la croissance économique, à créer des emplois pour la population locale, à élever les normes de l’emploi en versant de meilleurs salaires que les entreprises locales, etc.

Concernant l’exploitation de nos richesses par les pays voisins, ceci dénote des actions de mauvais voisinage pour notre pays comme le CET l’a déjà dénoncé.  Toutefois, sachons que  de par sa nature même, tout État est impérialiste, c.-à-d. qu’il cherche à tirer profit des relations asymétriques systémiques avec d’autres peuples et d’autres territoires, ce qui se traduit par une plus ou moins grande domination sur le plan politique et institutionnel. Les autres nous dominent parce que nous sommes excessivement faibles. Au lieu de toujours nous plaindre des autres qui pillent et tuent chez nous, et déstabilisent notre pays si facilement, nous devons plutôt nous atteler d’abord  à former un État-Nation fort. Patrice Lumumba l’avait dit  dans son dernier message aux congolais et le CET ne cesse de le répéter.

En effet, depuis plusieurs années, le CET dénonce publiquement le Rwanda et l’Ouganda siphonnant l’or congolais, ce qui représente un manque à gagner de 4 milliards de dollars par an (chiffres de la Banque Mondiale) pour notre pays. En outre, étant donné que l’or congolais représente plus de 60 % de la valeur des exportations de ces deux pays, le CET dénonçait le fait que ces États allaient déclencher une guerre, soit entre eux pour le partage du butin, soit contre la RDC pour le contrôle de territoires plus vastes leur servant de zone d’exploitation. Le régime Tshisekedi avait signé en bonne et due forme des contacts avec ces deux pays. Il est important de noter que c’est la protestation publique par le feu President  Laurent Desire Kabila de la contrebande à grande échelle de l’or congolais par le Rwanda et l’Ouganda qui avait entrainé la guerre de 1998-2003. La vidéo est encore sur Youtube.

Une guerre proxy  avec possibilité de balkaniser le pays  était donc  prévisible consécutivement  à la  cession des zones d’exploitation aurifère  au Rwanda et à  l’Ouganda par le President Felix Tshisekdi. La responsabilité de ce dernier est bien établi. Le CET  n’était pas la seule organisation à sonner l’alarme. Même  l’ONU et la Banque Mondiale l’avait fait.

Et nous y sommes presque : une partie de l’ancienne province du Kivu et l’Ituri échappent au contrôle de l’État congolais.

Par ailleurs, en parlant de responsabilité, on ne peut pas éluder le problème de l’immigration non contrôlée des populations du Rwanda. En 1968, le gouvernement zaïrois avait pris l’initiative de retirer les cartes des réfugiés rwandais installes en RDC malgré les protestations du HCR [Haut Commissariat aux réfugiés], laissant ainsi les Banyarwanda rwandais se mêler aux Banyarwanda congolais. En 1979, une institution de l’ONU, l’Organisation internationale du travail, se plaignait de la sous-administration au Congo, c’est-à-dire manque de services d’état civil permettant d’identifier les personnes dès leur naissance. Cinq décennies après , cette situation inédite pour un Etat-Nation  n’a jamais été corrigée. En  outre, en 1994, même si la France avait demandé aux autorités congolaises d’ouvrir les frontières aux réfugiés rwandais, il revenait aux autorités congolaises, sur la base du concept de souveraineté des États, d’accepter ou de refuser. Par ailleurs, quel est ce gouvernement occidental qui avait demandé au régime de Mobutu d’accepter les armes et les ressources financières de l’État rwandais  transférées au Zaïre  par l’ancien régime du Rwanda? Le régime Mobutu tirait avantage de la présence des réfugiés en détournant l’assistance humanitaire et en disposant de l’ONU pour financer une partie de son armée – prétendument pour garder les camps de réfugiés.

Les documents sont disponibles, publiés par l’ONU et sur le site du CET, mais il est regrettable que tant de cadres congolais victimaires refusent de considérer la responsabilité de leurs dirigeants et de leur demander d’être comptables. En d’autres termes, d’assumer leurs actes. Et ce en rejetant sur autrui toute la responsabilité de nos propres gouvernants d’avoir ignoré qu’ils dirigeaient un Etat  ayant la vocation d’être souverain.

CONCLUSION

Malgré notre diversité nous pouvons devenir un pays fort (comme ‘Indonésie et l’Inde)   par une stratégie conséquente  de  la « totalisation de l’intérieur » ou la stratégie d’intégration nationale.

Pour ce faire, nous devons  identifier nos faiblesses – la sociopathie, la victimisation, l’individualisme… – pour les combattre, et nos forces – les ressources minières, naturelles, humaines… – pour en tirer parti. Il faut dès lors se concentrer sur l’essentiel pour rééquilibrer la situation, soit le plus petit dénominateur commun sur lequel tous les patriotes tomberont d’accord : préserver la RDC des effets pervers de l’atomisation et construire un État fort.

Pierre Sula

Coordonnateur du CET

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