POLITIQUE

Comment Tshisekedi veut renégocier, en Chine, le « contrat du siècle »

En RDC, une task force a été créée par le président en amont de son entretien avec son homologue Xi Jinping, afin d’identifier les axes de discussion de l’accord signé avec Pékin en 2008. JA s’est procuré ce rapport en exclusivité.

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23 mai 2023 à 16:55

Par Jeune Afrique

Mis à jour le 23 mai 2023 à 17:01

Félix Tshisekedi arrive au sommet extraordinaire des chefs d’État de la Communauté de l’Afrique de l’Est à Bujumbura, le 4 février 2023. © Tchandrou Nitanga / AFP

Pour son premier voyage officiel en Chine, Félix Tshisekedi se rendra, à partir du 24 mai, à Pékin, où il échangera avec son homologue Xi Jinping, mais aussi à Shanghaï et à Shenzen, afin d’y visiter plusieurs sites industriels. Ce déplacement doit aboutir à la signature de plusieurs accords.

Il doit aussi être l’occasion pour le chef de l’État congolais d’aborder un dossier ultra-sensible : celui du rééquilibrage de l’accord conclu en 2008 entre la société minière nationale congolaise Gécamines et le Groupement d’entreprises chinoises (GEC).

« Colonisation économique »

Le « contrat du siècle » a abouti à la création de la société congolo-chinoise Sicomines. Alors qu’il prévoyait l’octroi de gisements de cobalt et de cuivre à cette coentreprise en échange d’investissements chinois dans des infrastructures, il est à ce jour jugé par la RDC comme très défavorable à ses intérêts. En mai 2021, Félix Tshisekedi avait en effet décidé de réévaluer totalement les contrats passés sous l’ère de son prédécesseur, Joseph Kabila.

Le 15 février, dans son rapport d’audit, Jules Alingete Key, le patron de l’Inspection générale des finances (IGF) congolaise, a d’ailleurs dénoncé « une colonisation économique inacceptable » et dressé une liste d’exigences pour rendre ce deal plus équitable, comme le paiement d’un dédommagement de 20 milliards de dollars. Ces déclarations ont fait bondir Pékin, qui a estimé qu’elles  « ne correspondent pas à la réalité ».À LIREContrat du siècle RDC-Chine : les dessous d’un accord de « colonisation économique »

En Chine, Félix Tshisekedi espère donc poser les jalons d’une remise à plat de cet accord. Le 19 mai, il a informé ses ministres qu’un groupe de travail, composé de membres du gouvernement, du cabinet présidentiel et de la société civile, avait été chargé d’identifier les axes de renégociation du contrat. Cette task force a remis ses conclusions en fin de semaine dernière. Celles-ci doivent servir de base à la partie congolaise pour entamer des discussions avec la partie chinoise afin de parvenir à un compromis.

« Déséquilibre »

Parmi les points identifiés par le comité dans son rapport consulté par Jeune Afrique figure en premier lieu la prise en compte des apports réalisés en nature par la Gécamines (sous forme de gisements) dans la constitution de la Sicomines. Le groupe de travail estime que 70 % des actions de cette dernière devraient revenir à la RDC (60 % pour Gécamines, 10 % pour l’État) et 30 % pour le GEC. Celui-ci contrôle actuellement à lui seul 68 % du capital, laissant la RDC très minoritaire au capital.À LIREExclusif – RDC : le rapport de l’IGF sur les millions perdus de la Gécamines 

La commission ne préconise pas qu’un rééquilibrage du capital en faveur de la RDC, elle recommande également une plus grande implication de la Gécamines dans la gestion de la coentreprise. Évoquant un « déséquilibre » dans le partage des responsabilités – seul le directeur général adjoint et quatre des douze administrateurs proviennent de l’entreprise minière congolaise – elle suggère que les postes au sein du conseil d’administration soient répartis en fonction des parts que chacun possède au capital de la Sicomines.

Audit indépendant

Sur le plan financier, la partie congolaise estime que la somme apportée initialement par le GEC sous forme de pas-de-porte (350 millions de dollars ont été versés pour initier la collaboration) doit être revue à la hausse et qu’elle doit être considérée comme définitivement acquise. Par conséquent, la task force préconise de négocier en faveur d’un remboursement de la partie du montant qui a été amortie par Sicomines et qui, par conséquent, a amoindri les bénéfices de Kinshasa.

Elle recommande également d’obtenir plus de transparence sur le coût réel des investissements chinois, ainsi que sur les volumes de minerais commercialisés. Il est en effet régulièrement reproché à la Sicomines de sous-évaluer ce qu’elle exploite. Et, alors que la Gécamines conteste l’objectivité des études de faisabilité effectuées par le cabinet China Enfi, la commission suggère de recourir à un expert indépendant pour procéder à la certification des réserves minérales.À LIREEn RDC, « la Gécamines a désinvesti la production et se contente de gérer ses contrats »

Si toutefois la Chine ne respectait pas ces obligations de transparence, le comité propose d’introduire deux nouveaux articles dans le contrat prévoyant des sanctions pouvant aller jusqu’à la résiliation de la convention. Dans son évaluation, l’IGF avait notamment critiqué la vente exclusive de la production des mines à China Railway Ressources Group. L’achat de minerais devrait donc être interdit à un prix inférieur au marché.

Centrale de Busanga

Enfin, le comité évoque aussi la question du volet « infrastructures » du contrat dont le financement, fixé à 3 milliards de dollars, est jugé largement inférieur à la valeur des gisements cédés par la Gécamines. Seuls 822 millions auraient à ce jour été consacrés à ces travaux alors qu’un financement de 1,5 milliard aurait été assuré par la partie congolaise : le rapport propose la mise à disposition, sans condition, du solde du financement à travers une ligne de crédit, à taux préférentiel, géré par la partie congolaise.À LIRERDC-Chine : après le volet minier, la partie infrastructures du « contrat du siècle » épinglée

En outre, il est fortement recommandé d’évaluer le manque à gagner occasionné par les nombreuses exonérations accordées à la Sicomines et à Sicohydro, la société chargée de l’exploitation de la centrale de Busanga. En 2016, les parts de la RDC dans ce gros projet avaient été substantiellement revues à la baisse (de 49 à 25 %, dont 15 % à une société privée, la Coman). La commission propose de revenir à l’accord initial de 2010 et de rééquilibrer la répartition des actions au sein de Sicohydro, tout en veillant à ce que la RDC récupère celles attribuées à la Coman.

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By Habari

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