
Depuis quelques mois, le contrat chinois défraye la chronique, à la suite des rapports de l’IGF et des déclarations des politiciens congolais proches du pouvoir. L’affaire a même justifié le déplacement en Chine d’une délégation importante, conduite par le Président Félix Tshisekedi en personne, pour tenter de « renégocier » le contrat de Sicomines. Il s’agissait en réalité d’une démarche – avortée – pour la nationalisation de la Sicomines.
À leur retour de la Chine, les mains vides, le Président Tshisekedi et les membres de sa délégation sont revenus avec les meilleurs sentiments du monde quant au contrat du siècle. Ils en parlent maintenant en des termes conciliants.
Il était prévisible que la délégation du Président Tshisekedi n’obtienne aucun résultat positif, car, comme le stipule la convention signée entre la partie chinoise et la partie congolaise : « Les différends n’ayant pas été réglés à l’amiable seront soumis à l’arbitrage du CIRDI (Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements) selon ses règles ». ([i])
En tant que groupe de réflexion et d’action, dont certains cadres ont une formation et une expertise dans des domaines en relation avec la gestion des projets, les finances et l’économie, nous avons décidé d’étudier ce dossier pour pouvoir donner notre opinion sur les raisons du fiasco de la démarche du régime Tshisekedi pour tenter d’obtenir une révision du contrat de Sicomines.
Nous estimons que, bien que la diffusion d’informations en relation avec ce contrat fût souhaitée par beaucoup de Congolais, la décision prise par le pouvoir en place de diaboliser ceux qui avaient initié ce contrat, et de vouloir le revoir de fond en comble en dehors du cadre défini par l’accord de 2008 (article 19), est un cas d’école de mauvaise décision, dont les conséquences négatives auront des répercussions à long terme sur le Congo.
Selon notre analyse : (1) la décision du gouvernement congolais était malvenue ; (2) les réclamations financières rédigées par l’IGF étaient infondées ; et (3) le modèle d’investissement de la Sicomines demeure, selon plusieurs études, dont celle de la Banque mondiale, le meilleur que notre pays pouvait obtenir pour se développer, compte tenu de sa situation.
Rappelons qu’il n’est pas de notre intention de nous engager dans des considérations politiciennes. Il s’agit d’apporter un éclairage scientifique pour faciliter la compréhension des tenants et aboutissants de ce dossier ; et ce, tout en acceptant la contradiction, sans animosité de part et d’autre. Ci-dessous, les détails des trois points évoqués.
PRIMO : UNE DECISION DE MAUVAISE QUALITE
Dans leur classique sur les comportements des individus et la gestion des organisations, J.M. Ivancevich et Mi. T. Matteson [[2]] soutiennent que la qualité du processus de prise de décision est cruciale pour la survie de toute organisation.
Les compétences de prise de décision par le décideur et ses conseillers ont toujours une incidence directe sur le potentiel de progrès ou le risque de faillite d’une organisation, a fortiori pour une organisation étatique. D’où l’importance d’une analyse du processus de prise de décision pour prédire les retombées.
Le degré de la qualité d’une décision dépend du respect des intérêts organisationnels, de la prise en compte des connaissances dans le domaine considéré et de l’objectivité. Une décision de qualité peut soutenir une organisation à mesure qu’elle grandit et offrir davantage d’opportunités pour son développement.

Une décision est de mauvaise qualité quand elle bafoue les intérêts de l’organisation et qu’elle est motivée par la subjectivité (les sentiments personnels, la croyance commune, la rumeur populaire, etc.). Elle entraine toujours des défis préjudiciables au développement, voire à la survie de l’organisation.

Certes, la prise de décision au niveau de l’État ne peut être totalement exempte de la subjectivité du décideur. De ce fait, pour minimiser la subjectivité dans la prise de décision et favoriser l’objectivité, il devient nécessaire d’y associer plusieurs personnes.
Le processus de prise de décision analysé révèle la prévalence des motivations suivantes : la volonté de satisfaire les intérêts personnels du Président, dont le fils a été désigné représentant de la RDC à la Sicomines ; l’obéissance aux exigences des puissances occidentales dans leur guerre contre la Chine, indépendamment des intérêts de la RDC, dont la Chine demeure le plus grand partenaire commercial et le plus gros investisseur ; et la réponse à l’opinion populaire convaincue par le discours démagogique de la prétendue exploitation de la RDC par la Chine. Certains médias français et belges n’hésitent pas de parler d’une nouvelle colonisation de la RDC !
La décision de renégocier le contrat Sicomines motivée par les intérêts autres que ceux de la République ainsi que par une opinion publique peu éduquée victime de la démagogie des hommes au pouvoir [mobutistes] et vulnérable à la manipulation par les médias occidentaux, était donc une décision de mauvaise qualité.
SECUNDO : RECLAMATIONS NON FONDEES FORMULEES PAR L’IGF
Les revendications de la RDC concernant le contrat chinois étaient basées sur le document publié le 15 février 2023 par l’Inspection générale des finances. Il faudrait un document volumineux pour analyser toutes les absurdités contenues dans le document intitule Conclusions de l’Inspection Générale des finances sur la convention de collaboration d’avril 2008 entre la RDC et le groupement d’entreprises chinoises (contrat chinois) », publié sur le site de Congokin ou celui du CET. Pour raison d’efficacité informationnelle nous n’avons retenus ici que quelques-unes d’entre elles.
Dans ce document, transparait la volonté de discréditer la Chine et le régime Kabila ainsi que de nationaliser la Sicomines; et ce sans réfléchir des conséquences pour le pays.
On y trouve notamment : (1)une menace de révocation du contrat de JV Sicomines ; (2) une revendication visant au changement de la participation de l’État congolais et de la Gecamines dans le capital de l’entreprise; (3) des amendes infligées à la partie chinoise pour un soi-disant dumping au profit des entreprises chinoises ;et (4) une réclamation des paiements des taxes légalement exonérées. Le document de l’IGF est accessible sur notre site congokin.
Bien que ce document marque l’imaginaire collectif, à notre avis, il dénote le manque de sens de responsabilité. Par ailleurs, il est tissé d’inexactitudes surprenantes, et indignes d’une « Inspection générale des finances » de la République. Examinons les points ci-dessus évoqués :
PRIMO : l’IGF pour la révocation du contrat chinois
Le mémorandum de l’IGF du 15 février 2023 commence ainsi par la déclaration selon laquelle Sicomines avait été constituée en 2008 « en violation de l’article 1er de l’arrêté royal du 22 juin 1926 » ; donc illégalement et se termine par une proposition de dissolution pour raison de « l’exception de la non-exécution du contrat ».
Ce détail peut sembler anodin pour certains , mais il signifie, pour ceux qui comprennent les finances internationales, qu’en RDC, le contrat demeure valide seulement… durant le régime qui l’a signé ! Comment peut-on alors garantir à quiconque un investissement de long terme (comme celui de Sicomines) dans un tel État, qui n’assure pas la sécurité juridique ?
SECUNDO : Menaces de nationalisation
La proposition du changement de la structure du capital social de la Sicomines au profit de l’Etat congolais et de la Gécamines est belle et bien une proposition de nationalisation.
Lors de la signature du contrat entre la partie chinoise (CEC) et la partie congolaise (Groupe Gécamines) la structure du capital social a été fixée de la manière suivante : est :
Capital social est fixe à USD 100.000.000,00 reparti comme ci-dessous :

Dans son document, L’IGF propose un changement de la structure du capital de la Sicomines, de sorte que la partie congolaise obtienne 70% [Gecamines (60%) * Etat RDC (10%)] et la partie chinoise 30%. Il s’agit bien d’une proposition de nationalisation !
Dans sa Théorie de la nationalisation, Katzarov définit « nationalisation » comme étant « la transformation [partielle ou totale] dans un intérêt public d’ordre supérieur d’un bien donné ou d’une certaine activité qui sont ou peuvent être un moyen de production ou d’échange »[[3].
Même sans citer le mot « nationalisation » préconiser le changement de la structure du capital sociale au profit d’une collectivité est donc une revendication de la nationalisation qui, toutefois, demeure un acte de souveraineté reconnu aux Etats. Cependant, l’acte doit être assumé car il doit respecter le droit interne ainsi que le droit international et doit être accompagne d’un dédommagement.
À cet égard, il n’est pas inutile de rappeler que la politique de nationalisation n’est pas nouvelle en RDC, car nous l’avons connue avec le régime Mobutu. Nous soulignons qu’ elle peut être légitime pour tout Etat-nation, mais il faut l’assumer, car elle peut également entraîner des conséquences désastreuses pour le pays.
D’ailleurs le contrat chinois est bien clair à ce propos en précisant ce qui suit :
« les parties à la présente convention de collaboration se sont mis d’accord sur le fait que compte tenu de la nature de cette collaboration, l’expropriation, la nationalisation, la promulgation d’une nouvelle loi ou de la modification de législation en RDC ne peut, en aucun cas, constituer un cas de force majeure » (19.4)
La prétendue justification de cette mesure de nationalisation serait que, lors de la constitution de l’entreprise JV Sicomines, on n’avait pas tenu compte des valeurs des gisements miniers apportés par la Gécamines SA (estimées selon les calculs de l’IGF à USD 90 milliards de dollars).
Or, faut-il considérer la matière première comme une partie du capital social de l’entreprise ? Une confusion !
Depuis la formation des compagnies léopoldiennes (dont l’Union minière du Haut Katanga en 1906), les gisements ont toujours été considérés comme des apports en jouissance plutôt que des apports en propriété. Pour l’exploitation du gisement, il s’établit l’amodiation, ou un contrat entre le titulaire du droit minier et le preneur en louage du droit minier, pour une durée déterminée ou non. Au temps de Léopold II, la durée était de 99 ans. Depuis lors, elle s’étend généralement depuis le début de l’exploitation jusqu’à l’épuisement du gisement. D’où l’importance d’une bonne évaluation du gisement.
Il est donc incorrect de prétendre que les intérêts de la RDC avaient été lésés lors de la signature du contrat chinois soi-disant parce que la Gécamines aurait cédé son gisement à la Sicomines et que la valeur estimée du gisement aurait dû être intégrée dans le capital de la Sicomines comme un apport en nature.
Par ailleurs, bien que la valeur du gisement soit importante, il ne faut pas oublier qu’un gisement de très grande valeur situé dans un environnement à risque très élevé trouvera peu de preneurs en louage. L’amodiant (titulaire du droit minier) doit donc veiller à minimiser les risques pour tirer des bénéfices, au lieu de multiplier les risques.
TERTIO : la RDC aurait perdu USD 84 milliards au profit de la Chine
L’IGF se plaint des prétendus flux de la trésorerie déséquilibrés au profit de la partie chinoise détriment au détriment de la RDC. Selon le document de l’IGF le déséquilibre aurait permis à la partie chinoise de gagner USD 84 milliards en investissant seulement USD 6 milliards après avoir reçu un gisement évalué a USD 90 milliards. L’IGF exige aussi le paiement par la partie chinoise de USD 2 milliards pour les exonérations fiscales et douanières dont la Sicomines aurait été bénéficiaire depuis 2016.
De prime abord, il faut noter que l’estimation de la valeur de gisement donnée par l’IGF découle des estimations surévaluées des réserves faites par la Gécamines avant 2008. Selon les études menées par des experts en 2011, les estimations réalistes de réserves minières exploitables sont de 38% inférieures aux estimations initiales [[4]].
Ensuite, affirmer que la Sicomines aurait acquis [donc acheté] un gisement évalué à 90 milliards de dollars dénote une certaine légèreté dans l’analyse. En effet, le gisement minier appartient toujours à la RDC et la JV Sicomines n’en a que le droit de jouissance, qui permet de l’exploiter durant une période déterminée par l’amodiation (ou contrat de bail minier). Il existe une différence nette entre le contrat d’achat et l’amodiation ou contrat de bail.
Certes, tout Congolais souhaiterait que l’exploitation de nos mines rapporte davantage de dividendes. Toutefois, comme pour tout investissement à long terme, il faut être patient. Par ailleurs, le bénéfice n’est jamais le chiffre d’affaires de la compagnie. Pour continuer à produire, il faut préserver le capital pour la continuation de l’opération car il faut éviter la tentation mobutiste [ toujours grande en RDC] de vouloir tuer la poule pour avoir les œufs d’or.
Afin d’éviter une telle dérive, en vue de préserver voire augmenter le capital, rembourser les emprunts de la China Exim Bank et financer les infrastructures publiques, un plan de décaissement comprenant trois phases [dont les périodes n’ont pas été précisées] fut défini dans le contrat chinois.
Durant les deux premières phases tous les prêts de la China Exim Bank et les intérêts accumulés doivent être remboursés mais, les charges de l’entreprise commune sont allégées par l’exonération de toute obligation fiscale et douanière.
C’est seulement durant la dernière phase que l’intégralité des bénéfices sous forme de dividendes sera distribuée aux actionnaires au prorata de leurs parts dans la coentreprise Sicomines.
Ci-dessous, le plan de décaissement en trois phases :

La production de la Sicomines se trouvant au niveau de 150 000 tonnes de cuivre par an, l’on est encore dans la deuxième phase. Mais, l’IGF exige déjà tous les bénéfices et inflige même des amendes à la partie chinoise pour des raisons injustifiées!
« SICOMINES n’a pas encore pu atteindre la production projetée d’au moins 200.000 tonnes de cuivre en 2016 et 400.000 tonnes de cuivre en 2019 et, ce, malgré l’importance des investissements consentis ou encore l’empiètement des gisements de la GECAMINES S.A. »
Or pour augmenter la production il fallait avoir l’électricité que l’Etat congolais l’Etat congolais n’avait pu fournir par Inga-Shaba. Il a fallu importer l’électricité de la Zambie (qui coûte 4 fois plus cher) et construire une centrale hydo-electrique. Il fallait donc recourir à l’emprunt pour investir dans l’outil de production. D’où l’allongement de la durée de la phase de remboursement( Phase 2)!
L’IGF revendique même le paiement par la partie chinoise des taxes exonérée, pourtant accordée en vertu de la loi et du contrat. Or même si une exonération[l’effacement partiel ou total de droits ou taxes à percevoir] peut constituer un manque à gagner important dans la mobilisation des recettes fiscales et douanières, c’est la méthode de choix utilisée par tous les États-Nations comme un instrument politique économique et social, dans le but de faciliter la réalisation d’investissements à caractère public, des travaux de l’État (construction des barrages, routes) ; soutenir le développement d’un secteur d’activité (mines, agriculture, élevage et pêche…) ; et mettre en œuvre des mesures pour juguler la cherté de la vie.
N’est-il pas absurde que l’IGF aille jusqu’à exiger le paiement de taxes légalement exonérées mais qui seraient dues pour l’importation d’équipements de construction d’un barrage hydroélectrique, pourtant nécessaire en vue de l’augmentation de la production de Sicomines ? Rappelons qu’avec l’augmentation de la production, dans un futur proche, l’État recevra beaucoup plus de recettes fiscales.
QUARTO : L’IGF se plaint du « dumping » et exige une forte amende comme dédommagement par la partie chinoise.
Sans contester le fait que les membres de l’IGF sont porteurs des titres académiques [nous assumons qu’ils le sont], il n’est pas facile d’identifier le sens économique qu’ils donnent au concept « dumping ».
En effet le « dumping » est une discrimination de prix profitant d’abord au vendeur ou l’exportateur. La discrimination de prix du cuivre congolais, en faveur des acheteurs chinois serait-elle préjudiciable aux intérêts de la RDC au point qu’il serait logique pour la RDC d’exiger un dédommagement d’USD 2 milliards par les entreprises chinoises ?
Ceci dénote tout simplement un déficit de compréhension des concepts économiques et/ou l’utilisation des concepts économiques que l’on ne maitrise pas suffisamment pour des raisons politiciennes.
En effet, les discriminations des prix sont généralement licites, en particulier si elles sont le résultat des tentatives d’un vendeur pour répondre à l’offre d’un concurrent. Le dumping est légal en vertu des règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) [l’article VI du GATT de 1994 et de l’Accord antidumping], à moins que le pays étranger ne puisse démontrer de manière fiable les effets négatifs que l’entreprise exportatrice a causés à ses producteurs nationaux. Dans ce cas soulevé par l’IGF, la Chine ne se plaint pas mais, curieusement, c’est la RDC bénéficiaire de dumping qui se plaint parce que les profanes croient qu’en diminuant le prix à l’exportation la Sicomines perd , et ce, même si les coûts de production et la marge de bénéfice sont couverts.
Par ailleurs, il est important de noter que la volatilité des prix des matières premières a un impact direct sur les résultats financiers de ceux qui les produisent et de ceux qui les consomment. Une option pour gérer une telle volatilité est de conclure un contrat à terme permettant de vendre des matières premières selon un prix fixé d’avance.
Nous ne sommes pas le seul pays exportateur de Cuivre et cobalt au monde. La Chine étant le plus grand importateur mondial de ces matières premières, en offrant à celle-ci des contrats à terme , la Sicomines consolide son marché par rapport à d’autres exportateurs.
Il est évident que les pays occidentaux importateurs de cuivre (notamment la Belgique, la France, l’Allemagne et l’Italie) aimeraient que des contrats à terme de matières premières de la RDC soient conclus uniquement avec eux comme par le passé. L’IGF est-elle l’avocate de ces pays ?
En pratiquant la discrimination des prix et cocluant des contrats à terme avec les acheteurs chinois, la Sicomines ne perd pas, mais gagne !

Il est donc irrationnel pour l’IGF de se plaindre d’une discrimination quant aux prix de nos exportations – jusqu’à exiger de la partie chinoise une amende de 2 milliards de dollars – quand c’est une société congolaise qui profite de ladite discrimination des prix. Bien au contraire, ce sont les autres producteurs ou la Chine qui devraient se plaindre auprès de l’Organisation mondiale du commerce ! Mauwa trop!
( A suivre)
[1] Convention de collaboration entre la République démocratique du Congo et le groupement d’entreprises chinoises (2008)
[2] J.M. Ivancevich et Mi. T. Matteson,Organizational Behavior And Management (1996)
[3] Konstantin Katzarov, Théorie de la nationalisation, Paris et Neuchâtel, éd. de la Baconnière, Sirey 1960, p. 226.
[4] Landry, David G. 2018. The Risks and Rewards of Resource-for-Infrastructure Deals,Africa Research Initiative, School of Advanced International Studies , JohnsHopkins University,Washington, DC.