TERTIO : LE CONTRAT CHINOIS EST UN BON CONTRAT POUR LA RDC
3.1. Rappel
Dans la partie précédente de notre analyse, nous avons démontré que les récriminations de l’IGF dans le dossier Sicomines n’ont aucun fondement juridique et sont dénuées de toute rationalité. Les harassements des intérêts chinois par l’IGF ne seront pas oubliés de sitôt par la Chine ; et ce même après le départ de Tshisekedi du pouvoir. Ils constituent donc des éléments négatifs pour le développement du pays.
Nous estimons que les réactions négatives que continue de susciter le contrat chinois ne sont pas dues à des réalités objectives, mais principalement à des réactions politiques contre le régime Kabila.
Dans notre analyse, nous ne défendons pas l’ancien régime – dont aucun dirigeant du CET n’a d’ailleurs fait partie. Mais ce n’est pas une raison pour que nous laissions de côté toutes les connaissances apprises et enrichies par l’expérience professionnelle, et ce, parce que certains ne voient le pays qu’à travers une vision manichéenne.
Il est important de rappeler que, depuis la signature de ce contrat en 2008, une féroce opposition s’était manifestée. D’abord, par les puissances occidentales, qui, ayant eu le sentiment d’avoir contribué à l’émergence de Joseph Kabila, ont estimé avoir été trahies et dupées par ce dernier et, de ce fait, ont essayé de lui régler son compte. Ensuite, par l’opposition congolaise manipulée, beuglant que le peuple n’allait pas manger les routes ! Sur la liste de cette opposition, on trouvait les noms de Jean-Pierre Bemba, d’Étienne Tshisekedi (père du président actuel et grand-père du représentant de la RDC auprès de la Sicomines) et de Nkundabatware.
En février 2022, le CET avait déjà exprimé sa position sur la nécessité du maintien de bonnes relations avec l’Occident, tout en rejetant un alignement systématique dans la guerre commerciale entre l’Occident et la Chine. Être convaincu que le modèle d’investissement RFI est pertinent ne signifie pas que l’on soit prochinois ou soutien du régime Kabila.
Dans ce message nous allons exposer : (1) l’origine japonaise et non pas chinoise de ce model d’investisment ; (2) les raisons de son support par la Banque Mondiale ; (3) les resultats positifs sur le plan d’infrastructure notamment la construction d’une centrale électrique de 280 MW ( mais sans replonger le pays dans le piège de la dette).
3.2. Comment est apparu le concept de RFI ?
Le Japon a été le pionnier du modèle (Resource Financed Infrastructure – Infrastructure financée par les ressources) en Chine dès les années 1970.
En effet, l’industrialisation rapide de l’économie japonaise avait besoin de pétrole, des minéraux et les autres matières premières chinoises et la Chine, l’un des pays les plus pauvres à l’époque ne pouvait pas se permettre de financer la construction des infrastructures de base après son divorce avec l’URSS. En fait, le ministère japonais du Commerce international et de l’Industrie avait explicitement insisté pour que le premier paquet de prêts d’aide étrangère du Japon à la Chine soit principalement utilisé pour construire des chemins de fer et des ports, afin de faciliter l’exportation de pétrole et de charbon chinois vers le Japon (cf. DavidG.Landry (2018))
Le RFI est l’un des nombreux accords contractuels nés d’une réalité : l’existence d’une part des pays en phase d’industrialisation ayant besoins des ressources naturelles et d’autre part des nombreux pays en développement qui n’ont pas accès aux marchés de capitaux, mais qui sont riches en ressources naturelles.
Cette pratique permet donc de contourner les obstacles à l’accès aux prêts bancaires conventionnels et au marché de capitaux. D’un côté, ces prêts garantis par des ressources ont aidé la Chine à développer ses infrastructures, de l’autre, ils ont bénéficié aux entreprises japonaises.
En Afrique, la Chine s’est lancée dans cette voie pour la reconstruction de l’Angola en 2004. En 2007, les dirigeants de la RDC ont négocié avec la Chine pour appliquer ce modèle en RDC afin de ne pas attendre éternellement des promesses occidentales d’aide financières pour développer le pays qui ne se concrétisaient pas. Mais il faut noter que la RDC avait signé aussi un contrat RFI avec la Corée du Sud pour les mines de Musoshi en 2011 dont on ne parle pas.
La Chine a des accords similaires de construction des infrastructures avec beaucoup des pays en Amérique Latine, Asie et Afrique. Selon les statistiques de 2020, en Afrique subsaharienne 31 % de projet d’infrastructure sont financées et exécutées par la Chine. Le succès des projets chinois demeure que les banques chinoises acceptent beaucoup plus des risque (taux d’intérêt très bas) mais en visant sur le long terme.

3.3. Études de la Banque mondiale
Durant les premières années de 2000, RFI s’est affirmé de plus en plus comme modèle préféré comparativement aux anciens modèles d’investissement compte tenu de beaucoup d’avantages et moins de risques de détournement.
Une étude effectuée par six économistes pour la Banque mondiale a abouti à la publication d’un rapport sur le thème « Resource Financed Infrastructure » que nous avons consulté et que nous mettons sur notre site à la disposition des cadres congolais. Le modèle d’investissement RFI n’est donc pas utilisé seulement en RDC et n’est pas seulement une affaire de « chinoiseries ».
Ci-dessous, un extrait de cette étude traduite de l’anglais :
Dans le cadre d’un RFI, un prêt pour la construction d’infrastructures courantes est déduit de la valeur actualisée nette d’un flux de revenus futurs provenant de l’extraction pétrolière ou minière, ajustée en fonction du risque.
Les décaissements de prêts pour la construction d’infrastructures commencent généralement peu de temps après la signature d’un contrat conjoint d’extraction des ressources d’infrastructure et sont versés directement à l’entreprise de construction pour couvrir les coûts de construction.
Les revenus pour rembourser le prêt, qui sont versés directement de la société pétrolière ou minière à l’institution financière, commencent souvent après une décennie ou plus tard, après que les investissements initiaux en capital pour le projet extractif ont été récupérés.
Le délai d’amortissement du prêt d’infrastructure dépend donc du temps nécessaire à la construction de la mine ou au développement du champ pétrolifère, de la taille de l’investissement initial et de son taux de rendement.
Les grands projets d’extraction peuvent coûter entre 3 et 15 milliards de dollars et prendre 10 ans ou plus de la découverte à l’exploitation commerciale, et plusieurs années de plus pour que les investissements initiaux soient récupérés.
Les infrastructures financées par le biais d’accords RFI comprennent les centrales électriques, les chemins de fer, les routes, les projets de technologies de l’information et de la communication (TIC), les écoles et les hôpitaux, ainsi que les réseaux d’approvisionnement en eau (Foster et al., 2009 ; Korea ExIm Bank 2011 ; Alves, 2013).
Le modèle d’investissement RFI est donc un modèle qui vise un développement à long terme et qui viennent avec un mécanisme rodé destiné à minimiser les possibilités de détournement des ressources financières dans des pays dont les institutions sont encore faibles. Ci-dessous un autre extrait du document de la Banque Mondiale :
L’affectation de ressources à la construction d’infrastructures par le biais d’accords de RFI peut prévenir la fuite des capitaux qui pourrait autrement résulter d’une abondance de revenus tirés des ressources dans un contexte de faiblesse des institutions financières et politiques.
Gelb souligne le risque que les revenus provenant des industries extractives ne soient pas inclus dans le budget national ou, s’ils sont inclus, gaspillés ou volés, et soutient que le mécanisme de préengagement inhérent au RFI peut réduire ces risques.
Il considère également que ce mécanisme limite la capacité d’un gouvernement à piller les revenus des ressources accumulés dans un fonds souverain (Trésor public) par un gouvernement antérieur plus responsable. En termes plus généraux, Lin et Wang soutiennent que le RFI pourrait « aider à surmonter les graves contraintes financières et de gouvernance subies par les pays à faible revenu, mais riches en ressources ».
3.4. Le cas Sicomines
Le contrat chinois est un bon contrat. Certes, comme tout projet à long terme, ses dividendes ne sont pas très perceptibles à court terme.
La lecture des études du RFI montre que l’agitation qui se passe autour du dossier du contrat chinois découle beaucoup plus de la politique politicienne et du manque d’information de cadres congolais, les rendant vulnérables à la propagande de ceux qui veulent continuer à maintenir la RDC dans le sous-développement.
Il est important de rappeler que c’est en s’inspirant du modèle RFI mis en place entre les compagnies chinoises et l’Angola depuis 2004 que les autorités congolaises entreprirent des démarches en 2007 pour la réalisation d’un contrat similaire avec la Chine pour environ USD 12 milliards.
Par ailleurs, sachons que l’exploitation du gisement minier de la Gécamines par la JV Sicomines n’a commencé qu’au deuxième semestre de 2016 pour un contrat de 30 ans. Nous sommes encore dans la phase de repayement des capitaux investis. A la différence de re payement durant le régime Mobutu, cette opération ne se fait pas par le trésor public mais, par les bénéfices réalisés par la Sicomines [relire l’extrait ci-dessus de la Banque Mondiale]. C’est donc un contrat pour lequel les intérêts pour la partie congolaise autant que pour la partie chinoise sont à long terme !
Concernant le volet infrastructure, il est étonnant de lire les médias français et belges claironnant que les Chinois n’ont pas construit les chemins de fer, les routes, les centrales hydroélectriques et universités promis lors de la signature du contrat de la Sicomines en 2008.
Pourtant ne pouvons-nous pas nous rappeler que sous la pression des certaines puissances occidentales en 2009, le volet « infrastructure » fut réduit de 50% [de 6 milliards à 3 milliards] après le passage des représentants de FMI et de la Banque mondiale à Kinshasa ; et ce malgré la résistance de la partie chinoise ?!
Malgré tout, il existe des réalisations sur le plan d’infrastructure. La centrale hydroélectrique de Busanga, que Felix Tshisekedi n’a pas voulu inaugurer jusqu’ici, a été construite dans le cadre du contrat chinois. Comment un président qui est prêt à inaugurer un garage de montage de véhicules peut-il négliger d’inaugurer une centrale électrique de 280 MW (autant que Inga I)… tout simplement parce que les travaux ont été effectués sous le régime de son prédécesseur ? La politisation à outrance ne sert pas les intérêts de la RDC. Elle les dessert.
Voici la conclusion de David G. Landry, de Johns Hopkins University (Baltimore) :
De nombreux analystes ont prétendu identifier le gagnant […] Mais les composantes de risque de l’entreprise rendent pratiquement impossible l’identification claire du gagnant jusqu’à ce qu’on atteigne la conclusion. Ce qui est clair, cependant, c’est que l’accord est devenu beaucoup moins lucratif pour la partie chinoise entre 2008 et 2016, en grande partie en raison de la réévaluation à la baisse des gisements estimés de la mine, de la spirale descendante des prix du cuivre, et des retards et revers qui ont affecté ses opérations […]
Il est également important de noter que la nature des risques politiques présents en RDC […] pourrait raccourcir considérablement la durée de cet accord, ce qui entraînerait une situation qui ne produirait aucun gagnant (mais où la partie chinoise serait le plus grand perdant). D’autre part, si les infrastructures livrées dans le cadre de l’accord de Sicomines sont de qualité sous-optimale, ou ne sont pas correctement entretenues par l’État congolais, le perdant ultime sera sans aucun doute le peuple congolais. En fait, en raison de la nature volatile des prix des matières premières, le gagnant de l’accord Sicomines pourrait changer plusieurs fois jusqu’à ce qu’il atteigne sa conclusion, dans une trentaine d’années.
CONCLUSION
Il est donc important que nous apprenions à nous informer avant de critiquer et d’éviter de transférer nos sentiments envers le régime Kabila au jugement du modèle « Resource Financed Infrastructure» du contrat chinois.
Nous sommes convaincus que le modèle RFI demeure un bon modèle d’investissement pour la RDC, mais qu’il faut être patient et surtout éviter d’augmenter les risques politiques afin de s’attendre aux bons résultats, pour le pays, à long terme. Cinq années d’exploitation de la Sicomines [ 2017-2022] ne suffisent pas pour conclure qu’un projet de 30 ans ne va pas rapporter pour la RDC.
Si les Chinois décidaient de quitter par suite des harcèlements infondés de l’IGF, quel serait le sort de la RDC qui n’a pas de bon crédit auprès des créanciers occidentaux ? Les riches gisements ne sont que des richesses potentielles dont la transformation en richesses réelles nécessite des capitaux.
La culture mobutiste [de gains rapides et faciles] consistant à vouloir tuer la poule dans l’espoir d’avoir le plus grand nombre d’œufs d’or doit être bannie car elle ne peut que tuer le pays plutôt que permettre son développement.
La mentalité tshisekediste de politisation à outrance et la vision manichéenne du pays qui en découle ne servent pas les intérêts de la RDC. Elles les desservent.
Pierre Sula