Entre Félix Tshisekedi et l’Église, le bras de fer aura-t-il lieu ?
En visite à Mbuji-Mayi, le président congolais a dénoncé une « dérive dangereuse » au sein de l’institution catholique. Quelques jours plus tôt, la Cenco avait critiqué la « répression » des manifestations de l’opposition et « l’instrumentalisation de la justice »
26 juin 2023 à 19:02
Par Romain Gras
Mis à jour le 26 juin 2023 à 19:03

Le quinquennat de Félix Tshisekedi s’achèvera-t-il comme il a commencé, dans un climat de vive défiance entre le président et une partie des représentants de l’Église catholique ? De passage à Mbuji-Mayi (Kasaï) le 25 juin, le chef de l’État congolais a dit vouloir alerter sur « une certaine dérive ».À LIRECes pasteurs qui murmurent à l’oreille de Félix Tshisekedi
« Parmi vous, quelques personnes ont suivi une tendance dangereuse qui risquerait de diviser notre nation, a-t-il lancé à l’occasion du jubilé de l’évêque de Mbuji-Mayi, Mgr Bernard Kasanda. En tant que garant de l’unité de cette nation, je me sens obligé de dire que je n’accepterai pas cette dérive. » Et d’appeler l’Église à « rester au milieu du village et des Congolais ».
« Recul déplorable »
Applaudi par le public massé dans le stade Kashala Bonzola, ce discours très remarqué a été prononcé trois jours après une déclaration de la Conférence épiscopale nationale du Congo (Cenco), l’une des plus puissantes organisations religieuses du pays. Réunis pendant cinq jours à Lubumbashi, les évêques congolais ont dressé, le 22 juin, un sombre tableau de la situation politique, ce que, au sommet de l’État, on n’a pas manqué d’interpréter comme un réquisitoire contre la gouvernance du président.À LIRERDC : les religieux peuvent-ils faire plier Tshisekedi ?
Tout en reconnaissant que les gestes du début de mandat de Félix Tshisekedi avait été « porteurs d’espoir », les représentants de la Cenco ont dénoncé un « recul déplorable caractérisé par la répression violente des manifestations de l’opposition, la restriction de la liberté de mouvement des opposants, des tentatives des projets de lois discriminatoires, l’instrumentalisation de la justice et les arrestations arbitraires ». Après avoir critiqué le « processus électoral », mal engagé selon eux, les représentants de l’Église catholique ont aussi appelé les Congolais à « choisir [eux-mêmes] leurs dirigeants ».
En dents de scie
À six mois du scrutin prévu le 20 décembre, cet échange est loin d’être anodin dans un pays où l’Église dispose, sans doute plus qu’ailleurs, d’un poids politique considérable. Il est révélateur du contexte tendu dans lequel se préparent ces élections : alors que les candidatures à la députation se sont ouvertes le 26 juin, l’opposition continue de dénoncer le processus électoral. La famille politique de Joseph Kabila joue pour l’instant la carte du boycott, tandis que le reste de l’opposition maintient une attitude ambigüe. Martin Fayulu a notamment expliqué qu’il n’envisageait pas, en l’état, de présenter des candidats aux différents scrutins, mais il n’est pour l’instant pas suivi par ses alliés de l’opposition.À LIRERDC – Martin Fayulu : « Félix Tshisekedi va devoir partir »
Ce nouveau bras de fer illustre bien les relations en dents de scie de l’Église catholique avec Félix Tshisekedi ces dernières années. Il faut dire qu’entre les évêques et le nouveau pouvoir, tout avait bien mal commencé, la Cenco ayant très tôt annoncé que, selon les résultats en sa possession, Martin Fayulu avait remporté l’élection du 30 décembre 2018.
Tshisekedi investi, les religieux ont pris acte mais fustigé l’alliance aussitôt nouée avec Joseph Kabila, appelant le nouveau président à « assurer pleinement » ses fonctions. Plus tard, c’est la question du choix du président de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni), qui viendra polluer les relations entre l’Église et le pouvoir, la Cenco s’étant, avec l’Église du Christ au Congo (ECC), fermement opposée à l’élection de Denis Kadima.
« L’Église est du côté du peuple »
À l’approche des échéances électorales, la position de l’Église catholique est scrutée avec attention, jusque dans l’entourage du président congolais, prompt à prêter à certains des leaders religieux une proximité avec l’opposition. Dans son discours prononcé à Mbuji-Mayi, Félix Tshisekedi a déclaré que « l’Église [devait] accompagner toutes les filles et tous les fils de la République qui sont en politique de la même manière et sans distinction, car il en va de la stabilité de notre pays ».
« Ces derniers temps, il y a une propension chez certains prélats à manifester une opposition systématique à tout ce que le chef de l’État entreprend, commente un élu présent lors du déplacement de Félix Tshisekedi dans le Kasaï. Le président a simplement rappelé le devoir de neutralité de l’Église, rien de plus. »À LIRERDC – Fridolin Ambongo : « Pour l’UDPS, l’Église est l’ennemi à abattre »
Une conclusion que l’on réfute du côté de la Cenco. « Dire que nous nous opposons au chef de l’État n’est pas correct. Nous avons décrit une réalité. Lorsque l’on a fait un plaidoyer pour dénoncer l’agression du Rwanda, en soutenant ainsi le discours des autorités, est-ce que nous sommes en contradiction avec le pouvoir ? réagit Mgr Donatien Nshole, secrétaire général de la Cenco, contacté par Jeune Afrique. Sous le précédent régime, nous étions très souvent rue de Limete pour voir Étienne Tshisekedi [au siège de l’Union pour la démocratie et le progrès social, UDPS]. Est-ce que cela veut dire pour autant que nous étions corrompu par l’opposition de l’époque ? Je ne crois pas. L’Église est du côté du peuple. »