POLITIQUE
M23 en RDC : Washington tente d’influer sur le bras de fer entre Kinshasa et Kigali
La suspension de l’aide militaire américaine au Rwanda, décidée en raison du soutien qu’il apporte – selon l’ONU et même s’il dément – aux rebelles du M23 dans l’est du Congo, a pris effet le 1er octobre.
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5 octobre 2023 à 12:01
Par Julian Pecquet et Romain Gras
Mis à jour le 5 octobre 2023 à 12:01

Est-on de nouveau dans l’impasse dans l’est de la RDC ? Alors que l’armée congolaise a récemment dénoncé le redéploiement du M23 dans plusieurs localités du territoire de Masisi et que les rebelles accusent les Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) d’avoir attaqué leurs positions, la situation semble plus volatile que jamais sur le terrain.À LIREDans l’est de la RDC, fragile cessez-le-feu entre les FARDC et le M23
Depuis des mois, le M23 réclame un dialogue direct avec les autorités et dit, à ce stade, ne pas se sentir concerné par les appels au cantonnement de ses éléments. De son côté, Kinshasa garde toujours la porte fermée à toute discussion. « Le M23 exige un dialogue qui ne lui sera jamais accordé », a martelé le président congolais, Félix Tshisekedi, à la tribune de l’ONU, le 20 septembre dernier.
Comme en 2022, la question des tensions entre Kigali et Kinshasa s’est une nouvelle fois retrouvée au cœur de l’Assemblée générale de l’ONU. À New York, la RDC n’a pas manqué de se féliciter des récentes sanctions prises par Washington. Les autorités congolaises ont plusieurs fois fait référence à la suspension, par l’administration Biden, de l’aide militaire au Rwanda à compter de cette semaine, en raison du soutien présumé de Kigali aux rebelles du M23.
Liste noire
Le gel de l’aide militaire américaine est la conséquence directe de l’ajout du Rwanda à la liste des pays qui violent le Child Soldiers Prevention Act (CSPA), une loi datant de 2008 qui vise à éradiquer le recrutement et l’utilisation d’enfants dans les conflits armés. La Centrafrique, la RDC, l’Égypte, l’Érythrée, la Libye, le Mali, la Somalie et le Soudan du Sud y figurent également et sont eux aussi concernés par cette suspension pour la nouvelle année fiscale qui, aux États-Unis, a débuté le 1er octobre.À LIREDans l’est de la RDC, Félix Tshisekedi privatise-t-il la guerre contre le M23 ?
Selon un haut fonctionnaire du Département d’État, « les États-Unis utilisent cette liste noire pour demander aux pays ciblés de rendre des comptes lorsqu’ils disposent d’informations crédibles sur le recrutement ou l’utilisation d’enfants soldats par les forces de sécurité gouvernementales ou par les groupes armés soutenus par le gouvernement ». Et, d’après cette même source, si le Rwanda a été inclus dans cette liste de pays qui enfreignent le CSPA, c’est en raison du soutien apporté par les forces armées rwandaises aux rebelles du M23, « un groupe armé qui a recruté ou utilisé des enfants soldats dans le cadre du conflit dans l’est de la RDC ».
Nyamvumba sanctionné
Ce soutien a été détaillé dans le dernier rapport du groupe d’experts de l’ONU sur la RDC, paru en juin 2023. Ses auteurs ont affirmé avoir identifié « plusieurs commandants des RDF [Rwanda Defence Force] et des fonctionnaires coordonnant [leurs] opérations en RDC ». Le 24 août dernier, le Trésor américain a, pour la première fois, pris des sanctions contre un haut commandant des RDF, le général de brigade Andrew Nyamvumba.
Dans son rapport, le groupe d’experts disait avoir reçu des informations confirmant que « les opérations des RDF, y compris celles des forces spéciales et de réserve, étaient coordonnées » par le général Nyamvumba. Le Trésor américain a également placé sous sanctions un colonel congolais, Salomon Tokolonga, accusé d’avoir œuvré en faveur de la collaboration entre les FARDC et d’autres groupes armés, tels que les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR).À LIREPaul Kagame : « Le problème n’est pas entre moi et Tshisekedi, mais entre Tshisekedi et le M23 »
Kigali conteste ces accusations depuis le début du conflit. Interrogé par Jeune Afrique en septembre, le président Paul Kagame a également rejeté celles qu’a compilées le rapport du panel onusien. « La plupart des choses rapportées par ces experts ne correspondent pas aux faits tels que nous les connaissons”, a-t-il affirmé, dénonçant une nouvelle fois l’étroite collaboration entre l’armée congolaise et les FDLR, également évoquée dans le document publié en juin.
Le choix de Blinken
En suspendant leur aide militaire, les États-Unis tentent de peser dans un conflit dont chaque partie prenante a jusque-là semblé imperméable à la pression internationale. Ces restrictions peuvent en outre être levées à tout moment par le président américain ou par le chef de la diplomatie américaine, Antony Blinken, à qui Joe Biden a délégué ce pouvoir.
« La délégation de cette prérogative n’est pas systématique, mais elle n’est pas inhabituelle, explique le fonctionnaire du Département d’État précédemment cité. Dans certains cas, comme dans celui du Rwanda, nous voulons signaler que nous sommes prêts à réagir positivement si Kigali prend des mesures conformes à la loi. »
La dernière fois que le Rwanda avait été la cible d’une telle mesure, c’était en 2013, lors de la première offensive du M23. Il avait de nouveau été montré du doigt en 2014 (toujours en raison de ses liens présumés avec le M23) et en 2016 (cette fois pour son soutien présumé à des groupes rebelles burundais). Mais, dans les deux cas, Barack Obama lui-même avait renoncé à faire appliquer ces restrictions.
500 000 dollars
Dans la pratique, le CSPA interdit plusieurs types d’assistance aux pays visés, notamment les ventes directes d’équipements militaires ou encore le recours à l’International Military Education and Training (IMET), un programme de soutien à la sécurité – le budget de la nouvelle année fiscale prévoyait 500 000 dollars d’IMET pour le Rwanda.À LIREÉtats-Unis : dix choses à savoir sur Molly Phee, la Madame Afrique de Joe Biden
La position américaine est délicate. Les sanctions visant le Rwanda ont été saluées par les autorités congolaises. Selon un proche conseiller de Félix Tshisekedi, la RDC en parlait depuis plusieurs mois avec des responsables américains, notamment le directeur pour les Affaires africaines, Judd Devermont, et la secrétaire d’État adjointe pour les Affaires africaines, Molly Phee. Mais fin septembre, devant le Conseil de sécurité de l’ONU, Washington a aussi exprimé sa frustration devant certaines actions de Kinshasa et demandé aux FARDC « de rompre les liens avec les FDLR [pour] mettre un terme à une relation qui préoccupe depuis longtemps le Rwanda ».
« Actions inutiles »
Contacté pour réagir à l’annonce de la restriction de l’aide américaine, le gouvernement rwandais n’a pas répondu à notre sollicitation. « Je n’ai aucune idée de cette décision et des raisons qui l’ont motivée », nous avait toutefois expliqué le porte-parole de l’armée rwandaise, le général de brigade Ronald Rwivanga, le 21 septembre.
Une semaine plus tard, le 28 septembre, lors d’une réunion du Conseil de sécurité, l’ambassadeur rwandais Claver Gatete a dénoncé « les actions de certaines puissances extérieures pour plaire au gouvernement de la RDC dans la poursuite de leurs intérêts économiques aux dépens du Rwanda. » Pointant aussi des mesures « inutiles [qui] risquent d’aggraver la situation en RDC », sans mentionner formellement ces sanctions.
Depuis, Paul Kagame a promu certains des officiers cités dans le rapport onusien. Le général à la retraite James Kabarebe est récemment devenu ministre d’État chargé de la coopération régionale.