Cher  Utchudi,

J’aimerais profiter de ce message pour présenter mes excuses au Professeur Bwana Ali pour les désagréments qu’ont pu causer nos échanges sur la question de la qualification de Poutine par rapport à la démocratie libérale.

Je lui déconseille de quitter le forum par manque de consensus dans ce débat. En effet, depuis des décennies, chercheurs et universitaires débattent de la démocratie sans s’accorder sur une définition. Je lui présente donc mes excuses si mon propos a pu être lu comme un argument ad hominem. Qu’il sache, sans aucune ambiguïté, que ce n’était pas intentionnel. Monoko, ezangaka libaku te, disent les lingalophones.

Je voudrais revenir ici sur votre message en référence à l’article du Professeur David Stark, pour lequel je me réjouis et vous félicite d’avoir fondé votre argument sur un élément scientifique. Depuis longtemps, ces bonnes pratiques sont devenues rares dans nos échanges, laissant de plus en plus la place aux arguments à forte charge émotionnelle. J’argumenterai ensuite sur la définition de la démocratie.

DE LA TRANSFORMATION QUALITATIVE

Il me semble qu’il y ait mésinterprétation de votre part quant au concept de transformation qualitative. Sinon, comment pourriez-vous dénier qu’il y a eu des transformations qualitatives en Russie sous Poutine par rapport aux époques de ses prédécesseurs ? Il faut se rappeler qu’il y a eu l’éclatement de l’URSS (qui était la deuxième puissance économique mondiale depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale), consécutif aux ouvertures à la démocratie libérale par Gorbatchev. Puis une grande déchéance socio-économique marquée par un chômage massif et un appauvrissement de la population russe (ainsi que l’émergence des oligarques), à la suite des mesures libérales de privatisation des entreprises et services publics par le président Boris Eltsine (1991-1999). 

Comme le montre ce graphique de la Banque Mondiale, de 1990 à 2000, le PIB par habitant de la Russie était en décroissance permanente, atteignant 1340 dollars. Or, depuis l’arrivée au pouvoir de Poutine, il y a eu un redressement. En 2021, le PIB par habitant de la Russie dépassait 12000 dollars [presque 10 fois autant que sa valeur à l’an 2000). Il y a donc eu une augmentation très significative  de la qualité  due au  fait de l’efficacité de la gouvernance.

Aujourd’hui, la Russie continue de se reconstruire malgré la guerre et une pluie d’embargos occidentaux. Elle enregistre même une croissance économique de près de 5% (Banque mondiale), alors que les pays occidentaux qui lui infligent la guerre ont des croissances moindres et que certains d’entre eux sont même en récession.

Par rapport aux pays occidentaux, la Russie est donc le pays qui enregistre plus de transformation qualitative due à l’effectivité de la gouvernance.

Revenons brièvement sur l’article du Professeur David Stark.  Dans son article « Recombinant Property in Eastern European Capitalism »,  Stark s’oppose à ceux qui cherchent à créer en Europe de l’Est un capitalisme similaire à celui de l’Europe Occidental.  Il le dit  précisément dans son introduction en ces termes (page 2):

Les processus identifiés ici suggèrent l’émergence d’un capitalisme typiquement est-européen, ni capitaliste d’État ni socialiste de marché qui, en tant qu’économies de marché nouvellement démocratiques, différera autant des capitalismes d’Europe occidentale que des variantes contemporaines de l’Asie de l’Est.

Cette thèse accepte donc une diversité de vues sur la construction du capitalisme.  Une économie de marche nouvellement démocratique peut exister  sans trop copier le libéralisme occidental. Poutine n’a pas quitté le capitalisme parce qu’il a abandonné le libéralisme  sauvage initié naïvement par ses prédécesseurs  qui a détruit le pays. D’ailleurs  dans  ces derniers jours Gorbatchev a  regretté le Prix Nobel de la Paix lui accordé par  l’Occident en 1990. Ce « démocrate »  tant vanté par les occidentaux  n’aura pas une bonne place dans l’Histoire de la Russie.

 DE LA DÉMOCRATIE

La thèse du Professeur Stark est similaire à celle soutenue par l’Assemblée générale de l’ONU dans la définition de la démocratie. En effet, sur plus d’une centaine de régimes démocratiques au monde, il y a une prédominance numérique  en démocratie  non-libérale. A titre d’exemple, les pays asiatiques ne suivent pas le modèle de démocratie libérale. Il n’y a que certains pays africains (dont la RDC) qui ont été induits en erreur pour tenter de copier la démocratie libérale.

Les démocraties illibérales ne sont  pas des dictatures. D’après Farrek Zakaria qui a contribué à la promotion de ce concept, l’Inde que les Occidentaux reconnaissent comme la plus grande démocratie du Monde  n’est pas une démocratie libérale mais illibérale.

D’ailleurs, comme le dit l’ONU, « la démocratie n’est pas un modèle qu’il s’agirait de copier, mais un objectif qui doit être atteint par tous les peuples et assimilé par toutes les cultures. Elle peut prendre de nombreuses formes, selon les caractéristiques propres et l’histoire de chaque société (A/50/332, par. 5) ».

La démocratisation est donc un processus pouvant prendre différentes voies, mais visant des objectifs reconnus. Ces objectifs sont  au nombre de cinq : 

(1) préserver et promouvoir la dignité et les droits fondamentaux de l’individu ; (2) garantir la justice sociale ; (3) encourager le développement économique et social de la communauté ; (4) renforcer la cohésion sociale ; (5)améliorer la tranquillité nationale ; (6) créer un climat favorable à la paix internationale.

(cf. document de l’ONU)

C’est en tenant compte de ces objectifs que nous pouvons dire qu’un pays avance ou recule  plus  en matière de démocratie. Peut-on dire que les pays occidentaux répondent à 100 % à ces normes jugées universelles ?

Il ne s’agit donc  pas ici de croire que ceux qui conseillent une certaine prudence dans le jugement contre la Russie ou la Chine seraient procommunistes. Nous ne le sommes pas.

Nous avons constaté une diabolisation à outrance de ceux qui ne se conforment pas  à l’idéalisme libéral. Et cette diabolisation a  entrainé l’obscurantisme de masse en Afrique, qui a servi pendant six décennies aux puissances occidentales de pérenniser  la dépendance coloniale  de l’Afrique après la décolonisation.

En ce qui concerne précisément notre pays la RDC, n’oublions  surtout pas que les puissances occidentales avaient profité des énormes ressources du Congo belge pour se retrouver du bon côté  de l’histoire lors de la Deuxième Guerre mondiale et de la Guerre froide. N’est-il pas cynique que, en guise de reconnaissance, nous soyons le pays le plus exploité [ le plus déstabilisé] par l’Occident, six décennies après l’indépendance ; un pays dont on impose une répétition des plébiscites  en guise d’élections  pour construire une démocratie libérale inatteignable même à long terme ?   

Aujourd’hui encore, l’Occident continue de tirer des ressources financières immenses  de la RDC (près de deux milliards/ an) par le biais de la globalisation ; et ce, sans y investir. Lire à ce propos le document d’analyse du CET.

CONCLUSION

Nous sommes dans une phase critique de l’histoire (point d’inflexion de l’ordre mondial  tel qu’avait dit Joe Biden) où il faudra renégocier nos relations avec les puissances occidentales. La meilleure stratégie pour que la négociation soit profitable tant aux puissances occidentales qu’à la RDC n’est pas de nous conformer aveuglément aux recettes libérales.

L’histoire communiste de la Chine et de la Russie favorise les jugements à l’emporte-pièce. Toutefois, la réalité actuelle est bien plus nuancée, et nous devons garder cela à l’esprit quand il s’agit de se prononcer sur ces États et de définir notre propre stratégie.

Pierre Sula

Coordonnateur du CET

Président Fédéral du MNC\Lumumba

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