Face au M23, Félix Tshisekedi et la valse des forces régionales

Le président congolais veut voir l’EACRF quitter l’est de la RDC le 8 décembre. Mais le déploiement des contingents de la SADC tarde à s’organiser, faisant craindre une dangereuse cacophonie sécuritaire à un mois des élections.

Le président de la RDC, Félix Tshisekedi, assiste à une réunion de coordination de l’Union africaine, dans les bureaux des Nations unies à Nairobi, le 16 juillet 2023. © SIMON MAINA/AFP
Le président de la RDC, Félix Tshisekedi, assiste à une réunion de coordination de l’Union africaine, dans les bureaux des Nations unies à Nairobi, le 16 juillet 2023. © SIMON MAINA/AFP
DSC_4972 copie

Publié le 14 novembre 2023Lecture : 6 minutes.

Alors que les combats contre les rebelles du M23 se sont à nouveau rapprochés de Goma ces derniers jours, un ballet d’un style bien particulier se prépare en coulisses. Près d’un an après le début de son déploiement dans l’est de la RDC, la force régionale de la Communauté d’Afrique de l’Est (EACRF) est poussée vers la sortie par le gouvernement congolais.

Fort rejet

Jugée inefficace par Kinshasa qui lui reproche de ne pas être suffisamment offensive face au M23, quand elle n’est pas purement et simplement accusée de « complicité », cette mission fait l’objet d’un fort rejet dans l’opinion congolaise. Les autorités l’ont rappelée à plusieurs reprises, demandant même formellement le départ de l’EACRF au début d’octobre.

Félix Tshisekedi espère remplacer les troupes est-africaines par celles de la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC), qui a accepté en mai dernier de déployer une mission dans l’est de la RDC. Lors du dernier conseil des ministres, le 10 novembre, le président congolais a appelé son vice-Premier ministre chargé de la Défense, Jean-Pierre Bemba, et son vice-Premier ministre chargé des Affaires étrangères, Christophe Lutundula, à « tout mettre en œuvre » pour permettre l’arrivée de ces nouvelles troupes. Mais les modalités de leur déploiement posent toujours question et le communiqué résumant le dernier sommet de la SADC, qui s’est tenu à Luanda le 4 novembre, n’a pas permis de dissiper le flou.A lire : 

M23 en RDC : Kinshasa pousse à nouveau la force régionale vers la sortie

Malgré tout, les discussions se poursuivent. Le 9 novembre, la patronne de la Monusco, Bintou Keïta, accompagnée du général brésilien Otávio Rodrigues de Miranda Filho, qui commande la force de la mission onusienne, se sont rendus à Gaborone pour participer à une série de réunions avec la SADC. Des rendez-vous auxquels ont également pris part des officiers de la sous-région, dont le chef d’état-major de l’armée congolaise, Christian Tsiwhewe Songesha.

Qui va payer quoi ?

L’une des incertitudes concerne le budget de fonctionnement de cette force. En juillet dernier, une estimation situait le besoin financier autour de 550 millions de dollars. Selon plusieurs sources officielles congolaises, ce montant aurait été revu à la baisse. Mais alors que l’EACRF a constamment connu des problèmes de financement, cette enveloppe représente malgré tout un investissement de taille. Selon l’un des ministres au fait des discussions, la contribution financière attendue de la RDC se situe autour de 200 millions de dollars.A lire : 

Face au M23, la force régionale de la SADC déployée en septembre ?

Concernant les contingents qui composeront cette force, plusieurs officiels congolais assurent attendre un effectif de 5 000 hommes. Une chiffre jugé « ambitieux » par certains diplomates, qui tablent sur un déploiement moins important. Les effectifs de la mission sont censés provenir majoritairement des armées sud-africaine, malawite et tanzanienne. Ces derniers fournissent déjà des troupes à la brigade d’intervention de la Monusco (FIB).

Des discussions sur la planification des opérations sont prévues avant la fin de novembre avec les autres acteurs présents sur le terrain, les FARDC et la Monusco. Un premier repérage a eu lieu en octobre avec la visite d’une délégation emmenée par la général Mninimzi Sizani, directeur du département des opérations conjointes au sein de l’armée sud-africaine.

Un Sud-Africain à la tête de la mission ?

Pretoria est en effet censé être l’un des éléments moteurs de cette force. Plusieurs sources confirment que l’Afrique du Sud a obtenu le poste de commandant de la mission. Un diplomate qui suit ce dossier affirme qu’un ancien commandant de la FIB, le général-major sud-africain Monwabisi Dyakopu fait figure de favori. « Ce n’est pas confirmé », tempère toutefois une source ministérielle congolaise qui assure qu’il y a « d’autres candidats » mais confirme que le chef de la mission sera bien Sud-africain.

Mais alors que Kinshasa souhaite que la SADC se déploie le plus rapidement possible, idéalement d’ici la fin novembre, plusieurs obstacles demeurent. Si Kinshasa a formellement demandé le retrait de la force de l’EAC lors du sommet des ministres de la Défense de la sous-région, début octobre en Tanzanie, cette requête n’a toujours pas été entérinée par un sommet des chefs d’État.

Il faudra ensuite mettre en place la logistique d’un tel retrait. Selon une source diplomatique impliquée dans les récentes discussions de la SADC, il n’y a donc « aucune possibilité pour qu’un déploiement se fasse d’ici à la fin du mois ».

Actuellement, plusieurs contingents sont déployés sur le terrain par le Kenya, l’Ouganda, le Burundi et le Soudan du Sud. Une source proche de l’état-major de l’EACRF, dirigé par le général-major kényan Alphaxard Muthuri Kiugu, affirme qu’il faudrait plusieurs semaines pour que leur retrait soit effectif. Dans une récente interview à Radio Okapi, le haut-représentant de Félix Tshisekedi a lui-même reconnu qu’un « processus de désengagement » devait au préalable se mettre en place à partir du 8 décembre pour que le départ des troupes puisse se faire, tant sur le plan opérationnel qu’administratif.

Le rôle trouble du Burundi

Reste que les modalités de ce départ ne sont pas claires. Si les troupes kényanes et sud-soudanaises, qui ne sont présentes en RDC que dans le cadre de cette force régionale, devraient logiquement quitter le territoire, celles de l’Ouganda et du Burundi, également engagées dans cadre bilatéral, pourraient prolonger leur bail. L’armée ougandaise opère en effet depuis novembre 2021 avec son homologue congolaise dans le cadre de l’opération conjointe Shuja, destinée à combattre des Forces démocratiques alliés (ADF).

Quant à l’armée burundaise, elle est actuellement la seule à être épargnée par les critiques de Kinshasa. Félix Tshisekedi et son homologue burundais Évariste Ndayishimiye ont conclu en août un accord de défense dont les termes sont pour le moment restés secrets. Les troupes burundaises sont depuis accusées par le M23 – eux-mêmes accusés d’être soutenus par Kigali – de prendre part aux combats.

Le rôle exact joué par l’armée burundaise sur le terrain demeure donc confus. Dans un récent communiqué, elle a publiquement reconnu deux incidents survenus en octobre, accusant les rebelles d’avoir bloqué le passage de certains de ses contingents. Saisi, le commandant de l’EACRF n’aurait, selon l’armée burundaise, « pas été en mesure de ramener le M23 à la raison », l’obligeant à « prendre les mesures qui s’imposent ». Unique certitude à ce stade, les troupes burundaises devraient rester sur le territoire congolais après le départ de la force de l’EAC, comme nous le confirme un membre du gouvernement qui suit ce dossier.

Élections menacées

Si tout se mettait en place selon le calendrier qu’espère Kinshasa – ce qui paraît déjà difficilement envisageable – le retrait de l’EACRF débuterait donc à douze jours des élections. Or de nombreuses inquiétudes existent déjà au Nord-Kivu sur l’impact qu’aura la crise sécuritaire sur le processus électoral dans la région. Deuxième plus importante province par le nombre d’électeurs avec 3 026 907 votants, le Nord-Kivu pourrait ne pas pouvoir organiser de scrutin dans deux de ses six territoires, celui de Masisi et celui de Rutshuru.A lire : 

Dans l’est de la RDC, comment et pourquoi les hostilités ont repris

Le M23 y tient depuis plusieurs mois de solides bases, ce qui a rendu impossible l’enregistrement des électeurs. Les activités de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) y sont pour le moment suspendues, comme l’a rappelé son président, Denis Kadima, le 13 novembre.

Le 20 octobre, alors que les combats semblaient tourner à l’avantage des groupes d’auto-défense pro-gouvernementaux dit « wazalendos », Félix Tshisekedi avait instruit le gouvernement et la Ceni de « tout mettre en œuvre » pour permettre aux populations de ces territoires « progressivement libérés » de voter. Depuis, la fulgurante contre-attaque des rebelles du M23 a rendu illusoire cette perspective.

C’est donc coincé entre l’urgence électorale et la menace sécuritaire que Félix Tshisekedi devra gérer ce délicat chassé-croisé des forces régionales. Une passation d’autant plus risquée qu’un autre acteur est appelé à « accélérer » son départ : la Monusco.

By admin

S’abonner
Notification pour
guest

0 Comments
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x